Le Monde 30/04/14
L'attaque perpétrée samedi 26 avril à Boguila, dans l'enceinte même d'un hôpital géré par Médecins sans frontières (MSF), résonne comme un sinistre rappel de l'insécurité qui perdure en République centrafricaine. Selon le bilan établit par MSF, seize personnes ont été assassinées, dont trois employés locaux de l'organisation, et six autres ont été blessées.
« Une quarantaine de chefs de quartiers et de villages que nous avions sollicités s'étaient réunis pour des discussions à l'hôpital. Ils étaient assis devant la salle de consultation externe lorsqu'un groupe d'ex-Séléka est arrivé et a tiré sur la foule. Il y a eu des actes de pillage en ville et dans nos locaux, mais on ne connaît pas encore les raisons de ces assassinats qui ont visé des civils désarmés », raconte Sylvain Groulx, l'un des chefs de mission de MSF en RCA. L'ONG, dont le personnel avait déjà été pris pour cible dans cette localité située à 450 kilomètres au nord de Bangui, a suspendu ses activités dans la zone.
Si le général Mohamed Dhaffane, le nouveau président de la Séléka, rejette toute implication d'éléments sous ses ordres dans cette tuerie, selon plusieurs sources les assaillants étaient bien des membres de l'ex-coalition rebelle qui les jours précédant cette attaque se sont rendus coupables d'exactions dans les localités environnantes. Depuis qu'elle a abandonné le pouvoir le 10 janvier, sous la pression internationale, la Séléka s'est atomisée, les multiples chefs de guerre qui la compose se sont autonomisés.
DÉSUNION DANS LES DEUX CAMPS
« Cette attaque nous fait craindre un retour en force de la Séléka dans la partie ouest du pays, alors que ses combattants étaient jusque-là dispersés dans l'est», s'inquiète Jean-Jacques Demafouth, l'un des proches conseillers de la présidente Catherine Samba-Panza. « La Séléka n'existe plus. Il y a des chefs qui se sont ralliés au nouveau gouvernement, d'autres qui sont dans la nature et des bandits armés qui, parce qu'ils sont musulmans, se voient coller l'étiquette de Séléka », estime pour sa part un diplomate d'Afrique centrale en poste à Bangui. Une source militaire française considère quant à elle que l'alliance des divers groupes rebelles formée pour conquérir le pouvoir a éclaté et que les mouvements pré-existants sont en train de se reconstituer sous leur forme initiale.
La désunion est également palpable dans le camp opposé. Les milices anti-balaka, qui avaient trouvé un terrain d'entente pour mener la guerre contre la Séléka et bouter Michel Djotodia hors de la présidence, forment un ensemble hétéroclite, sans agenda politique clair. « Il y a ceux qui combattent pour le retour de Bozizé, les groupes d'auto-défense qui se battent pour leur communauté, les militaires qui veulent retrouver une place et désormais beaucoup de délinquants opportunistes qui profitent de la situation pour piller leurs voisins », analyse un observateur étranger.
A Bangui, l'insécurité n'a pas été totalement jugulée mais elle a été considérablement réduite. La fuite massive des populations musulmanes a privé les anti-balaka de boucs émissaires sur lesquelles ils exerçaient leurs vengeances, mais l'absence de redémarrage économique fait le lit du banditisme. En revanche, en province, les populations vivent toujours sous le joug des groupes armés.
Dans l'ouest du pays, des milliers de musulmans survivent prisonniers dans des enclaves, constamment à la merci d'une agression. Lundi après-midi, un convoi de près de 1300 musulmans qui avaient quitté Bangui la veille pour se réfugier dans le nord centrafricain a été la cible d'une attaque. Deux personnes ont été tuées et six autres blessées par les anti-balaka, selon les forces africaines de la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique).
« PERSONNE POUR FAIRE DE LA POLITIQUE »
Les forces africaines et les soldats français de l'opération Sangaris ont étendu leur déploiement, notamment dans l'est du pays mais leurs effectifs demeurent encore largement insuffisants pour sécuriser l'ensemble du territoire centrafricain. Le départ des soldats tchadiens, dont la présence était contestée par une large partie de l'opinion centrafricaine, a fragilisé encore un peu plus les communautés musulmanes, dont ils étaient les principaux protecteurs. Selon les Nations unies, plus de 600 000 personnes sont aujourd'hui déplacées à l'intérieur des frontières de la RCA et 338 000 ont trouvé refuge dans les pays voisins.
Plus de trois mois après son arrivée aux commandes d'un état centrafricain en totale déliquescence, Catherine Samba-Panza tarde à imposer son autorité. « Il est vrai qu'elle manque de moyens et que les promesses de fonds n'arrivent pas, mais elle n'a pris aucune mesure forte pour enclencher un processus de réconciliation », déplore un diplomate. « Son premier ministre est invisible. Il y a trop de technocrates et personne pour faire de la politique. Elle a pris un ministre de la défense qui fait partie de ceux qui ont été vaincus l'an dernier par la Séléka et un chef d'état-major qui était aux côtés d'Ange-Félix Patassé quand il a été renversé par François Bozizé [en 2003]. Comment voulez-vous que ces gens soient respectés par les belligérants ? », souffle un ancien ministre.
A Paris, une source officielle évoque « une erreur de casting », Catherine Samba-Panza n'étant, selon elle, ni le premier choix ni de François Hollande, ni celui du Congolais Denis Sassou Nguesso ou du Tchadien Idriss Déby. D'autres observateurs se montrent moins acerbes. Tous concèdent en revanche leur incapacité à déterminer vers quel cap navigue la République centrafricaine.
Cyril Bensimon