Par François Misser 22/02/13 http://www.afrique-asie.fr
Le Président François Bozize n’aura pas eu l’occasion de fêter le dixième anniversaire du renversement de son prédécesseur Ange-Félix Patassé, le 15 mars 2003, avec le soutien du Président tchadien Idriss Déby et le nihil obstat de Paris. Car, en décembre, le général-président, qui s’est quelque peu endormi sur ses lauriers, s’est laissé surprendre. Il n’a pas pris suffisamment au sérieux la formation en août dernier de la coalition « Séléka » (alliance en langue nationale sango) entre les rebelles de la Convention des patriotes pour la justice et pour la paix (CPJP) de Noureddine Adam, active depuis 2008 dans le Nord du pays, aux frontières tchadienne et soudanaise et ceux de la Convention patriotique du salut « wa kodro » (CPSK) du général autoproclamé Mohamed Moussa Dhaffane. Et le ralliement ultérieur à cette coalition de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) de Michel Djotodia et du Front démocratique du peuple centrafricain (FDCP) du colonel Abdoulaye Miskine (alias Martin Koumta-Madji), dissident de l’UFDR, n’a pas semblé l’émouvoir davantage.
Cette fois, le salut n’est pas venu de N’Djamena. Le scénario de novembre 2010 qui avait vu l’armée tchadienne bombarder Birao pour disperser les rebelles de la CPJP n’a pas été rejoué. Sans doute, Bozize a-t-il sous-estimé les rancoeurs des rebelles de ce mouvement, rendus furieux par la disparition au début 2010 à Bossembelé, à 150 km au nord-ouest de Bangui, de leur chef historique, le colonel-pharmacien Charles Massi, qui, affirment ses partisans, est mort sous la torture après avoir été remis par l’armée tchadienne aux autorités centrafricaines. A ces rancoeurs, s’est ajouté le ressentiment né de l’échec de la démobilisation consécutive aux accords de paix de 2008 auquel avait souscrit l’UFDR et la frustration engendrée par la fraude massive lors de l’élection présidentielle de janvier 2011, contestée par l’opposition unanime et par les circonstances de la mort le 5 avril 2011 dans un hôpital de Douala du principal challenger de Bozize, son prédécesseur élu, Ange-Félix Patassé, dont les partisans ont accusé Bozize d’être « personnellement responsable » de la mort de leur chef, pour l’avoir empêché pendant trois semaines d’aller se faire soigner à Malabo.
Il n’y a pas de doute que les rebelles ont été également encouragés par la lassitude d’Idriss Déby, fatigué d’avoir à soutenir un régime incapable de s’aider lui-même et par la faiblesse des Forces armées centrafricaines (FACA), sans doute la seule armée de la région, à se montrer plus indisciplinée et plus désorganisée que les Forces armées de la République démocratique du Congo. Depuis des années, l’autorité de l’État centrafricain ne se limite plus guère qu’à une zone de 80 km autour de Bangui, garantie de facto par les quelque 300 hommes de l’opération Boali qui doivent en plus assumer des tâches d’instruction des FACA. Ailleurs, c’est le royaume des coupeurs de route ou des milices du Kwa na Kwa (KNK), le parti de Bozize qui rackettent les voyageurs.
Nulle part sur le continent, hormis peut-être dans certains régions reculées du Congo-Kinshasa voisin, l’absence d’État ne se fait autant sentir, au point que l’ancien ambassadeur centrafricain à Bruxelles Guy Sokambi évoque le concept d’ « État creux » plutôt que d’État fragile pour décrire la situation. Si Séléka a rencontré aussi peu de résistance c’est que beaucoup n’ont pas vraiment intérêt au maintien d’un système qu’on peut caractériser par une crise sociale aggravée. Près de deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté dans cet État qui néglige ses propres fonctionnaires. En décembre, au moment de l’attaque des rebelles, leur mécontentement avait atteint un paroxysme. Les syndicats réclament toujours le paiement d’arriérés de salaires qui, dans certains cas, remontent à la Présidence de Patassé, il y a dix ans. Début décembre, les écoles primaires étaient en grève à Bangui. Des défis qui seront plus difficile à relever que le partage des maroquins ministériels après les accords de Libreville.
Non seulement, les quelque 10 000 soldats centrafricains sont mal payés, sous-équipés et à peine plus nombreux que les rebelles, dont l’effectif total dépasserait les 6 000 hommes selon des sources diplomatiques à Bangui. Mais les FACA sont démoralisées, surtout après que Bozize les ait copieusement tancés après leur déroute. Elles sont aussi totalement désorganisées, rendant Bozize totalement dépendant des soutiens extérieurs. En pleine bataille en décembre, Bozize a écarté le chef d’État-major Guillaume Lapo et l’a remplacé par son fils, Jean-Francis, ministre de la défense, ancien-caporal-chef de l’armée française, promu général des FACA, avant de limoger ce dernier. La famille-même du chef de l’État est également divisée depuis le limogeage en juin du numéro deux du gouvernement, le neveu de Bozize, le Lieutenant-Colonel Sylvain Ndoutingaï, Ministre des Finances après avoir été Ministre de l’Énergie et des Mines.
La crainte prévaut chez certains intellectuels centrafricains que les pourparlers de Libreville n’aient pas résolu les problèmes de fond à Bangui, où les germes de la haine ont été semés et il faudra bien les éradiquer. Derrière le rempart des troupes de la Force multinationale d’Afrique Centrale qui ont installé un verrou à Damara, 75 km au nord de Bangui, début janvier, Bozize a déclenché une chasse ethnico-religieuse dans la capitale. Des jeunes miliciens, dits « patriotes » ou « kokola » (flèches en langue sango), ont commencé à partir du 2 janvier à perquisitionner les quartiers musulmans de Bangui, à la recherche de prétendues caches d’armes, avec pour objectif d’intimider les opposants. Bozize a accusé le Séléka d’être composé d’intégristes wahhabite voire de Djanjawids soudanais, afin de se gagner les sympathies occidentales. Sans guère tromper son monde. Et les miliciens ont dressé des barrages avec des pneus, des piquets et des grosses pierres dans les rues de la capitale.
Pendant que les délégations débattaient encore à Libreville, les tensions montaient à Bangui où les manifestants pro-Bozize se sont déchaînés contre deux des principaux représentants de l’opposition non-armée, l’avocat Nicolas Tiangaye et le chef du Mouvement de libération du Peuple Centrafricain (MLPC), Martin Ziguélé. Selon des témoins à Bangui, Radio Centrafrique a retransmis les slogans des manifestants pro-Bozize sur la place PK0 le 10 janvier, criant en langue sango à l’adresse de Tiangaye un chant de haine, digne de la sinistre radio des mille collines au Rwanda, « ce qui est arrivé à Massi t’arrivera aussi ! » (Ses partisans soupçonnent que le colonel Massi est mort torturé par les FACA en 2010). Du coup, la capitale risque de ne pas être confortable pour Martin Ziguélé et Tiangaye dans les semaines à venir.
Cela dit, la rébellion a aussi faiblesses. Elle a dû aussi concéder à Libreville le retrait des villes qu’elle a a conquises lors de la campagne-éclair de décembre. Beaucoup d’observateurs soulignent son caractère hétéroclite, son absence de programme et les querelles de chef qui la traversent. Il ne faut pas oublier que dans le passé, avant la formation de Séléka, deux des principaux groupes, la CPJP et l’UFDR se sont parfois combattues. Il ne faut pas non plus exclure que des divergences apparaissent entre les rebelles et les politiques, dont la principale figure Martin Ziguélé, deux fois candidat malheureux à la Présidentielle contre Bozize.