L'intervention de Martin ZIGUELE a été suivie de débats nourris qui ont duré plus de trois heures d'horloge, dans une ambiance fraternelle.
RENCONTRE AVEC LES CENTRAFRICAINS
BORDEAUX, 16 JUIN 2012
1- LA SITUATION POLITIQUE ACTUELLE
Le Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC) que j’ai l’honneur de diriger depuis six années jour pour jour, est un parti républicain d’obédience sociale-démocrate et qui de par sa nature et sa vocation, respecte la souveraineté du peuple centrafricain qui seul, à travers les urnes, a le droit de conférer à un ou plusieurs Centrafricains, le droit de le représenter et de le diriger. Pour qui connaît les circonstances et le credo du MLPC depuis sa création le 22 février 1979 dans le contexte de la lutte contre l’empire et pour la restauration de la République, ce rappel est d’importance.
L’histoire de notre pays est difficile : en cinquante ans d’indépendance, nous n’avons connu que quinze années à peine de pouvoir civil, et les Centrafricains n’ont dans leur mémoire collective que cette suite ininterrompue de coups d’Etats militaires dont le dernier en date fut celui de François BOZIZE le 15 mars 2003.
Les courtes périodes de restauration d’une pratique démocratique même incomplète, sont inexorablement suivies de longues périodes de « retours en arrière » autoritaires, dont le peuple centrafricain a toujours payé et paie aujourd’hui encore le prix sur le plan des libertés individuelles et collectives, de la pauvreté endémique, de la régression économique et sociale, et de ce sentiment globalement partagé de recul de notre pays sur tous les plans par rapport à ses voisins, alors que nos potentialités sont indiscutables..
C’est conscients de cette histoire difficile que les partis politiques de l’Opposition Démocratique dont le MLPC, avons tout mis en œuvre, depuis la période postélectorale jusqu’à ce jour, pour préserver la stabilité politique et sociale de notre pays.
Déjà en avril 2010, pour éviter une crise institutionnelle résultant de l’expiration du mandat du Président de la République et de celui des Députés le 11 Juin 2011, du fait de l’état d’impréparation des élections, nous avons proposé en toute responsabilité de prolonger le mandat du Président de la République, jusqu’aux élections groupées de 2011 sur la base d’un Accord Politique permettant une préparation consensuelle et apaisée des élections. Notre proposition a été rejetée avec mépris par le Général François Bozizé qui, en lieu et place de cette solution politique, a préféré instrumentaliser les institutions (Cour Constitutionnelle et Assemblée Nationale) afin de modifier les dispositions relatives à la durée du mandat du Président de la République et celui des Députés, alors que celles-ci sont non modifiables selon les termes de cette même Constitution.
Poursuivant sur sa lancée, et s’estimant au-dessus de la Constitution, du Code Electoral et des lois et Règlements de la République, et bien naturellement au-dessus des décisions de justice, le Général François BOZIZE rejettera d’une revers de la main l’Arrêt rendu en septembre 2010 par le Conseil d’Etat sur le découpage électoral suite à sa saisine par l’Opposition Démocratique, pour décider par décret du découpage électoral, en violation flagrante des dispositions du Code Electoral.
Enfin, s’étant affranchi, de toute obligation de respect de tous ses engagements antérieurs, le général François Bozizé s’emploiera à déstructurer et à caporaliser la Commission Electorale indépendante, pour s’assurer de la victoire avant même les scrutins. La traduction concrète de cette volonté délibérée du pouvoir a été la mauvaise organisation, à dessein, de ces élections du 23 janvier 2001 qui se sont déroulées dans un désordre « organisé » afin de faciliter des fraudes massives au profit de François Bozizé.
Les élections du 23 janvier 2011 resteront dans les annales de notre pays comme le summum en matière de tricheries électorales, dignes de figurer en bonne place dans le classement du « Guinness book of records ». Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, nous avons véritablement assisté à un simulacre d’élections, au sens étymologique du terme : listes électorales non affichées avant le scrutin, cartes d’électeurs de plusieurs types et de diverses provenances, interdiction faite aux délégués des candidats de surveiller le scrutin, interdiction du Président de la CEI de remettre aux représentants des candidats les procès-verbaux des résultats, etc., etc.
Les choses étant claires, nous avons demandé le 27 Janvier 2011 le départ de nos représentants de la Coordination Nationale de la Commission Electorale Indépendante (CEI), et avons décidé de ne pas reconnaître les résultats de ces simulacres d’élections.
Il faut souligner que pour la première fois dans l’histoire de notre pays, en dehors de l’opposition démocratique, différents rapports d’experts de l’Union Européenne (UE), de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), de l’Electoral Institute of South Africa (EISA) et de l’Observatoire National des Elections (ONE, ont également conclu sans réserves que ces élections ont été émaillées de dysfonctionnements tels qu’ils leur ôtent tout caractère régulier et rendent leurs résultats « sujets à caution ».
Respectueux de la légalité, nous avons introduit des requêtes motivées en annulation auprès de la Cour Constitutionnelle. Les décisions rendues par cette juridiction nous ont apporté la preuve supplémentaire que seule la volonté de François Bozizé était la base du droit dans notre pays, surtout que dans son arrêt la Cour Constitutionnelle émet des recommandations pour les scrutins futurs, qui reprennent l’essentiel de nos griefs et ceux d’observateurs internationaux à l’encontre du processus électoral.
C’est donc devant la fermeture hermétique de toutes les voies de recours que nous avons décidé de nous retirer définitivement du processus électoral, et de créer le 4 Mars 2011 la plate-forme politique de lutte de l’opposition démocratique baptisée Front pour l’Annulation et la Reprise des Elections du 23 janvier 2011 (en abrégé FARE -2011) et dont les objectifs sont la défense de la Constitution de la République Centrafricaine et la préservation de ces acquis démocratiques ; l’annulation et la reprise des élections groupées du 23 Janvier 2011 dans le strict respect de la Constitution, du Code Electoral et des Recommandations du Dialogue Politique Inclusif ; la dissolution de la Commission Electorale Indépendante et sa recomposition ; et enfin la sensibilisation et la mobilisation de l’ensemble des populations centrafricaines en vue d’atteindre ces objectifs.
Aujourd’hui plus que jamais, les objectifs du FARE demeurent d’actualité :
1- La défense de la Constitution de notre pays et la préservation de nos acquis démocratiques demeurent l’impératif catégorique de tout démocrate et de tout républicain, devant le retour chaque jour plus évident, à l’autocratie et à l’autoritarisme dans notre pays.
2- L’annulation et la reprise des élections groupées du 23 Janvier 2011 : si feu Barthélémy Boganda s’était présenté aux élections du 23 janvier 2011, il n’est pas sûr qu’il ait été élu député. Pourquoi ? Parce que pour la première fois encore dans l’histoire de notre pays, de tous les chefs de partis politiques de l’opposition démocratique candidats aux législatives, aucun n’été « élu ». Comme vous le savez, François Bozizé a prétendu avoir été élu à plus de 66% au premier tour, tandis que sur les 105 sièges à l’Assemblée Nationale : 79 sont occupés par le KNK, parti au pouvoir, 10 sont occupés par les alliés du KNK, 10 par les indépendants KNK et 05 par les non-inscrits. Résultat des courses : depuis le retour de notre pays au multipartisme en octobre 2003, l’ensemble de l’opposition démocratique est exclu pour la première fois de l’Assemblée Nationale. Ce lieu universel du débat démocratique, qui dans notre pays a toujours été représentatif des forces politiques nationales depuis 2003, est désormais transformé en une chambre d’enregistrement.
De plus quand on regarde le profil des députés « élus », on est en droit de se poser des questions sur nos conceptions respectives de la république.
La seule question aujourd’hui est celle-ci : où doivent s’exprimer les partis politiques et doivent –ils exercer leur action politique et leur droit de contrôle de l’exécutif
Dans toutes les démocraties représentatives, l’Assemblée Nationale est le lieu par excellence où s’exerce au quotidien le dialogue politique national permanent. L’exclusion des forces politiques ciblées de l’Assemblée Nationale est à la source de la crise politique aujourd’hui, et naturellement nous exigeons plus que jamais, l’annulation des élections présidentielle et législatives du 23 Janvier 2011 et leur reprise conformément aux dispositions de la Constitution, du Code Electoral, des lois et Règlements de la République, ainsi que des recommandations pertinentes du Dialogue Politique Inclusif.
3- La mise en place d’un dispositif électoral neutre et indépendant des partis en compétition : Comme je l’avais écrit dans mon adresse à nos compatriotes de Montpellier en mars dernier, François s Bozizé continue à dérouler les étapes suivantes de sa stratégie, en concoctant un projet de code électoral qui n’a qu’un seul objectif : exclure les partis politiques de la structure qui devra gérer les prochaines échéances électorales et en confier de fait la totalité de la gestion au Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Dans cette nouvelle structure de gestion des élections, le Ministre de l’Administration du Territoire s’est attribué l’essentiel des compétences organisationnelles des élections, reléguant ainsi les Partis Politiques (toutes tendances confondues) au rang passif d’observateurs.
Ce projet de loi rejeté par toute la classe politique et la société civile centrafricaines, consacre définitivement l’option antidémocratique et dictatoriale d’un pouvoir qui veut s’assurer la victoire en dépit du suffrage universel.
Ce projet de loi qui a supprimé le deuxième tour pour l’élection des députés, porte les germes d’une grave crise politique car dans toute l’histoire politique de la RCA, il n’a jamais été organisé une élection à un seul tour. Le Rassemblement Démocratique Centrafricain, à l’époque parti unique, avait organisé un scrutin législatif à deux (2) tours. Le principe majoritaire étant le fondement de la démocratie, l’élection des députés avec un suffrage minoritaire est la plus grave atteinte à la gouvernance démocratique.
Ce projet de loi inique et scélérat est le test avant-coureur d’une modification de la Constitution afin de faire sauter le verrou constitutionnel de la limitation du nombre de mandat présidentiel.
Nous exigeons son renvoi en débat dans un séminaire regroupant les partis politiques, la société civile, l’Etat, avec l’appui de la communauté internationale.
4- Enfin, le FARE 2011 s’est employé à renforcer la sensibilisation et la mobilisation des populations centrafricaines en vue d’atteindre ces objectifs, parce que la problématique fondamentale aujourd’hui en République centrafricaine est l’existence même de la démocratie pluraliste. L’exercice de la vie démocratique devient chaque jour, au gré de François Bozizé, de plus en plus squelettique, dans un contexte de négation délibérée des principes universels admis de toute société humaine.
Dans toute démocratie, les partis politiques concourent à l’animation de la vie politique et à l’expression du suffrage populaire, base incontestable de toute légitimité. La série des violations impunies et répétées par le pouvoir de François Bozizé de la Constitution, des lois et règlements de la République, les graves atteintes quotidiennes des libertés individuelles et collectives, l’exclusion de l’opposition des institutions et du cadre politique formel, sont autant d’actes graves pour la paix et la sécurité dans notre pays, et expliquent grandement nos contreperformances économiques et sociales.
Pour finir, c’est pour toutes les raisons ci-dessus rappelées que mon parti et moi oeuvrons depuis lors avec d’autres partis de l’opposition démocratique dans le cadre du FARE 2011 et pour la tenue d’un véritable dialogue inter-centrafricain aux conditions mentionnées dans sa Déclaration solennelle du 11 juin 2012 reprise in extenso ci-dessous :
DECLARATION SOLENNELLE RELATIVE AU DIALOGUE INTER-CENTRAFRICAIN
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Une semaine après le séjour à Bangui du 5 au 6 mai 2012 du Président de la République du Tchad et Président en exercice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), Son Excellence Monsieur Idriss DEBY ITNO et de l’émissaire de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), l’ancien Président burundais Pierre BUYOYA, qui ont bien voulu recevoir le FARE-2011 pour un entretien au cours duquel la question d’un véritable dialogue inter-centrafricain a été notamment abordée, le Général François BOZIZE comme à son habitude, a convié à la hussarde le 15 mai 2012 et sans ordre du jour au Palais de la Renaissance, l’opposition ainsi que les forces vives de la Nation pour une « communication non suivie de débats » et pour affirmer sa disponibilité à l’égard de ceux des « opposants qui aimeraient dialoguer avec lui individuellement ou collectivement ».
Comme l’a déjà affirmé le FARE-2011 dans sa récente déclaration sur la rencontre au Palais de la Renaissance du 15 mai dernier, « aucune perspective de sortie de crise ne peut se concevoir en dehors d’un dialogue franc, sincère et direct ». C’est bien le refus de concertation, le manque d’un véritable dialogue ainsi que la politique de l’autruche du Général François BOZIZE qui ont plongé le pays dans l’impasse et la situation de blocage qu’il connaît depuis les élections frauduleuses de janvier 2011.
Depuis le 15 Mai 2012, l’opposition est fondée à émettre les plus sérieux doutes et réserves sur la réelle volonté politique du Général BOZIZE de prendre part à un dialogue sincère, honnête et direct avec l’opposition démocratique, notamment avec le FARE-2011. En dépit de la série de rencontres avec les partis politiques organisées depuis le 31 Mai 2012 par le Général François BOZIZE, le FARE 2011 reste perplexe quant à la volonté réelle de ce dernier d’aller vers un dialogue. Les démarches secrètes déjà entreprises par les émissaires du Général François BOZIZE en vue de débaucher certains membres de l’opposition pour qu’ils fassent partie d’un futur gouvernement témoignent à suffisance de ce manque de volonté.
Faisant acte de bonne foi, face à l’espérance que suscite toujours pour le Peuple centrafricain toute perspective de sortie durable de crise et de restauration de la paix, conscient de ses responsabilités et tirant les leçons des expériences négatives du passé, le FARE-2011 dit clairement OUI à la tenue d’un vrai dialogue inter-centrafricain mais pose néanmoins certaines conditions.
Pour que ce dialogue soit une réussite et puisse déboucher effectivement sur un dénouement réel de la crise centrafricaine qui n’a que trop duré, il exige qu’il se déroule sous la médiation d’une personnalité de l’Afrique Centrale reconnue pour sa parfaite connaissance de la situation politique et sécuritaire centrafricaine et pour son attachement à notre pays, et sous les auspices de la Communauté internationale, particulièrement des Nations Unies, de l’Union Européenne, de l’Organisation Internationale de la Francophonie et de l’Union Africaine, à qui il lance d’ores et déjà un appel solennel afin qu’elle puisse s’impliquer au plus haut niveau.
Le FARE 2011 estime que la réussite de ce dialogue nécessite que soient remplies quatre conditions:
1/ La première condition est la définition de la nature et des objectifs du dialogue
Le FARE- 2011 tirant les leçons d’un passé récent et de la crise que traverse notre pays estime que ce dialogue est de nature politique.
La crise engendrée par le simulacre d’élections de 2011 ajoutée à l’insécurité désormais endémique et à la mauvaise gouvernance ont divisé les centrafricains, détruit la cohésion sociale et gravement entamé la paix. Pour le FARE-2011, ce dialogue doit permettre de jeter les bases :
-du rééquilibrage des institutions ;
-de la mise en place effective des cadres de concertations politique et sociale ;
-de l’instauration des mécanismes pour la bonne gouvernance politique et économique ainsi que pour la lutte sans merci contre la corruption ;
-de la restauration de l’Etat de droit, d’une administration impartiale et efficace ;
-du retour à une paix durable, à la concorde et à l’unité nationales ;
2/ La deuxième condition est l’identification des acteurs
Le dialogue étant de nature politique, le FARE- 2011 d’une part estime que ses acteurs sont d’abord les partis politiques qui y délégueront leurs membres nantis d’une expertise avérée et d’autre part propose une participation paritaire entre la majorité présidentielle et l’opposition démocratique.
3/ La troisième condition est la détermination des thèmes d’intérêt national
La situation actuelle de notre pays, le temps que nous souhaitons bref pour ce dialogue et les défis à relever nous imposent de répartir les thèmes à débattre en deux groupes :
-Les problèmes politiques, institutionnels et sécuritaires
-Les problèmes économiques, sociaux et environnementaux
4/ La quatrième condition est l’Accord Politique Global
Tirant leçon des expériences passées, les résultats des travaux de ce dialogue doivent être sanctionnés par un Accord Politique Global signé par tous les acteurs et contresigné par le MEDIATEUR qui, en cas de difficulté dans la mise en œuvre des clauses de cet Accord, procède à l’arbitrage.
Fait à Bangui le 11 juin 2012
Pour le FARE-2O11
Le Coordonnateur
Me Nicolas TIANGAYE