Source : Challenges.fr 06-10-11 à 15:38
En 2007, le groupe français s'offrait à prix d'or ce producteur d'uranium
apparemment prometteur. L'exploitation est aujourd'hui au point mort.
Ce devait être une belle histoire. Une de ces OPA fondatrices qui transforment un groupe et couronnent un bilan. 15 juin
2007: Areva lance une offre publique de 2,5 milliards de dollars sur le producteur canadien d'uranium UraMin, propriétaire de trois gisements en Namibie (Trekkopje), en Centrafrique (Bakouma) et en Afrique du Sud (Ryst Kuil). L'objectif est ambitieux: rattraper les deux leaders mondiaux de l'extraction d'uranium, Cameco
et Rio Tinto, et assurer l'approvisionnement du groupe à long terme. "Areva possède les capacités techniques et commerciales pour mettre ces
gisements en exploitation rapidement", assure alors Olivier Mallet, directeur du secteur mines, chimie et enrichissement
d'Areva. La mise en exploitation du gisement namibien, le plus prometteur, est même prévue dès 2008-2009.
Illusions perdues
Quatre ans plus tard, la belle histoire a viré au cauchemar. Aucun des trois gisements n'est entré en production: pour
Trekkopje, gisement à faible teneur qui nécessite une technologie d'exploitation très complexe, cela a été reporté à fin 2013 au mieux ; Bakouma et
Ryst Kuil, eux, sont renvoyés aux calendes grecques. Areva a également reconnu fin juillet un "risque de baisse du niveau des
ressources" en Namibie, le principal actif d'UraMin. Quant aux cours de l'uranium, ils sont passés de 120 dollars la livre en 2007 à 50 dollars aujourd'hui, sous le double
effet de la crise et de Fukushima. Résultat: après avoir passé 426 millions d'euros de dépréciations sur l'exercice 2010 sous l'influence du commissaire général à l'investissement René Ricol, appelé en catastrophe au comité d'audit du groupe, Areva va devoir encore supporter des pertes. "Il faudra passer de nouvelles provisions fin 2011, probablement plusieurs centaines de millions d'euros, pour tenir compte de l'effondrement des cours de
l'uranium", pointe un proche du conseil de surveillance. L'affaire a-t-elle participé au non-renouvellement du mandat d'Anne
Lauvergeon, remplacée par Luc Oursel en juin dernier? Ses adversaires y ont en tout cas vu l'occasion idéale de sortir la Grosse
Bertha. Début 2011, une note non signée, transmise à l'Elysée et que Challenges a pu consulter, dénonçait pêle-mêle une "transaction
financièrement inexplicable et commercialement contestable", "un rachat au prix le plus élevé", à savoir 2,5 milliards de
dollars, quand "tous les experts évaluaient UraMin au maximum entre 600 et 800 millions d'euros", et des gisements
centrafricain et sud-africain "en dehors du champ des possibles". Le document évoque même ouvertement "des intermédiaires en Belgique, au Luxembourg ou au Canada", qui auraient "exploité cet
acharnement impérieux [à acquérir UraMin. NDLR] pour se servir au passage".
"Accusations fantaisistes du clan Proglio-Djouhri,
rétorque un proche d'Anne Lauvergeon. Lors de son passage au comité d'audit, René Ricol
n'a rien trouvé de condamnable." Mais l'histoire a fait suffisamment de bruit pour que la commission des Finances de l'Assemblée nationale demande, fin juin, aux députés
Marc Goua et Camille de Rocca Serra de tirer l'histoire au clair dans le cadre d'un
audit sur les comptes d'Areva et d'EDF, dont la publication est prévue fin octobre. "La grande question est celle du prix
consenti, souligne Marc Goua 2,5 milliards de dollars pour des gisements qui n'ont rien produit depuis quatre ans, on est
en droit de s'interroger."
Diversification voulue
Comment Areva a-t-il pu s'embarquer dans une telle galère? Sans nier le prix très élevé de l'opération, le groupe défend
aujourd'hui encore son intérêt stratégique. "Cette acquisition répondait à la nécessité de diversifier nos sources d'approvisionnement et de
réduire la dépendance d'Areva au Niger et au Kazakhstan, deux pays aux risques politiques significatifs, explique Sébastien de
Montessus, directeur général adjoint en charge du Business Group Mines et membre du directoire d'Areva. UraMin était la seule "junior" à
avoir un portefeuille de projets sur trois pays. "De fait, le contexte géopolitique de la mi-2007 était loin d'être idéal pour les sites miniers d'Areva: au Niger, le
directeur général du groupe était expulsé en juillet pour "atteinte à la sûreté de l'Etat",
dans un contexte de rumeurs de nationalisation des gisements. Au Canada, la mine géante de Cigar Lake, codétenue par Areva et son concurrent Cameco et dont l'entrée en production était prévue en
2007, avait été noyée fin 2006 par des infiltrations d'eau, qui repoussaient la mise en service de sept ans... "Nous étions fragilisés sur nos
bases, il fallait réagir", assure un cadre dirigeant. Le choix d'UraMin pose pourtant question. La société, créée en 2005 par un ancien du groupe aurifère Barrick Gold, n'avait
pas extrait la moindre tonne d'uranium, les gisements ayant seulement fait l'objet d'explorations. L'entreprise, cotée à Londres et Toronto mais immatriculée aux îles Vierges venait de connaître
un incroyable envol boursier, avec un quadruplement de sa capitalisation en six mois portée par l'intérêt de China National Nuclear Corp. "Tout
le monde savait que cette spéculation sentait le soufre" assure un spécialiste des matières premières. "Le prix était
justifié par les perspectives de relance du nucléaire à l'époque ; et on savait que les Chinois, les Russes et les grands miniers étaient aussi sur le coup", répond
Areva. D'aucuns avancent une autre explication. "Notre vraie cible c'était la mine australienne d'Olympic Dam, la plus grande du
monde assure un ancien dirigeant. L'APE [Agence des participations de l'Etat. NDLR] et Thierry Breton, alors à Bercy ont mis leur
veto à deux reprises en 2005 et c'est BHP Billiton qui a raflé la mise. UraMin était la meilleure cible qui restait sur le marché." Pas forcément la plus fiable
malheureusement: "On s'est fait enfler sur les estimations de réserves reconnaît un cadre. Cela fait partie des risques des acquisitions
dans les mines, surtout à cette époque, où les carottages étaient moins fiables qu'aujourd'hui." Fin 2008, Areva croit pourtant voir débarquer un sauveur: l'électricien chinois
CGNPC qui veut prendre 49% du capital d'UraMin. Le deal échouera sans raison apparente. "Les conditions qu'ils demandaient étaient inacceptables:
ils voulaient les deux tiers de la production pour la moitié du prix", assure une source interne.
La responsabilité partagée
Qui porte la responsabilité du cas UraMin? Celle-ci semble aller bien au-delà de la seule Anne Lauvergeon. "Pour une acquisition à partir de 80 millions d'euros il faut l'aval de l'APE au conseil de surveillance d'Areva pointe un familier de
l'entreprise. Cette OPA a été validée par Bercy et tous les niveaux de l'Etat il est ridicule qu'ils se réveillent aujourd'hui en criant au loup." Marc Goua chargé d'élucider l'affaire pour la commission des Finances de l'Assemblée nationale, a pu se rendre compte du caractère sensible de la
question: "J'ai le plus grand mal à avoir accès aux documents en possession de l'APE. Ils ne veulent pas me les transmettre, je vais devoir aller
les consulter chez eux..." En attendant, Areva continue de travailler à la mise en exploitation de Trekkopje. "L'usine pilote
a sorti les premières tonnes d'uranium, assure une source interne. La vraie question est celle des conditions de marché pour voir quand ce projet pourra être
lancé." Le cas sud-africain est plus complexe Areva ayant le plus grand mal à obtenir les permis d'exploration. La seule satisfaction réside dans le gisement centrafricain qui
totaliserait 50.000 tonnes de réserves contre 18.000 escomptées. Même à UraMin on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise.
Vincent Lamigeon
NDLR : Uramin est
l’entreprise avec laquelle Ndoutingaï et Bozizé avait débuté le processus de leur enrichissement personnel par le bradage des mines d’uranium de Bakouma. Contre 20 millions de dollars US, Bozizé
avait cédé la part 10 % des 20 % qui revenaient à l’Etat centrafricain dans le capital d’Uramin Centrafrique. Un compte off shore lui a été secrètement ouvert dans les Iles Vierges britanniques,
(un paradis fiscal) où le pactole lui a été versé en deux tranches de 10 millions de dollars US. C’est la raison pour laquelle lorsqu’AREVA a acquis
URAMIN par une OPA boursière, Bozizé et Ndoutingaï n’étaient pas contents et avaient exigé de celle-ci le paiement d’un bonus conséquent. Entre temps, plusieurs intermédiaires (Saifee Durbar,
Fabien Singaye, Patrick Balkany et autre George Forrest) pour ne citer que ceux-là, n’ont pas hésité à saisir l’opportunité afin de s’en mettre plein les poches en offrant leur médiation entre
Bozizé, Ndoutingaï et AREVA.