Didier Niewiadowski | ex-diplomate à Bangui
Du 17 au 27 avril 2014, la République centrafricaine a vécu quatre événements majeurs qui doivent être distingués de la barbarie quotidienne. Ces événements illustrent bien la dégradation de la situation sécuritaire, l’inanité des déclarations gouvernementales, les limites de l’action des forces internationales et de l’opération Sangaris, mais laissent aussi entrevoir de nouveaux développements, encore plus calamiteux, d’une crise plus que jamais hors de contrôle. Ces quatre événements ne peuvent être dissociés car ils sont interactifs.
Pour la première fois en Centrafrique, le week-end pascal, jadis source de réjouissances pour les communautés chrétiennes auxquelles s’associaient volontiers les musulmans, a été marqué par quatre enlèvements de religieux catholiques dont l’évêque de Bossangoa, ville martyre depuis la chute du président Bozizé. Si ces faits crapuleux ont connu une fin heureuse grâce aux forces internationales, en revanche, le curé de Paoua, en tournée pascale, n’a pas eu cette chance car il a été assassiné et son corps affreusement mutilé. Sans faire référence aux dramatiques attentats au Nigeria, qui sèment régulièrement la désolation lors des fêtes chrétiennes, il convient néanmoins de s’interroger : s’agit-il vraiment d’une simple coïncidence ?
Hostilité grandissante contre les militaires Pour la première fois depuis le début de l’opération Sangaris, le 5 décembre 2013, les commandos français, les 20 et 24 avril, ont été l’objet de réactions hostiles de type militaire, les obligeant à réagir en conséquence. Que ce soit à Grimari, contre d’ex-Séléka, ou au PK5 de Bangui, contre des anti-balaka, ces opérations armées se sont traduites par des une vingtaine de victimes centrafricaines. Déjà catalogués par certains Centrafricains de n’être qu’un détachement Boali Bis, les militaires de Sangaris risquent maintenant de devoir faire face à une hostilité grandissante, avec les conséquences dommageables prévisibles. En France, des voix s’élèvent contre les mauvaises conditions de vie de nos militaires et s’inquiètent de la vétusté des moyens militaires.
Le bourbier n’est-il pas désormais en vue ? Pour la première fois depuis le déclenchement de la crise, fin 2012, un hôpital de MSF, à Nanga-Boguila, a été attaqué, pillé avec un bilan dramatique de 22 tués dont trois membres de MSF-NL. En ce 26 avril, les rebelles, probablement des ex-Séléka bien installés dans cette région du Nord-Ouest, ont donc franchi un nouveau palier dans leur politique de terre brûlée. En l’absence d’Etat, les ONG humanitaires pourront-elles continuer leur indispensable aide à une population, de plus en plus livrée à elle-même ? Si leur départ devient inéluctable, la « somalisation » aura fait un grand pas et les pays voisins devront s’apprêter à accueillir une nouvelle vague de réfugiés, au risque de les déstabiliser davantage.
Sans avoir l’aval des autorités centrafricaines et contre l’avis de la force Sangaris, le Haut commissariat des réfugiés et l’Office international des migrations ont décidé, le 27 avril, de délocaliser les ressortissants centrafricains de confession musulmane, assiégés dans leur ghetto du PK 12 de Bangui. Les 1300 personnes furent ainsi transférées, dans des conditions inhumaines et non sans danger, vers la frontière du Tchad, sous la protection de la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique). Comment éviter la partition ? Faisant suite aux autres évacuations des milliers de musulmans des villes de l’Ouest, cette décision du HCR et de l’OIM donne une réalité à l’expression « épuration ethnico-religieuse » employée par le Secrétaire général de l’ONU.
La Centrafrique pourra-t-elle encore éviter la partition alors qu’une composante de sa population a été dépossédée de ses biens et contrainte de fuir la vindicte publique pour se réfugier dans une zone où l’islam est prépondérant ? Dans ce contexte calamiteux, les préparatifs de les élections présidentielles et législatives restent à l’ordre du jour. Des dizaines de personnalités se découvrent une vocation de Président et ne pensent qu’à ces échéances. Des experts en élections offrent leurs services et des sociétés spécialisées en matériels électoraux et en cartes individuelles sécurisées ont déjà lancé leurs actions de lobbying qu’il serait plus judicieux d’appeler de corruption.
Ne serait-il pas plus urgent d’amender la Charte constitutionnelle du 18 juillet 2013, ne correspondant plus au contexte actuel, de reconsidérer la composition du législatif et de l’exécutif de la transition, trop représentatifs de la présidence Djotodia et du cartel de l’ex-Séléka qui n’a plus d’existence juridique depuis sa dissolution le 13 septembre 2013, de proposer une feuille de route, avec des projets de développement économique et social, notamment dans le cadre des pôles régionaux de développement et de remédier à l’impunité des criminels, de redonner des perspectives à une jeunesse avec des projets à haute intensité de main-d’œuvre et de faire appel aux sapeurs du génie militaire des forces internationales pour reconstruire les infrastructures urbaines et les voies de communication.
La recherche de la paix, la reconstruction de l’Etat, l’arrêt du processus de partition du pays et la réapparition de l’état de droit seront certainement à ce prix.
Didier Niewiadowski est ancien conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Bangui (2008-2012).