22/03/17 (AFP)
Le parquet de Paris a requis un non-lieu dans l'enquête sur les accusations de viols portées par des enfants contre des soldats français de l'opération Sangaris en Centrafrique, en 2013-2014, a appris mardi l'AFP de sources judiciaire et proche du dossier.
Il appartient maintenant aux juges d'instruction d'ordonner un procès ou de confirmer ce non-lieu, l'hypothèse la plus probable puisqu’aucune inculpation n'a été prononcée.
Les accusations avaient ébranlé l'armée française, présente en Centrafrique pour restaurer la sécurité après des mois de violences entre rebelles musulmans, les Séléka, et miliciens chrétiens, les anti-Balaka.
Pour le parquet, "il ne peut être affirmé à l'issue de l'information qu'aucun abus sexuel n'a été commis sur ces mineurs", mais les éléments recueillis et "la variation des témoignages ne permettent pas d'établir des faits circonstanciés et étayés à l'encontre des militaires qui ont pu être entendus comme mis en cause dans ce dossier", a indiqué à l'AFP la source proche du dossier.
L'affaire avait été révélée fin avril 2015 quand le quotidien britannique The Guardian avait fait état d'une note interne de l'ONU relatant les auditions de six enfants, âgés de 9 à 13 ans, qui dénonçaient des abus sexuels imputés à des militaires dans le camp de déplacés de l'aéroport M'Poko de Bangui, en échange de rations de nourriture, entre décembre 2013 et juin 2014.
Saisi par le ministère de la Défense, le parquet de Paris avait ouvert dès juillet 2014 une enquête préliminaire mais son existence était restée secrète et les autorités françaises ainsi que l'ONU avaient été accusées d'étouffer l'affaire. Le parquet de Paris avait ouvert une information judiciaire.
- Parole de l'enfant -
Dans leurs témoignages, les enfants avaient donné des détails comme des surnoms ou des caractéristiques physiques des militaires, permettant de compter 14 possibles agresseurs. Les juges et la gendarmerie prévôtale, chargée d'enquêter sur les militaires en opération extérieure, se sont rendus à Bangui en 2015 et 2016 pour entendre de nouveau les enfants.
Ces auditions, menées longtemps après les faits, ont soulevé de nouvelles questions. Face à des photos, un enfant a dit reconnaître son agresseur mais il ne s'agissait pas d'un militaire. Un autre a concédé avoir menti. Un autre disait avoir lu le nom d'un soldat sur son uniforme, mais un test a montré qu'il ne savait pas déchiffrer le mot "maman", précise à l'AFP une source proche du dossier.
Partie civile, l'association Ecpat, qui lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants, a demandé une expertise pour s'assurer que la parole des garçons a bien été prise en compte et que les discordances dans les récits ne puissent provenir de leur traumatisme.
"Le parquet n'a même pas attendu que les juges se prononcent sur cette demande", regrette l'avocat de l'association, Me Emmanuel Daoud. "C'est la manifestation d'un manque de considération pour les parties civiles et cela alimente le soupçon de vouloir en terminer au plus vite avec ce dossier".
Entendue par les enquêteurs, la fonctionnaire onusienne qui a recueilli les premiers témoignages s'est dite convaincue de la sincérité du discours des enfants.
Six militaires désignés comme pouvant être des agresseurs ont été identifiés, puis entendus, dont l'un en garde à vue.
Certains ont affirmé avoir donné des rations alimentaires, dans un contexte de grande pauvreté, mais ils ont nié tout abus sexuel. Leur placement sur écoutes n'a pas permis d'étayer les soupçons. Sur le téléphone de l'un d'eux, des dizaines de vidéos pornographiques ont été retrouvées, dont huit à caractère pédopornographique, un nombre de fichiers trop faible pour caractériser un profil de pédophile, selon une source proche de l'enquête.
Une autre enquête judiciaire, toujours en cours, porte sur des faits similaires visant des soldats de Sangaris, de 2013 à 2015, dans l'est du pays.
Viols en Centrafrique, un non-lieu requis pour des militaires français
http://www.la-croix.com Laurent Larcher, le 22/03/2017 à 18h05
Alors que des militaires de la force Sangaris avaient été accusés d’avoir abusé sexuellement d’enfants en échange de rations de nourritures, le parquet de Paris saisi par le ministère de la défense a jugé le 21 mars que les « témoignages ne permettent pas d’établir des faits ».
Quel est le jugement du parquet de Paris ?
Le parquet de Paris, saisi par le ministère de la défense en juillet 2014, a requis, mardi 21 mars, un non-lieu dans le dossier des viols d’enfants commis par des militaires français dans le camp déplacé de M’Poko.
Dans ses réquisitions, le parquet a estimé, qu’« il ne peut être affirmé à l’issue de l’information qu’aucun abus sexuel n’a été commis », mais que les éléments recueillis et « la variation des témoignages ne permettent pas d’établir des faits circonstanciés et étayés à l’encontre des militaires ». Il appartient désormais aux juges d’instruction d’ordonner un procès ou de confirmer le non-lieu, l’hypothèse la plus probable puisque aucune mise en examen n’a été prononcée dans le cadre de l’instruction ouverte en mai 2015.
Sur quelle base le parquet a-t-il été saisi ?
À l’origine de cette affaire, un rapport interne de l’ONU rédigé par la Française Gallianne Palayret, officier des droits de l’homme pour l’ONU détachée pour trois mois à Bangui en 2014. Elle y consigne les auditions de six enfants âgés de 9 à 13 ans. En échange de rations de nourriture, ces enfants disent avoir été victimes d’abus sexuels commis par des militaires français dans le camp de déplacés de l’aéroport M’Poko de Bangui, entre décembre 2013 et juin 2014. Les enfants racontent ce qu’ils ont subi personnellement ou ce qui est arrivé à leurs amis. Ils livrent des détails sur les sévices et sur quatorze agresseurs.
De peur que le rapport soit enterré par l’ONU, Anders Kompass, le directeur des opérations au Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) depuis 2009, le livre à l’ambassadeur de France à Genève. Informé par ce biais, le ministère de la défense a saisi le parquet de Paris.
C’est le quotidien britannique The Guardian qui sort l’affaire en avril 2015, en s’appuyant sur le rapport de Gallianne Palayret, qu’une ONG spécialiste des viols et des abus sexuels dans les missions de maintien de la paix, Aids Free World, lui a transmis. Il livre les détails des sévices subis par ces enfants, évoque les agresseurs et révèle que ces faits ont été signalés aux autorités françaises. La France est soupçonnée de cacher la vérité et de vouloir enterrer le dossier.
Que sait-on de l’enquête française ?
Saisi en juillet 2014, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire dans la plus grande discrétion. Après les révélations du Guardian, une information judiciaire a été ouverte. L’enquête a été conduite par des magistrats et la gendarmerie prévôtale. Ils se sont rendus à Bangui en juillet 2015 puis à l’été 2016. Sur les quatorze militaires désignés par les enfants, six ont été entendus. Aucun n’a été mis en examen, même celui placé en garde à vue à la suite de photos pédopornographiques retrouvées sur son téléphone.
Des soldats français sont-ils impliqués dans d’autres affaires ?
Depuis l’intervention de l’armée française en Centrafrique, on compte trois affaires connues. En septembre 2015, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a saisi le Parquet de Paris pour le cas d’une jeune fille qui accusait un soldat français de l’avoir violée en 2014. L’enquête a été classée sans suite en novembre 2015 après la rétractation de la jeune fille. La seconde concerne l’affaire des agressions sexuelles sur trois mineurs à Dékoa, entre 2013 et 2015. Signalé par l’ONU en 2016, ce dossier est toujours en cours.
Enfin, le parquet a ouvert en 2016 une enquête préliminaire pour « violences volontaires en réunion », « menaces avec armes » et « non-assistance à victime » contre des soldats accusés d’avoir passé à tabac deux Centrafricains dans un quartier au nord de Bangui, au début de l’année 2014.
Laurent Larcher