Uhuru KENYATTA et Raila ODINGA
09-03-2013
20:23
Fait inédit dans les annales juridiques internationales, le président élu au premier tour par les Kenyans sur le
score pour le moins suspect de 50,07% des suffrages doit être jugé par la CPI pour crimes contre l'humanité.
Cinq ans après des élections générales qui avaient débouché sur un bain de sang au Kenya, après cinq jours de dépouillements
laborieux, Uhuru Kenyatta, le fils du premier président de la République kenyane à l'indépendance du pays, Jomo Kenyatta, a officiellement été élu président dès
le premier tour d'un scrutin entaché de soupçons. Autre
particularité du nouveau et très contesté chef de l'Etat âgé de 51 ans : c'est la première fois qu'une personne inculpée de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale accède à
cette fonction. Le Soudanais Omar el-Béchir avait aussi été inculpé en 2009 par la Cour de La Haye pour les exactions au Darfour, mais il était alors au pouvoir depuis près de
vingt ans.
Le candidat battu conteste, mais rejette la violence
D'après les résultats arrêtés par la commission électorale, l'élection marquée par un taux de participation record de 85,9%
s'est jouée à quelques poignées de voix près, de l'ordre de 8.400 pour 12,3 millions de suffrages exprimés, soit 50,07% en faveur de Kenyatta, alors que son grand rival,
Raila Odinga, le Premier ministre sortant, n'en a récolté que 43,3. Ce dernier, qui déjà en 2007 avait été battu par le président réélu Mwai Kibaki, conteste le
résultat du jour et a annoncé qu'il saisirait la justice. Il a dit "faire confiance" à la Cour suprême dont il escompte l'annulation de l'élection.
D'ici là, dans un pays traumatisé par les violences post-électorales qui
avaient fait plus de 1.000 morts et 500.000 déplacés il y a cinq ans, le candidat malheureux a cependant appelé ses partisans au calme. Il s'agit de ne pas reproduire un tel scénario catastrophe,
car "la violence maintenant pourrait détruire ce pays pour toujours" a-t-il dit. Dans ce contexte, la police avait été massivement déployée dans certains bidonvilles de
la capitale, Nairobi, où M. Odinga est particulièrement populaire. Samedi dans la soirée, aucun incident particulier n'était à signaler. L'Union européenne et les Etats-Unis ont
félicité les Kenyans pour leur vote pacifique et appelé les deux parties à s'en remettre aux procédures prévues par la Constitution.
Avant l'élection, Washington et Londres notamment, avait prévenu qu'une victoire d'Uhuru Kenyatta risquait
de compliquer leurs relations avec le Kenya, locomotive économique de l'Afrique de l'Est et partenaire essentiel dans la lutte contre le fondamentalisme islamique dans la région.
A priori pas d'incidence pour la CPI
Les accusations de crime contre l'humanité qui pèsent contre M. Kenyatta, vice-Premier ministre sortant,
ancien ministre des Finances et selon Forbes première fortune du pays, remontent à sa responsabilité présumée dans l'organisation des violences qui avaient suivi le scrutin de
2007. Faisant apparemment allusion à la situation diplomatique et juridique inédite qui résulte de son élection, il a assuré samedi que le Kenya "continuera de coopérer avec toutes
les nations et institutions internationales, conformément à (ses) obligations" et a formulé le voeu que la communauté internationale respecte sa souveraineté.
Pour ce qui le concerne personnellement, il avait déjà promis qu'il ne se déroberait pas à ses obligations devant la CPI, où
son procès, qui doit s'ouvrir le 9 juillet, pourrait durer plus de deux ans. En théorie, il devrait donc comparaître à la première audience. En tout cas, a commenté le porte-parole du tribunal
international, Fadi el-Abdallah, "les élections ne changent pas la donne en ce qui concerne la CPI, car il n'existe pas d'immunité devant la
Cour".
KENYA. Kenyatta, bien qu'inculpé par la CPI, élu président
09-03-2013 à 07h38
Par Le Nouvel Observateur
C'est la première fois qu'un homme inculpé de crimes contre l'humanité devient chef de l'Etat, créant une situation
politique et juridique inédite.
Uhuru Kenyatta, inculpé de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI), a été, samedi 9 mars, officiellement
proclamé président du Kenya dès le premier tour. Une victoire contestée par son rival Raila Odinga, le Premier ministre sortant du pays, qui, dans un climat de tension, souhaite
saisir la justice tout en appelant ses partisans au calme.
Une situation politique et juridique inédite
Dès le milieu de la nuit, des groupes de partisans d'Uhuru Kenyatta, 51 ans, ont célébré sa victoire, sans incident,
contrastant avec l'abattement des électeurs de Raila Odinga. Fils de Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964-1978), Uhuru Kenyatta
devient, près de 50 ans après l'accession au pouvoir de son père, le quatrième chef de l'Etat kényan depuis l'indépendance.
Soupçonné d'avoir joué un rôle dans l'organisation des violences consécutives au précédent scrutin, fin 2007, il est aussi le
premier inculpé de la CPI à devenir chef de l'Etat, créant une situation politique et juridique inédite. Uhuru Kenyatta, vice-Premier ministre, a recueilli 6.173.433 des
12.330.028 bulletins, selon le résultat final proclamé par le président de la Commission électorale (IEBC), Ahmed Issack Hassan.
Uhuru Kenyatta a obtenu (...) 50,07% (des bulletins) des votants. Je déclare donc Uhuru Kenyatta, président
dûment élu de la République du Kenya"', a déclaré Ahmed Issack Hassan, dans l'auditorium bondé du centre électoral de l'IEBC à Nairobi, en présence de nombreux
diplomates.
Uhuru Kenyatta ne franchit que d'environ 8.400 voix la barre des 50% des votants, requise pour l'emporter au
premier tour de ce scrutin, marqué par une participation record de 85,9%. Crédité de quelque 800.000 voix de moins que son adversaire (43,31% des votants), Raila Odinga
"ne reconnaîtra pas le résultat de cette élection, il contestera les résultats devant la Cour suprême", avait affirmé avant la proclamation officielle un de ses plus
proches conseillers, Salim Lone, évoquant un scrutin "faussé".
Une troisième défaite successive
Le Premier ministre sortant, dont la précédente défaite il y a cinq ans avait provoqué des violences sans précédent depuis
l'indépendance en 1963, qui avaient fait plus de 1.000 morts et plus de 600.000 déplacés, a dénoncé "des irrégularités massives" autour du scrutin, mais il a aussi
souligné que "la violence maintenant pourrait détruire ce pays pour toujours". Celui qui, à 68 ans, enregistre sa troisième et probable ultime défaite présidentielle appelle donc "tous (ses) partisans à
rester calme".
Le président sortant Mwai Kibaki - qui, à 81 ans, ne se représentait pas cette année - avait été proclamé
vainqueur de justesse, à l'issue d'un dépouillement opaque et entaché de forts soupçons de manipulation. Uhuru Kenyatta était alors un soutien clé de Mwai
Kibaki, issu comme lui de la communauté kikuyu, la plus importante numériquement - 17% des 41 millions d'habitants.
"Sans Raila, pas de paix"
Une foule nombreuse a envahi les rues de Naivasha, Nakuru et Eldoret, dans la Vallée du Rift qui a voté en masse pour
Uhuru Kenyatta. Des petits groupes en tee-shirts rouges - couleur de Jubilee, la coalition victorieuse - sillonnaient Nairobi aux cris de "Uhuru, Uhuru,
Uhuru".
Kisumu (ouest), fief de Raila Odinga, oscillait entre abattement et colère froide. Des jeunes ont brièvement
affronté la police à coups de pierre peu après l'annonce officielle des résultats. "Il faut qu'on reste calme, mais à ce que je vois, certains ne le resteront pas",
s'inquiétait Alphonse Omodi, vigile de 30 ans, qui se dit "en état de choc".
"Sans Raila, pas de paix!", avaient scandé en fin de matinée près du bidonville de Kondele, des
centaines de jeunes, conspuant la police, alors que des responsables religieux appelaient au calme. "On ne peut pas reprendre 10 ans" de pouvoir kikuyu, s'insurgeait
David Onyango, Luo comme Raila Odinga (11% de la population).
A Kibera, tentaculaire bidonville de Nairobi acquis à Raila Odinga, John Odhiambo, chauffeur luo de 29 ans,
espérait encore que Raila Odinga allait "reconnaître sa défaite, afin que nous construisions un Kenya paisible".
Pas d'immunité devant la CPI
Le procès d'Uhuru Kenyatta devant la CPI doit s'ouvrir le 9 juillet à La Haye et pourrait durer au moins
deux ans. "Les élections ne changent pas la donne en ce qui concerne la CPI car il n'existe pas d'immunité devant la Cour", a réagi samedi le porte-parole du tribunal
Fadi el-Abdallah.
La CPI a déjà inculpé le président soudanais Omar el-Béchir en 2009, mais celui-ci était alors au pouvoir
depuis vingt ans. Uhuru Kenyatta a assuré qu'il assisterait, même élu, à son procès. Son colistier M. Ruto, désormais vice-président, doit pour sa part
comparaître le 28 mai devant la CPI, également à propos des violences de 2007-2008.