Par Pierre Pinto Publié RFI le 15-11-2017 Modifié le 15-11-2017 à 16:38
Ce mercredi 15 novembre, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté le renouvellement du mandat de la Minusca pour un an supplémentaire. En un peu plus de trois ans d’existence sur le terrain, l’opération de maintien de la paix en Centrafrique n’a pas convaincu par son efficacité. Son incapacité à empêcher les attaques de groupes armés contre des civils suscite même colère et défiance chez les Centrafricains. Un leitmotiv est asséné depuis des semaines à l’ONU : « Renforcer la Minusca pour mieux protéger les civils ».
La Minusca aujourd’hui, ce sont 10 600 casques bleus, en plus de 1 950 policiers déployés sur un territoire grand comme la France et la Belgique réunies. Selon le projet de résolution renouvelant son mandat, elle pourrait être autorisée à déployer sur le terrain jusqu’à 11 650 hommes, dont 2 080 policiers. Depuis des semaines, le secrétaire général des Nations unies demande au Conseil de sécurité une rallonge : un renfort de 900 casques bleus et davantage de moyens logistiques.
« Il faut renforcer la capacité de la Minusca en dimension, a martelé Antonio Guterres lors de son récent voyage en RCA. C’est pour ça qu’on a demandé un bataillon additionnel au Conseil de sécurité. Mais renforcer aussi en moyens opérationnels. Il faut plus de voiture blindées et une meilleure mobilité. On a vu que quand les hélicoptères peuvent être utilisés, le mouvement peut se faire, expliquait alors le secrétaire général des Nations unies au micro de RFI. Mais quand on met trois semaines pour aller de Bangui à Bangassou par la route, on comprend les énormes difficultés de cette mission de maintien d’une paix qui, véritablement, n’existe pas. »
En 2017, tous les indicateurs se sont aggravés pour atteindre quasiment la situation de 2014. Les trois quarts du pays sont sous la coupe des groupes armés. Quelque 1,1 million de Centrafricains sont réfugiés à l’étranger ou déplacés quelque part dans le pays. La moitié de la population dépend d’une assistance humanitaire, entravée par des groupes armés qui prennent de plus en plus souvent pour cibles les ONG. Plus de 230 incidents de sécurités ont été répertoriés contre ces organisations depuis le début de l’année. Une douzaine de travailleurs humanitaires ont été tués.
« On appuie la demande du secrétaire général des Nations unies sur l’augmentation en personnel qui pourra contribuer à créer les conditions nécessaires à la protection des civils et aussi contribuer à des conditions qui permettraient l’acheminement de l’aide en toute sécurité », espère Eric Batonon, directeur de l’ONG NRC (Norwegian Refugee Council) en Centrafrique.
Même renforcée, la Minusca, souvent décriée par les Centrafricains pour son inefficacité voire sa passivité dans certains cas, devra donc faire ses preuves aux yeux des Centrafricains. Antonio Guterres a pu prendre la mesure de cette défiance lors de son voyage en RCA fin octobre. « C’est bien tout ça, mais il faut que ça serve à quelque chose, que ça serve à protéger les populations civiles, commente la députée Béatrice Epaye, présidente de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale centrafricaine, et qui avait, avec d’autres parlementaires, interpelé fin octobre le Secrétaire général sur l’action des casques bleus. C’est vrai qu’en trois ans, on a vu la limite de la Minusca. Est-ce que le mandat que la Minusca avait manquait de fermeté ? Est-ce qu’aujourd’hui on donne encore plus de fermeté, la Minusca va faire plus ? »
Efficacité
Davantage que la problématique du nombre, la question de l’efficacité, est bien au cœur des préoccupations à Bangui comme à New York. « L’efficacité ça passe par des équipements qui soient plus à la hauteur des défis, explique Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint aux Opérations de maintien de la paix. S’assurer de la détermination à appliquer pleinement les mandats qui incluent l’usage de la force robuste quand c’est nécessaire, faire un travail constant sur l’entrainement sur la qualité des contingents. Il y a un travail que nous devons faire pour redonner du muscle et de la réactivité à la Minusca, qui fait un très bon travail mais qui est très sollicitée. »
De bonne source, les 900 militaires supplémentaires auraient déjà été trouvés. Une partie pourrait même composer une nouvelle force d’intervention rapide. Pour l’instant, ce sont essentiellement les forces spéciales portugaises qui font ce travail. Mais rares sont les contingents qui bénéficient de la même réputation d’efficacité. Les casques bleus ne font pas office d’épouvantails pour les groupes armés qui n’hésitent plus à s’en prendre à eux directement. Douze casques bleus ont ainsi été tués en 2017.
« Sur le plan militaire il faut utiliser davantage l’effet de dissuasion que Sangaris [l’opération de l’armée française entre 2013 et 2016, NDLR]avait sur les groupes armés, même sans intervenir militairement ou attaquer directement, mais que la Minusca n’a pas, ou que la plupart des contingents de la Minusca n’ont pas démontré », estime la chercheuse indépendante Enrica Picco. Dans cette logique affichée d’améliorer l’efficacité des troupes, l'ONU a annoncé lundi l'ouverture d'une « enquête spéciale indépendante » sur de possibles défaillances dans la réaction des Casques bleus lors d'attaques par des groupes armés contre des civils entre mai et aout dernier.
Résultats à court terme
Au-delà des considérations techniques et tactiques, la Minusca croule sous des dizaines d’accusations d’agressions sexuelles que la mission onusienne est aux prises avec des dizaines d’accusations d’abus sexuels concernant ses hommes. Les casques bleus dépendent des juridictions de leurs pays respectifs, qui pour certains d’entre eux n’enquêtent jamais sérieusement sur ces allégations. L’ONG Aids free World accuse par ailleurs de son côté l’ONU de bâcler les enquêtes préliminaires. Les Nations unies s’en défendent, mettent en avant un certain nombre de mécanismes destinés à enrayer ce genre de pratiques criminelles.
Cette question de la bonne conduite, l’inefficacité et les scandales d’abus sexuels ont valu à deux contingents d’être renvoyés ou non renouvelés. Les violences sexuelles sont une thématique à laquelle les Etats-Unis, qui financent près de 30% des opérations de maintien de la paix, sont très sensibles. « Les Etats-Unis ne sont pas opposés à une augmentation modeste de troupes (…) mais à condition que les militaires supplémentaires apportent un réel plus (…) Faire preuve des plus hauts standards professionnels et s'abstenir de tout abus sexuel » indiquait il y a quelques jours la représentation américaine à l'ONU.
Dans un contexte initié par Washington, de réduction des dépenses des opérations de maintien de la paix, la Minusca, et son budget d’un peu moins de 900 millions de dollars cette année, devra faire mieux avec autant, voire avec moins. Elle a en tout cas besoin de résultats tangibles à court terme sur le plan sécuritaire. Pour ce qui est des aspects politiques d’appui aux autorités et à certains processus comme le DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion) – au point mort- pourrait faire les frais de cette réorientation des priorités.
« Le DDR ou la Cour pénale spéciale sont des outils qui peuvent aider le pays à se relever mais ils ne vont pas arrêter les attaques de groupes armés ni améliorer la gestion de l’Etat ou la gouvernance, commente la chercheuse Enrica Picco. Donc se concentrer uniquement sur ça ne va ni donner des résultats dans le court terme ni améliorer la situation au niveau des groupes armés et de la protection des civils dans le pays. »
Dans ses missions de sécurisation du pays, l'ONU espère aussi pouvoir compter sur le déploiement prochain des FACA, les militaires centrafricains, dont deux bataillons ont déjà été formés par l’Union européenne et sont en attente d’équipements. A Bangui, fin octobre, le président centrafricain Faustin Archange Touadéra avait évoqué un horizon de quelques mois pour ce déploiement. Reste à obtenir du Conseil de sécurité la fameuse exemption qui permettra au gouvernement centrafricain d’armer et d’équiper ses soldats. Antonio Guterres s’était engagé devant les députés à appuyer cette demande.