Les premières leçons de droit constitutionnel sur le concept de l’Etat enseignent aux étudiants des facultés de droit que
trois (3) conditions cumulatives et dirimantes doivent être réunies pour qu’il y’ait un Etat ; à savoir la présence d’une population, d’un territoire et d’un pouvoir de contrainte ;
autrement dit une police et une armée.
Il suffit que l’un des trois (3) éléments constitutifs de la notion d’Etat puisse faire défaut pour que l’on ne s’autorise
plus à parler d’Etat.
On serait alors en présence de ce que je qualifierais d’un Etat-fiction ou d’une fiction
juridique ou encore d’un objet politique non identifié (OPNI). C’est une façon de souligner l’importance du rôle de la force publique dans la
composition de l’Etat.
L’histoire récente pose avec acuité et de façon lancinante la problématique de l’armée en Centrafrique.
Depuis les indépendances à nos jours, les pouvoirs en place ont volontairement passé en seconde position la question de
l’armée, allant jusqu’à confier la sécurité du pays à des puissances étrangères. Tantôt à l’ancienne puissance coloniale qui a même stationné pendant plusieurs décennies ses bases militaires,
chez nous, notamment à Bangui et à Bouar ; fût-ce en vertu d’accords de défense ou de coopération militaire. Tantôt, et c’est une nouveauté, elle a été sous-traitée aux Etats de la
sous-région. Faisant, du coup, de notre pays, un Etat sous tutelle.
C’est ainsi que l’on compte jusqu’à une dizaine de forces étrangères, aujourd’hui, sur notre sol. Sans omettre de signaler
l’épisode douloureux de l’intervention de forces non conventionnelles appelées à la rescousse d’un pouvoir aux abois.
Sans, bien sûr, oublier de mentionner la présence de forces rebelles non invitées et hostiles venues de pays de la région et
en butte à leur gouvernement après avoir été chassées par ces derniers et qui opèrent illégalement et impunément sur notre territoire en commettant, au passage, les pires atrocités sur nos
populations.
Je veux parler ici précisément des éléments de la LRA de Joseph Kony.
La question de l’armée n’a jamais été une préoccupation majeure pour les gouvernements successifs.
Avec la prolifération de mouvements de rébellion sur notre territoire, dans un contexte régional très troublé, l’on doit
désormais prioriser l’enjeu afin de garantir la sécurité à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières héritées de la colonisation.
Précaution sans laquelle, l’on prendrait le risque de mettre en cause l’existence même de notre souveraineté en tant
qu’Etat.
Aussi, nous pensons que la vision de l’armée jusque-là entretenue par les pouvoirs publics doit être radicalement
reconsidérée (I) pour pouvoir refonder de fond en comble notre outil de défense et de sécurité, gage de notre souveraineté nationale (II). Avant d’envisager
l’étude de l’application intégrale du DDR et des différents accords politiques comme une des voies possibles de sortie des crises politico-militaires à répétition (III).
Une vision de l’armée à reconsidérer par les pouvoirs publics
Les enjeux en la matière sont d’une importance telle que nos pouvoirs publics doivent impérativement revisiter leur logiciel
en matière de politique de défense et de sécurité pour que nos populations vivent dans un environnement pacifié.
L’armée ne doit plus être considérée comme une menace permanente pour les régimes en place (A) et ne plus
représenter un facteur d’insécurité pour les populations (B).
L’armée considérée comme une menace permanente pour les régimes en place
Jusqu’ à l’avènement des processus de démocratisation enclenchés en 1990, les alternances au pouvoir en Afrique se faisaient
malheureusement au bout du fusil ; avec leurs cortèges de dégâts collatéraux qu’on peut imaginer.
La RCA, comme nombre de pays du continent, n’a pas échappé à cette loi d’airain.
Ainsi, le nouveau pouvoir qui se met en place après avoir perpétré son pronunciamiento se méfie comme de la
peste de l’armée dont, pourtant, est issu le nouveau chef de l’Etat, chef suprême des armées et certains membres du nouveau gouvernement.
Dans la foulée de ce changement brutal, le nouveau pouvoir se refuse à considérer comme une priorité la question de l’armée
nationale, préférant privilégier la soldatesque fidèle constituée essentiellement de membres de l’ethnie du nouveau maître pompeusement appelé nouvel homme fort.
En conséquence, l’armée est vue, par le pouvoir, comme une menace permanente susceptible de le renverser à tout moment ou à
la moindre occasion.
C’est, en effet, dans cette ambiance de paranoïa forcenée et savamment orchestrée que vivent nos pouvoirs en Afrique en
général et en Centrafrique en particulier.
En Centrafrique, aucun régime militaire ou même civil n’a échappé à cette hantise. L’armée nationale va être
complètement délaissée au profit des éléments affectés à la sécurité et à la protection rapprochée du chef de l’Etat.
La Garde présidentielle parfois pompeusement appelée Garde républicaine se taille la part
du lion, s’octroyant quasiment tous les privilèges et attributs de l’armée au détriment de l’armée nationale obligée de se contenter de la portion congrue.
Une situation paradoxale de nature à créer une tension latente entre les deux forces qui vont se regarder en chien de
faïence. Les exemples d’affrontement entre Garde présidentielle et éléments des forces armées nationales sont légion sur le continent ; notamment lorsque la première est appelée au secours
pour rétablir l’ordre public après le soulèvement des seconds.
La Garde présidentielle est généralement mieux payée et mieux équipée que les forces armées nationales qui sont plutôt mal
payées, sous-équipées, peu considérées par leurs chefs et partant démotivées en temps de guerre civile ou de guerre tout court c’est-à-dire mettant aux prises deux Etats souverains.
C’est l’une des raisons pour lesquelles, lors des derniers évènements politico-militaires que le pays a connus, l’armée a
quasiment refusé de combattre, laissant ainsi les forces rebelles avancées jusqu’aux portes de Bangui.
Ainsi, tant que les conditions de vie de nos forces armées nationales ne se seraient pas nettement améliorées, celles-ci ne
se montreront guère aptes à défendre le pays et mener bataille conformément à leur mission traditionnelle de sauvegarde et de protection de l’intégrité du territoire nationale.
Et l’on assistera malheureusement au scénario que l’on a connu au mois de décembre où les forces de Séléka ont pu conquérir
les 3/4 du territoire national en l’intervalle de 3 semaines, mettant en déroute les FACA et même la garde présidentielle censée être plus aguerrie.
L’armée nationale doit cesser d’être perçue comme une menace permanente, un facteur d’instabilité, l’ennemi intérieur par le
pouvoir en place pour devenir une armée au service du peuple ; une armée au service des institutions et de l’intérêt général.
L’élément de confiance doit régner entre l’armée et son chef, tout comme la confiance doit exister entre l’armée et la
population. D’autant plus que, sociologiquement, l’armée n’est rien d’autre que l’émanation du peuple.
L’armée, un facteur d’insécurité pour les populations
Avec la multiplication des crises politico-militaires qui ont eu raison du pays, la RCA a connu une désorganisation de sa
structure militaire. Dans la précipitation, on a été amené à intégrer des supplétifs de l’armée dans ses rangs pour faire face à la menace du moment.
Du coup, cela a engendré des éléments souvent non formés, incontrôlés et incorporés dans les rangs des différents corps de
l’armée pour servir les besoins de la cause.
L’institution militaire, au lieu de jouer son rôle protecteur des populations, s’est transformée en une force contre le
peuple ; parfois en bourreau du peuple, n’hésitant pas à le brutaliser à la moindre incartade.
Ainsi, l’armée devient un facteur d’insécurité pour les populations. On a vu des soldats ivres, le fusil en bandoulière,
déambuler dans les bars et buvettes de Bangui et n’ayant pas hésité à dégainer sur de paisibles citoyens, venus profiter de réjouissances, pour des histoires de cœur ou des rivalités de
quartier.
L’on a vu des soldats manier la gâchette facile, se détournant ainsi de leur mission de sauvegarde et de protection des
populations.
Nos forces de défense et de sécurité doivent recevoir la formation qui sied. C’est-à-dire passer par les écoles nationales ou
régionales de formation afin d’être suffisamment imprégnés des valeurs et de l’éthique du métier des armes.
L’armée est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux mains d’amateurs ou de délinquants de tous poils.
C’est aussi l’occasion d’indiquer qu’il est urgent de réactiver nos écoles militaires qui ont fait, un temps, la fierté de
notre pays et formé la pépinière de notre armée.
Je pense ici à l’école militaire des enfants de troupe (EMET), et à l’école
supérieure de formation des officiers d’active (ESFOA).
Sans oublier de faire référence aux enseignements susceptibles d’être reçus dans les écoles nationales à
vocation régionale notamment africaine (Cameroun, Bénin, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal, etc.…) et les écoles européennes et américaines de formation d’élites
(France, Allemagne, Angleterre, Etats-Unis, etc..) ou chinoises grâce à la mise en œuvre de nos accords de coopération militaires avec ces différents pays.
C’est la condition pour espérer changer le visage de notre système de défense et de sécurité afin de ne plus être considéré
comme le ventre mou de l’Afrique centrale.
C’est la condition pour que nos forces de défense et de sécurité puissent représenter une réelle force de dissuasion pour les
velléités hégémoniques et territoriales des pays voisins sur fond de convoitise de nos matières premières fabuleuses et des ressources de notre sous-sol.
Ainsi, notre outil de défense et de sécurité pourrait renaître de ses cendres.
Un système de défense et sécurité à refonder de fond en comble
Compte tenu de l’état de délabrement très avancé de notre armée, nous pensons que celle-ci doit subir un véritable lifting
pour se rajeunir.
Cela passe par la mise sur pied d’une armée véritablement républicaine et professionnelle (A) et la révision
de la cartographie militaire du pays grâce à la constitution de régions militaires pour prendre en charge les zones frontalières affectées par les conflits (B).
La mise en place d’une armée véritablement républicaine et professionnelle
On a coutume dire « si vis pacem para bellum ». C’est-à-dire « si tu veux la paix,
prépares la guerre ».
La stabilité d’un pays dépend de la mise en place d’une armée républicaine et professionnelle. Condition sans laquelle, l’on
ne saurait parler d’une armée digne de ce nom.
Pour illustrer mon propos, je citerais le cas d’un pays comme le Sénégal qui n’a jamais connu de coup d’Etat militaire depuis
son accession à la souveraineté nationale. Cette stabilité politique est due à la nature républicaine et professionnelle de son armée qui s’est interdite de faire irruption sur la scène politique
et ce, en dépit de l’appel de certains hommes politiques exhortant l’armée à entrer dans le jeu politique en perpétrant un coup de force en cas d’organisation d’élections présidentielles
non transparentes.
Si la RCA veut se doter d’un régime politique démocratique et stable, elle doit s’atteler à fonder une armée capable de
défendre l’intégrité de son territoire. Ceci, en termes d’assimilation des valeurs, de la déontologie du métier et de la fourniture des moyens opérationnels d’intervention.
Ce pari et ce challenge passent par la mise en place d’une Commission du livre blanc sur la défense et la
sécurité.
Cette commission parlementaire pluripartite s’attachera à définir la politique de défense et de sécurité du
pays pour les années à venir. L’objectif étant de fixer la stratégie nationale et les capacités opérationnelles nécessaires dans les 15 à 20 années à venir en matière de défense et sécurité pour
répondre efficacement aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés dans un monde en général, et un contexte national en particulier, aussi instable que trouble.
Ensuite, une loi dite de programmation militaire formalisera les différentes propositions
contenues dans ce livre blanc. Telle est la condition sine qua non pour garantir l’élaboration d’une politique consensuelle de défense et de sécurité et espérer juguler les
crises politico-militaires à répétition qui ont réussi à faire la réputation négative de notre pays.
L’armée doit renfermer en son sein toutes les composantes ethniques du pays et non plus privilégier une ethnie notamment
celle du chef de l’Etat au détriment des autres qui seraient les laissés-pour-compte.
Un équilibre ethnico-régional sera utilement pris en compte dans la formation de notre armée pour éviter les
motifs de frustration et d’exclusion, facteurs principaux de troubles et d’instabilité et prétextes fallacieux à l’usage illégale et illégitime de la force.
L’effectif de l’armée actuellement située autour de 5000 Hommes doit être considérablement revu à la hausse pour porter
l’effort à 15000 Hommes et à terme à au moins 20 000 Hommes afin de répondre, en cas de besoin, aux défis sécuritaires.
Il est inadmissible qu’au moindre coup de butoir d’une rébellion, l’armée ne soit pas capable de tenir ses positions et
lignes de défense.
L’armée sera subdivisée en 2 grands groupes constitués d’ unités combattantes et des unités de
soutien assez étoffées pour pouvoir faire face aux agressions tant extérieures qu’intérieures.
L’armée doit pouvoir pleinement jouer son rôle régalien de sauvegarde et de protection de nos frontières. L’armée doit, en
permanence, inspirer crainte et respect, être capable d’être projetée, à tout moment, en cas de besoin, sur des théâtres d’opérations extérieurs.
Notre armée doit redorer son blason terni ces dernières années du fait des défaites successives enregistrées lors des
conflits internes.
Dans cette perspective, des centres d’entraînement et de préparation physique des soldats doivent être
installés à Bangui et à l’intérieur du pays.
C’est pourquoi, une réorganisation de notre système de défense et de sécurité sera envisagée dans la perspective de mailler
l’ensemble du territoire national.
La création de régions militaires
Les nombreux défis qu’imposent les conflits internes et même externes sont d’une ampleur telle que la cartographie
militaire du pays doit être redéfinie pour créer des régions militaires en dehors de Bangui, la capitale.
Ainsi, une zone militaire sera créée au nord-ouest, au nord, au nord-est et au sud-est. Cette politique de
restructuration permettra de prendre plus aisément en charge nos territoires durement secoués par des mouvements de rébellion ou susceptibles de servir de base-arrière aux forces rebelles de pays
limitrophes ou de la sous-région.
Cela permettra d’éviter à notre pays de servir de base-arrière à des opérations de déstabilisation des pays voisins.
Les éléments de l’armée de résistance du Seigneur (LRA) du chef rebelle ougandais Joseph Kony n’auraient pu trouver refuge et
sévir chez nous, pillant, violant nos filles et enrôlant de force nos enfants pour en faire des enfants-soldats si l’Etat avait su se prémunir en installant une zone militaire
dans la partie sud-est du pays.
Cette remarque vaut également à l’endroit du chef rebelle tchadien Baba Ladé qui a longtemps installé sa base-arrière dans le
nord-est du pays avant d’en être délogé par l’opération conjointe des forces armées centrafricaines et tchadiennes.
Si une armée digne de ce nom avait tout autant existé dans toute la partie nord et nord-ouest du pays, on n’aurait, sans
doute, pas assisté à cette prolifération de mouvements rebelles qui y opèrent allègrement grâce à l’implantation de leurs bases de repli dans ces zones.
La constitution de régions militaires sur l’ensemble du territoire devient donc un impératif catégorique
pour pacifier durablement le pays.
C’est pourquoi, la feuille de route concernant le programme DDR et les différents accords militaires avec les groupes
rebelles doit être rapidement mise en application.
L’application intégrale du dispositif DDR et des différents accords politiques, une des voies
possibles de sortie des crises politico-militaires à répétition
Les crises politico-militaires qui secouent depuis au moins 7 ans notre pays trouvent leur origine et leur résonance dans la
non-application du dispositif DDR (A) et des différents accords politiques signés mais non suivis d’effet à ce jour (B).
Le dispositif DDR
Si la crise politico-militaire a pu perdurer à ce jour, c’est principalement parce-que le dispositif DDR n’a
pas bien fonctionné c’est-à-dire n’a pas été appliqué dans toute son intégralité.
DDR évoque le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des anciens combattants ; notamment les
éléments ayant combattu dans les rangs des différents groupes rebelles. Il s’agit principalement de l’UFDR, de la CPJP, de l’APRD, des FDPC, de la CPSK.
Selon des indiscrétions, le financement prévu - une enveloppe de 8 milliards de F CFA obtenue dans le cadre d’une aide
financière exceptionnelle octroyée par des pays membres de la CEMAC - aurait fait l’objet de mauvaise gestion.
Nous souhaitons que ce programme convenu et signé en 2008 soit mis au goût du jour avec la signature des accords de
paix de Libreville et la formation du nouveau gouvernement d’union nationale.
Au moment où nous mettons sous presse, nous nous réjouissons d’apprendre que le gouvernement vient de choisir trois sites à
l’intérieur du pays pour assurer le regroupement et le cantonnement des ex-combattants notamment les éléments de Séléka et ceux des entités politico-militaires non combattantes.
Pourvu que le processus puisse être accéléré afin de rendre plus agréable la vie de nos concitoyens habitant les régions sous
contrôle des éléments de Séléka. D’autant plus que ceux-ci sont, dit-on, victimes d’exactions de la part de certains éléments incontrôlés du mouvement rebelle.
Le volet réinsertion de ce programme devrait rapidement être mis en œuvre grâce encore au concours financier
de nos partenaires traditionnels afin de permettre aux ex-combattants de réintégrer la vie civile fort de l’attribution du bénéfice de pécules.
La mise en œuvre des différents accords politiques
Depuis au moins 8 ans, la RCA a organisé, sous l’égide de la communauté internationale, plusieurs assises ou dialogues
politiques qui ont tous donné lieu à l’élaboration de recommandations qui n’ont malheureusement jamais été suivis d’effet malgré la mise en place, dans la foulée, d’organes de suivi destinés à
rendre applicables ces décisions ou solutions de sortie de crise.
Ces espaces de dialogue et de concertation ont généralement eu le mérite de traiter de tous les secteurs de la vie nationale
et même internationale et notamment des questions de défense et de sécurité.
Il est dorénavant temps de savoir respecter nos engagements et notre parole donnée.
Le contrat étant la loi des parties, nous appelons de nos vœux gouvernement, partis politiques de l’opposition démocratique,
mouvements rebelles combattants, groupes politico-militaires non combattants et société civile à rapidement passer à la phase de mise en œuvre de ces accords; du moins pour ce qui est de leur
volet militaire.
C’est du respect scrupuleux de nos différents engagements que naîtrera la possibilité de sortir définitivement de nos cycles
de crises politico-militaires chroniques avec leurs lots de violence et qui ont achevé de saper notre tissu économique et social.
Wilfried
Willy ROOSALEM