Depuis 1958, la République centrafricaine a toujours cherché à
construire un ordre politique basé sur un régime démocratique et fondé sur l’Etat de droit garantissant la sécurité des biens et des personnes. Les différentes constitutions qui se sont
succédées en République centrafricaine n’ont pas manqué de souligner la volonté du peuple centrafricain à créer un véritable « Etat de droit » à la manière occidentale et de bâtir
une communauté politique fondée sur le règle du droit.
Sans prendre en compte les actes constitutionnels et les révisions subséquentes, la
République centrafricaine s’est, jusqu’à ce jour, dotée de six (6) Constitutions. Le 9 février 1959, l’Assemblée législative a adopté le première Constitution centrafricaine qui,
s’inspirant du modèle français, a instauré un régime parlementaire rationalisé. L’idée développée par Abel Goumba, collaborateur direct de Barthélemy Boganda, était de ne pas totalement rompre
avec la métropole sur le plan juridique. Le 4 décembre 1976 une nouvelle Constitution érige la République centrafricaine en Empire centrafricain. Le 1er février 1981 une autre
Constitution marque le retour à la République, mais elle n’a jamais été appliquée en raison de l’état d’urgence décrété par David Dacko suite à son élection controversé et les troubles qui s’en
sont suivi notamment l’explosion d’une bombe au cinéma Le club. Le 21 novembre 1986, une nouvelle Constitution établit un régime présidentiel fort et la particularité du référendum
constitutionnel réside dans le fait que le « oui » implique automatiquement l’élection du Général Président André Kolingba. Enfin, le 14 janvier 1995 une autre
Constitution va revenir à la case départ, c’est-à-dire elle a instauré un régime semi-présidentiel au modèle français. Mais elle n’a connu que huit ans d’existence puisque par Acte
constitutionnel signé le 16 mars 2003 par le Général François Bozizé, elle a été suspendue puis abrogée purement et simplement par la Constitution eu 24 décembre 2004. Cette dernière
Constitution est donc l’œuvre d’un homme, Général François Bozizé qui voulait faire de la République centrafricaine un havre de « Travail rien que le travail » soulignant ainsi
sa rupture avec le régime précédent. Néanmoins cette Constitution est tellement verrouillée qu’aucun pouvoir constitué ne pourra la tripatouiller. L’allusion est faite à l’article 108 qui dispose
que « Sont expressément exclus de la Révision : la forme républicaine de l’Etat, le nombre et la durée des mandats présidentiels, les conditions d’éligibilité, les
incompatibilités aux fonctions de Chef d’Etat, les droits fondamentaux du citoyen ». Comme le dit si bien Maître Assigambi Zarambaud dans sa manière habituelle satirique,
« cette disposition est la clé d’une porte qu’on a fermé et jeté dans l’Oubangui ». Le Président de la République élu sous la bannière de cette disposition ne pourra
passer que cinq ans renouvelable « une seule fois ».
Cependant l’une des problématiques récurrentes a toujours été celle de
l’équilibre des pouvoirs : comment sont-ils répartis en République centrafricaine ? Y a-t-il empiètement ou débordement ? Bref, difficile est de chercher à savoir si
l’équilibre obtenu par la répartition des pouvoirs instauré par la Constitution est fragile ou pas.
Autant la Constitution cherche à instaurer un régime plus stable, autant la
conjoncture politique démontre que ce n’est pas facile dans les faits. Au moindre souci politique on se rend compte que plus rien ne marche sur le plan institutionnel. Depuis 2005, une année
seulement après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, la République centrafricaine devrait face à des crises politiques ponctuées par des soulèvements militaires. Le contexte de
l’équilibre institutionnel de la Constitution du 24 décembre 2004 (I) est mis à mal par la conjoncture politique (II).
I. Le contexte institutionnel de la Constitution du 24 décembre
2004
Les institutions désignent l’ensemble des formes ou des structures politiques qui
sont établies par la Constitution. Ses articles désignent non seulement les autorités investies du pouvoir politique et organisent la procédure selon laquelle seront désignées les personnes
chargées d’incarner les pouvoirs, mais aussi les conditions d’action des gouvernants en déterminant leurs compétences respectives. Le contexte, en République centrafricaine, révèle
que, sur le plan théorique, le principe l’équilibre institutionnel (A) est difficile à envisager sur le plan pratique (B).
A. Le contexte théorique : le principe de l’équilibre
institutionnel
Le principe de la séparation des pouvoir est le fondement, aujourd’hui, de tout
organisation politique. Il apparaît même comme le critère fondamental de l’exercice du pouvoir démocratique. Il est conçu comme un équilibre des pouvoirs grâce à un jeu de freins et de
contre poids. Le principe repose donc sur la répartition des fonctions entre différents organes indépendants les uns des autres qui forment chacun un démembrement du pouvoir.
L’essentielle des compétences réside dans la fonction de : faire la loi, l’exécuter et rendre justice.
A la lecture de l’actuelle Constitution de la République centrafricaine il s’y
dégage deux séries de pouvoirs : les pouvoirs décisionnels et les pouvoirs régulateurs. Les premiers sont des pouvoirs politiques, organes clés du régime, et jouent un rôle primordial
dans le fonctionnellement des institutions. Dans le schéma la Constitution a réparti l’exercice les pouvoirs entre deux organes à savoir l’exécutif et le législatif comme pouvoir de
poids.
L’exécutif joue un rôle primordial dans son fonctionnement lorsqu’il a
le soutien de la majorité parlementaire. Il est le seul organe capable d’élaborer une politique et de la mettre en œuvre. Le Président de la République est le Chef de l’exécutif. Et, la
Constitution a mis sur pied un Gouvernement responsable de la gestion des affaires et dirigé par un Premier ministre nommé et révoqué par le Président de la République, mais aussi
responsable devant l’Assemblée nationale.
Le législatif centrafricain est exercé par un Parlement en chambre unique portant
le nom de « Assemblée nationale ». L’exécutif et le législatif collaborent donc dans la détermination de l’ordre du jour à l’Assemblée nationale.
Quant aux pouvoirs régulateurs, il s’agit des organes juridictionnels capables de
contrôler et de sanctionner les défaillances des pouvoirs exécutif et législatif. L’originalité réside donc dans l’institutionnalisation de la Cour constitution chargée dé
« trancher les litiges de compétence entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et les collectivités territoriales ». La plus importante de ses missions est de
cantonner le législatif dans le domaine à lui assigné. Ainsi le contrôle de la conformité de la loi à la Constitution prend place parmi les premières mesures de la Cour constitutionnelle ;
mesures destinées à limiter la puissance de l’Assemblée nationale.
B. Le contexte pratique : le difficile équilibre
institutionnel
L’objectif du constitutionnaliste repose sur la séparation des pouvoirs. En
pratique, en République centrafricaine, le pouvoir est presque « un ». Il se divise difficilement au point que le Président de la République bénéficie d’une suprématie
écrasante à l’égard des autres pouvoirs.
En réalité, le Président de la République est le premier et principal détenteur du
pouvoir. Son pouvoir personnel se manifeste par la concentration du pouvoir aux mains d’un seul homme qui domine simultanément le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif contrôlant aussi
son parti au pouvoir. C’est le Président de la République qui détermine l’ordre du jour à l’Assemblée nationale. Il est le seul capable d’élaborer une politique et de la mettre en
œuvre : prendre des décisions, faire progresser et réaliser des programmes, engager et conduire des négociations, sanctionner des défaillances, etc.
Le Premier ministre joue juste le rôle de courroie de transmission entre l’exécutif
et le législatif. Mais l’expérience de nomination du Premier ministre révèle que celui-ci n’est pas forcément l’émanation du Parlement. Il n’est que le premier des ministres. Il est l’homme du
Président qui le remplacer comme il veut puisque le Président de la République est à la fois leader de la majorité présidentielle et leader de la majorité parlementaire.
Par-dessus tout le Président de la République dispose de prérogatives exorbitantes
de dissoudre l’Assemblée nationale sans pouvoir être destitué en contre partie. La très nette prédominance du Président de la République est constatée au point qu’on puisse parler de
« présidentialisme renforcée ». L’Assemblée, à l’issue des élections de 2011 étant dominée par une majorité écrasante du parti au pouvoir, le rôle des députés se borne
donc à « applaudir » voire à « enregistrer » les projets du Président de la République à défaut de susciter les discussions par les partis de
l’opposition.
Concrètement l’équilibre institutionnel en République centrafricaine ne met pas en
présence les organes institués par la Constitution. Il repose, en réalité, sur les partis politiques siégeant à l’Assemblée nationale. Ce sont les partis qui animent la vie politique
à laquelle les institutions ne fournissent qu’un cadre formel. Et, la conjoncture politique est là pour entamer le principe de l’équilibre des institutions.
II. La recherche de l’équilibre par des solutions
politiques
Depuis la Constitution du 24 décembre 2004, le gouvernement issu des élections de
2005 ont dû changer de politique pratiquement tous les deux ans. Que révèle cette fatalité ? La République centrafricaine est un pays de crise au pluriel : crise
politico-militaire, crise sociale, marasme économique, etc. C’est presque la malédiction. Le gouvernement et les partis politiques de l’opposition entendent diriger la République centrafricaine
non pas à base de la Constitution mais chaque fois qu’il le faut sur des accords politiques (A) qui ouvrent la voie à la formation d’un gouvernement d’union nationale (B) sapant ainsi le principe
de l’équilibre institutionnel.
A. Des arrangements politiques inefficaces
L’année 2010 avait été décrétée par l’Union africaine comme
« L’année de la paix et de la sécurité pour l’Afrique » parce que des élections présidentielles ont eu lieu dans la paix dans la plupart des pays d’Afrique subsahariens.
Hélas ! La République centrafricaine, en cette année, était restée « aux marges de l’Afrique ». Des mouvements armés chroniques assortis d’insécurité ont
retardé l’organisation des élections de 2010. La Cour constitutionnelle, saisie, a reporté ces élections créant, de droit, un vide institutionnel.
Entretemps deux accords de paix de Syrtes en Lybie et à Libreville et des
recommandations issues du dialogue politique inclusif ont été signés par les acteurs de la vie politique centrafricaine. Ses accords devraient faire respecter la Constitution et l’équilibre
institutionnel. Peine perdue ! Ils n’ont pas mis fin aux velléités et aux ambitions obsessionnelles du pouvoir en République centrafricaine. Le non respect d’un accord engendre la
signature d’un autre accord.
Il s’agit, en fait, de partir du constat historique qui veut que toute fin de
guerre civile soulève le problème de la paix par le règlement des différends ou par la résolution des conflits. En d’autres termes, il faut admettre
que toute fin de guerre pose la question de la consolidation de la paix par
l’élimination des causes et facteurs générateurs des hostilités militaires. Jusqu’à présent tous les types d’accord du cessez-le-feu aux lois d’amnistie en passant par des pactes de réconciliation nationale et des recommandations issues de grandes rencontres, tous les arrangements politiques ont échoué. Et pourtant,
certains arrangements sont présentés comme la panacée. Or, c’est un fait indéniable : le retour l’équilibre et à la stabilité passent par ces arrangements. C’est le sens même de l’Accord de Libreville du 11 janvier 2013.
Il est nécessaire de s’interroger sur l’effet de cet arrangement politique par l’analyse des techniques juridiques qui lui donne son efficacité.
La difficulté ici, ce n’est pas tant l’acte formel mais bien le contenu politique
de l’arrangement. Si l’accord de Libreville capote, c’est que le compromis dont il est le reflet est mauvais. Ou alors, il faut admettre que le pacte conclu entre les belligérants n’est pas
respecté. Il s’en suit alors une interrogation sur l’organe de contrôle et
sur le type de contrôle. Le débat refait surface en République centrafricaine puisque les accords politiques mettent en veilleuse certaines dispositions constitutionnelles.
B. Le gouvernement d’union nationale
La remise en cause constante des institutions en RCA conduit à s’interroger sur la
capacité du gouvernement d’assurer réellement la direction des affaires publiques. Il paraît, en effet, difficile, à l’exécutif menacé de renversement de mener des actions
susceptibles de mettre en place des services publics stables susceptibles de conduire une action d’intérêt générale. Les difficultés du gouvernement trouvent leur origine dans sa
composition et dans son incapacité administrative à œuvrer pour la
protection de la population.
A la faveur des crises qui n’ont cessé de secouer la République
centrafricaine, le paysage politique a toujours fait montre d’un type de
gouvernement différemment désigné sous l’expression : gouvernement
d’union nationale, gouvernement de
consensus, gouvernement de large ouverture, etc. Ce type
de gouvernement, totalement différent du gouvernement de la majorité ou de
cohabitation ou encore de la coalition, a toujours été vécu comme une solution d’apaisement des crises
militaro-politiques. En général, la pratique permet la
coexistence au sein du gouvernement de ministres issus non
seulement du parti au pouvoir, mais aussi de l’opposition
politique ou armée. Or, l’expérience, en République centrafricaine, révèle que depuis près de dix ans, le
gouvernement d’union nationale est devenu une pratique politique, voire une formule incantatoire vide de sens. Dès lors, il y a lieu de s’interroger sur l’efficacité d’une telle solution.
Si tout le monde participe au gouvernement, qui agit finalement ? Qui est
responsable ? Les personnes qui participent et décident ont-elles les compétences nécessaire pour le faire ?
La formation de ce type de gouvernement a certes, pour objet la volonté d’anticiper une crise. Le gouvernement devrait, sans doute, s’en tenir à l’administration des affaires courantes.
L’activité politique sera réduite à un simple exercice de « problem solving ».
Au départ, il convient de retenir que c’est l’action de l’opposition qui force le pouvoir en place à la recherche d’un compromis pour sauver à la fois l’intérêt national et le pouvoir établi. Dans ce cas précis, l’appel d’oxygène en provenances d’autres
tendances politiques marque la volonté du Chef de gouvernement chargé de former son équipe de mettre fin à la crise et de sauver la face sur le plan national. Il est alors évident que le
Chef de l’Etat accepte, ce faisant, tacitement, le partage du pouvoir et la révision de ses objectifs, de sa vision politique et de son programme.
Mais, l’ouverture ne doit pas être l’occasion de chercher discrètement à affaiblir
l’opposition ou le camp d’en face. Elle doit se faire dans un
esprit louable, de recherche de nouvelles idées, de faire participer au gouvernement les principaux courants politiques. Ainsi, il s’agit de redynamiser l’équipe gouvernementale
et d’apaiser une tension politique latente. En d’autres termes, il s’agit pour le Chef du gouvernement d’avoir recours à de nouvelles ressources humaines techniques et politiques pour résoudre un problème ponctuel
de gouvernement. Le plus souvent, il est recherché des techniques nouvelles pour changer le mode de gouvernance ou gérer des programmes. L’objectif est de trouver un nouvel équilibre politique, d’apaiser une
tension sociale.
En sera-t-il ainsi du gouvernement de Maître Nicolas Tiangaye issu de l’accord de
Libreville du 11 janvier 2013 ?