A l'invitation de plusieurs association Africaines et
Maliennes, Martin ZIGUELE a fait une intervention très appréciée lors de la conférence débat, "Où en
est le Mali d'aujourd'hui pour le Mali de demain ?", qui s’est tenue de 14h à 18h le dimanche 1er juillet 2012, à la Bourse du Travail de Saint-Denis, 9-11 rue Génin
93200 Saint-Denis. Les autres intervenants de cette conférence étaient :
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Ismaël MAÏGA Sociologue, Directeur du Centre d’études de
langues et civilisations africaines de l’Université Paris 8
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Pierre BOILLEY Professeur à l’Université Paris1
Panthéon-Sorbonne, directeur du CEMAF
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André BOURGEOT Anthropologue, chercheur au CNRS/EHESS
spécialiste du Mali et du Niger
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Séga GOUNDIAM Chercheur malien
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Alain DUBOURG Afrique 2050
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Bandiougou DIAKITÉ Professeur
d’histoire
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Sidi «Tiwittin» groupe de musiciens maliens d'origine
Touareg
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Ndoula DIA Artiste
INTERVENTION DE MARTIN ZIGUELE A LA CONFERENCE-DEBAT SUR L’AVENIR DU MALI
SAINT-DENIS le 1 er juillet 2012
Je voudrais d’abord, avant d’apporter ma modeste contribution au débat sur les perspectives
de sortie de crise du Mali, m’incliner devant la mémoire de nombreuses maliennes et maliens tombés depuis le début de cette guerre fratricide, aussi bien dans le Nord du Mali qu’à Bamako. Mes
pensées vont également à ces hommes, à ces femmes et à ces enfants pris dans la tourmente, et que j’entends, le cœur déchiré, appeler quotidiennement à l’aide et au secours sur les médias internationaux, sans réponse probante jusqu’à ce jour.
En cette fin de mois de mars 2012, nos yeux étaient tous tournés vers le Sénégal où devait se dérouler un deuxième tour d’élections
présidentielles chargées de passion. Contre toute attente c’est du Mali que viendra la surprise : un coup d’Etat militaire s’est opéré pratiquement sans grande résistance à quelques semaines
du départ annoncé du Président élu qui ne se représentait plus, alors que dans la Nord du pays la rébellion progressait dangereusement.
Ce coup d’Etat du 22 mars dernier est d’autant plus triste qu’elle est venue mettre le doigt sur la problématique de la place et du rôle des
armées africaines dans les fragiles processus de démocratisation entamés par certains de nos Etats. En tant que Centrafricain et ressortissant d’un pays qui a déjà été et est toujours la proie de crises politico-militaires récurrentes, et où un fils du Mali, je veux parler du général Amadou Toumani Touré a eu à apporter une inestimable contribution durant les années 1996 à 2001,
pour aider les Centrafricains à surmonter certaines de leurs difficultés, c’est pour moi un honneur et un véritable privilège d’avoir été invité par les amis et associations du comité
d’organisation que je remercie, à prendre part à cette conférence -débat et à y intervenir
L’ex-président malien Amadou Toumani Touré avait coutume de dire aux centrafricains,
citant un proverbe africain que « Quand le feu de l’incendie sort de l’eau, il est difficile de
l’éteindre ». Il ne croyait pas si bien dire.
Aujourd’hui, cet incendie dont aimait plaisanter ATT, s’est déclaré de manière insidieuse au Mali son propre pays, à la faveur de la rébellion au
Nord du pays. Puis cet incendie a dégénéré en un pronunciamiento militaire qui l’a emporté lui-même
contre toute attente. Ensuite, le feu a pris de l’ampleur pour ravager tout le Mali, avec une sécession au Nord et une situation politique fragile à
Bamako.
Le constat que je fais est que le monde entier paraît comme impuissant à porter secours au Mali et malgré la fébrilité ambiante, tout le monde
semble regarder le feu continuer à détruire ce beau pays.
S’il est vrai que la complexité de la situation malienne, celle des pays voisins sahéliens et de
l’Afrique de l’Ouest d’une manière générale, ne facilite pas une compréhension aisée de ce conflit, il n’en demeure pas moins que sa première conséquence qui est l’inacceptable atteinte à
l’intégrité territoriale du pays, est à mon avis la donnée fondamentale de ce dossier. La division du Mali est tout simplement inacceptable, d’autant
plus que l’actualité qui défile très rapidement sous nos yeux démontre chaque jour que les forces irrédentistes jouent entre elles-mêmes à un jeu de colin-maillard.
Nous sommes ici pour nous parler franchement entre frères et sœurs , et je suis plus que convaincu, que pour résoudre le problème de l’unité
territoriale du Mali, il faut aussi et surtout commencer par bien régler la question de la légitimité et de la légalité du pouvoir tant politique que militaire à Bamako, et cela dans l’urgence.
En d’autres termes, plus vite et mieux sera réglée la question de la légitimité et de la légalité politique et militaire à Bamako, plus efficacement sera réglée la question de la sédition au
Nord. L’inverse ne me semble pas évident.
En effet, tout comme en Centrafrique en 1996, la brutale interférence des militaires dans la vie politique et la démocratie au Mali pourtant
souvent citée en exemple en Afrique, a démarré avec une banale mutinerie et de simples revendications corporatistes de soldats mécontents qui de fil
en aiguille, se sont transformées en exigences politiques qui ont finalement débouché sur le renversement des institutions républicaines et un coup d’Etat en règle dont nous déplorons
malheureusement les fâcheuses conséquences jusqu’à présent. Comme en Centrafrique, des hommes politiques assoiffés de pouvoir et tapis dans l’ombre , ont sans douté tiré les ficelles et
instrumentalisé ces soldats pour pêcher en eaux troubles et tenter de tirer les marrons du feu. Force est de constater que les multiples prétextes invoqués par les soldats mutinés pour justifier
leur action et renverser le président ATT ne leur traversent même plus l’esprit depuis qu’ils ont réussi leur coup d’Etat. Cela ôte naturellement toute crédibilité à leur entreprise qui hélas a
déstabilisé les institutions républicaines et plongé le Mali dans une dangereuse période d’incertitudes.
Comment peut-on logiquement entamer le processus militaire de récupération des territoires du Nord sans avoir préalablement réglé cette question
de légitimité et de légalité politique et militaire à Bamako? La position de la diplomatie américaine, exprimée ces jours-ci par le sous-secrétaire d’Etat aux affaires
africaines, sur ce point, me semble relever du bon sens.
Or que voyons-nous aujourd’hui ? A l’heure actuelle, nous avons d’un côté certains chefs d’Etat des pays directement ou indirectement
impliqués dans l’affaire malienne qui estiment qu’il n’y a pas d’autres solutions que l’usage de la force pour rétablir l’unité territoriale du Mali , et de l’autre côté, d’autres chefs d’Etat qui soutiennent que seules des négociations pourraient permettre de rétablir cette unité territoriale.. Outre le fait que ces divergences de conception , en ne réglant pas la question politique et militaire préalable à Bamako, entraînent une perte de temps et génèrent une paralysie
préjudiciable au prompt dénouement de cette crise qui ne doit pas s’installer dans la durée, mais en plus elles permettent une dégradation
quotidienne et continue de la situation sécuritaire, alimentaire et sanitaire dans la partie occupée du territoire où les populations n’ont le choix qu’entre la peste et le choléra : soit
regagner les camps de réfugiés dans les pays limitrophes, ou demeurer sur place malgré elles dans les villes sous occupation islamiste. Dans les deux cas leurs conditions de vie deviennent de
plus en plus préoccupantes et font craindre une catastrophe humanitaire.
A mon humble avis, dès que le préalable de la légitimité et de la légalité politique et militaire à
Bamako sera clairement, fermement et définitivement réglée, il faut que les institutions sous-régionales et régionales, CEDEAO et UA, saisissent de
manière plus convaincante et plus professionnelle le Conseil de Sécurité des Nations Unies, afin qu’une résolution soit prise pour envoyer une force multinationale appuyée par les principaux pays
membres de ce même Conseil de sécurité avec un mandat précis : réunifier territorialement le Mali, et éviter à tout prix éviter que les
terroristes islamistes qui viennent déjà de chasser du Nord Mali les indépendantistes du MNLA sous le prétexte qu’ils seraient soutenus par l’Algérie, ne s’incrustent davantage dans les villes
qu’ils contrôlent désormais et ne constituent durablement un danger pour la paix dans la région.
L’Algérie a un rôle primordial à jouer dans cette démarche car elle constitue objectivement, et pour des raisons évidentes, l’une des clés d’une
solution militaire et politique durable au Nord-Mali, de même que la Mauritanie.
Il y a une urgence à agir avec méthode et de manière inclusive dans cette crise malienne, car nous ne sommes là qu’en présence des premières
métastases de la crise libyenne et le danger est à la porte de tous les pays de la sous-région.
La dernière décision de la CEDEAO tendant à renforcer la légalité du pouvoir dans la capitale
malienne est un retour sur la bonne voie : il faut en effet se féliciter que la CEDEAO soit en train de corriger progressivement ses erreurs de départ comme elle vient de le faire,
s’agissant du chef de la junte de Bamako à qui elle vient de retirer le statut d’ancien chef d’Etat dont il avait été scandaleusement bombardé. Comme prime à un coup d’Etat, on pouvait
difficilement faire mieux. J’ajouterais qu’il ne faut désespérer de rien, le bon sens étant la chose semble t’il la mieux partagée.
Je conclus en disant que nous devons vraiment revoir nos manières de fonctionner dans chacun de nos pays, en apprenant notamment à anticiper les crises. Nous devons créer et renforcer des structures africaines d’analyse, de
prévisions et de prévention des crises, sur le modèle de ce qui existe ailleurs dans le monde. Nous devons surtout, comme l’a dit le Président Barack Obama à Accra et au Caire, renforcer la crédibilité de nos institutions démocratiques -notamment en stimulant les contre-pouvoirs - au lieu de nous concentrer sur la sanctuarisation du
concept d’hommes forts ou providentiels. C’est à ce prix que nous éviterons ces dangereux et inquiétants retours en arrière alors que nos peuples aspirent à la paix, à la sécurité et au
développement dans l’unité au-delà de nos différences de toutes sortes.
Je vous remercie,
Martin ZIGUELE
Paris, 1er juillet 2012