http://www.lefigaro.fr Par Véronique Laroche-Signorile Publié le 03/12/2017 à 18:34
LES ARCHIVES DU FIGARO - Il y a 40 ans, Jean-Bedel Bokassa devient empereur de Centrafrique sous le nom de Bokassa Ier et se ceint de la couronne. Une cérémonie sous le signe de la démesure et de l'ostentation.
Un sacre napoléonien, loin des traditions africaines. Le 4 décembre 1977 Jean-Bedel Bokassa, maréchal et président à vie, se couronne empereur de Centrafrique, à Bangui. Il est entouré de sa garde personnelle, en uniforme de grognards. La cérémonie est calquée sur celle du sacre de Napoléon le 2 décembre 1804. Aussi après avoir revêtu le manteau de velours bordé d'hermine, frappé d'étoiles, d'abeilles et de l'emblème impérial -pièce de haute couture de 12 mètres de long-, enlevé sa couronne de lauriers d'or, il pose lui-même sur sa tête une lourde couronne. Elle est sertie de 6.000 diamants, émeraudes et rubis -pour un total de 773 carats. Il reçoit ensuite le dernier ornement de sa charge: un sceptre, d'une hauteur inhabituelle, fait de 4,5 kilos d'or et de plus de 3.000 brillants. Puis couronne son épouse Catherine -agenouillée devant lui, comme l'était Joséphine.
Luxe vertigineux
Tout n'est que démesure, à l'image du trône colossal de 3,10 mètres de haut, en forme d'aigle aux ailes déployées, qui pèse deux tonnes. Mais l'envoyée spéciale du Figaro, Hélène de Turckheim, rappelle que le faste de cette cérémonie est une grande affaire pour l'artisanat français: garde-robe d'apparat, broderies, argenterie, meubles, accessoires, bijoux, trône, carrosses, décors de table...Et même le gâteau impérial est venu de Paris. Elle relate également dans Le Figaro du 3 décembre 1977 que «231 villas ont été construites pour accueillir les invités et spécialement équipées depuis Paris par Christofle, qui a tout envoyé, 10.000 pièces: les assiettes en Limoges, les verres en Baccarat, les couverts gravés. Jusqu'aux seaux à champagne et aux briquets, et même un service à thé en argent du plus pur style Empire.» Voici en intégralité son récit du couronnement et des festivités: «Une fresque de David en marche».
Article paru dans Le Figaro du 5 décembre 1977.
Une fresque de David à l'africaine
C'est ainsi que, ce dimanche ensoleillé de décembre, nous nous sommes réveillés, l'empereur et nous, les cent journalistes et deux mille invités venus d'un peu partout et les 300.000 Banguissois au complet, au son des cloches des églises qui, dès cinq heures du matin, sonnaient à toute volée pour annoncer le jour de l'opération Bokassa.
Bien sûr que, vue de France, une telle fête, une telle munificence, peuvent paraître étonnantes à l'ère de l'uranium. Hors du temps, comme disent les empêcheurs de couronner en rond. Mais pour les Centrafricains c'est avant tout la fête dont même les outrances font partie du plaisir. Une fête à la mesure de l'Afrique grandiose, expressive, colorée, enfantine, parfois, mais toujours chaleureuse et gentille. Une occasion unique de s'en donner à cœur-joie. Pour la population qui a d'ailleurs reçu trois jours de vacances, pour le souverain qui est en train d'écrire son histoire avec un grand B, puisque son initiale est partout dans la ville et sur les murs de ses appartements privés, de son château de Roux, qui surplombe la ville et le fleuve Oubangui. Un décor super kitsch, dû lui aussi à l'inusable Olivier Brice, l'ordonnateur de toutes ces pompes impériales.
Le théâtre aux premiers heures de l'aube, une sorte de lever du roi: c'est là, en effet, dans cet ancien fortin construit pour un gouverneur français d'autrefois, que l'empereur et l'impératrice ont revêtu, en présence de leurs proches, leurs superbes atours d'apparat. Autre rencontre symbolique de cette étonnante marche du destin qui a dû faire sourire l'Empereur lui-même dans sa barbiche: pour se rendre au Palais de la Renaissance, siège du gouvernement d'où partit officiellement le cortège, il est passé devant son effigie en pied et en bronze, une statue tendant la main vers un petit édifice en forme de Croix de Lorraine, et tout cela sur une place qui s'appelle Giscard d'Estaing.
Le couronnement est prévu pour 9 heures, mais les attelages des carrosses connaissent quelques difficultés sur les roules de latérite qu'on a recouvertes récemment de goudron. Qu'importe, la foule des fans est là, qui fait la fête tout autour de cette salle omnisports, que le programme appelle Palais du Couronnement.
Une fête des yeux et des oreilles. Car tout le monde chante et danse pour soutenir le moral du public qui attend, un peu comme ces pom-pom girls d'Amérique qui viennent soutenir les matches de base-ball.
Les hussards de la garde...
Tout à coup un éclat de fanfare: on plonge dans une sorte de rêve éveillé. Ce sont les hussards de la garde tout verts avec leur plumet blanc. C'est un carrosse de conte de fées, tout doré, où trône sur un gros coussin un adorable petit prince de deux ans en uniforme blanc de petit général. Du carrosse vert, rouge et or, sort une jeune femme superbe, en longue robe d'or toute brodée de rubis (c'est notre compatriote Lanvin, l'auteur de cette somptuosité): l'impératrice Catherine, le front ceint d'une couronne en or. Et puis des dames d'honneur en robe de Scarlett qui lui font une escorte rose et fuchsia. C'est enfin, descendant le dernier du carrosse,Bokassa Ier en longue aube toute brodée de perles blanches, portant au front la couronne de lauriers d'or de César Imperator. Une fresque de David en marche.
Et c'est la longue remontée du tapis rouge jusqu'aux deux trônes qui attendent sur une estrade tendue de velours rouge. Le trône en forme d'aigle où l'empereur va recevoir successivement de la part des officiers de sa garde son épée de sacre, sa couronne de diamants, pareille à celle de la reine Elisabeth, qu'il pose lui-même sur sa tête, un immense sceptre de diamants et sa cape immense rouge et or, symbole de son autorité. Puis c'est le serment prononcé d'une voix ferme et forte.
Il va poursuivre sous les arcs de triomphe sa route vers la gloire.
C'est au tour de la reine de mettre genou en terre, de recevoir sa cape et d'être couronnée de diamants par son impérial mari. Les chorales patriotiques chantent l'hymne impérial et le canon tonne au loin.
C'est la seconde phase de la cérémonie qui va se déroule maintenant: une messe d'action de grâces dite à la cathédrale de Bangui, une église toute simple, rose et blanche qu'on a tendue aussi de velours rouge et or et flanquée de statues impériales et religieuses en vernis doré, et même du thuyas passés eux aussi à la peinture or.
C'est une belle messe, simple et émouvante, dite en latin et chantée en sango, la langue centrafricaine.
Tout à l'heure, l'empereur recevra l'hommage de la foule. Il va poursuivre sous les arcs de triomphe sa route vers la gloire. Pour moi ce sont les problèmes qui commencent. Pendant la messe ma voiture a disparu et ma machine à écrire aussi.
Par Hélène de Turckheim
Article paru dans Le Figaro du 6 décembre 1977.
Bokassa Ier assiste au défilé de 50.000 personnes
Cette fois, pour la deuxième journée, c'est vraiment la fête. Plus d'airs compassés, de majestés réfrigérantes, de solennités qui intimident les vivants.
La foule est là, elle est sortie de sa réserve pour se mettre en piste. C'est elle qui défile. Cinquante mille personnes, disent les officiels, qui deux heures durant, sous un soleil brûlant, rendent hommage à leur premier empereur. Un hommage à l'Africaine, vivant et coloré, mâtiné de danse et de musique, tout empreint de folklore français militaire ou autre. C'est peut-être à cause de cette musique qui, visiblement, le met d'humeur joyeuse et lui rappelle de bons moments, que Bokassa Ier est de si bonne humeur.
Pourtant, après les solennités d'hier et tout ce poids de traîne, de couronne et de mondanités qu'il dut traîner toute la journée, il avait eu aussi une soirée exceptionnellement chargée. Un dîner de 2.500 couverts donné dans la cour intérieure du Palais de la Renaissance, siège du gouvernement. Une réception de style assez kermesse avec longues tablées de guinguette où seuls quatre cent cinquante invités de marque avaient eu le droit de déguster le capitaine (c'est un poisson d'ici) et le caviar, les écrevisses et le foie gras, l'antilope et le gâteau d'où s'envolèrent des colombes. Le tout entrecoupé de sorbets comme on le faisait au Grand Siècle. Pour les autres invités, c'était: «Aide- toi, le ciel t'aidera». Un ciel qui avait détrempé les tables juste avant le souper et d'où dégringolèrent les inquiétantes flammèches du plus grand feu d'artifice. Un divertissement détonnant envoyé lui aussi de France, que le souverain offrait à sa bonne ville de Bangui tout entière. Lui se contentant d'un spectacle en forme de rétrospective de sa folle jeunesse.
Les fanfares et les tambours de la «coloniale», les petites danseuses vietnamiennes, la cucaratcha, Jésus-Christ superstar et, quelques pages d'une marche de Verdi.Triomphale, bien entendu.
C'est donc un Bokassa Ier très décontracté qui nous est arrivé avec une petite heure de retard seulement (contre une heure et demie la veille), escorté par une centaine d'anges blancs, les superbes motards de sa garde (des engins offerts, chuchote-t-on, par les Allemands qui, comme les Américains, les Russes et les Chinois investissent beaucoup en ce moment diplomatiquement, culturellement, financièrement et autrement, du côté de Bangui).
Petite tenue de maréchal cette fois avec sept étoiles et des broderies d'or sur fond noir, un bicorne à plumes blanches et des gros cordons divers et le bâton de fonction enrichi de diamants, sans oublier les gants de peau blanche enrichis de perles et d'un grand B en or. L'impératrice, plus souriante aujourd'hui, elle aussi, est parfaitement élégante.
Un incident de lèse-majesté
Plein d'affection, l'empereur embrasse tous ses «parents» qui l'attendent dans la tribune officielle: notre ministre de la Coopération, Robert Galley (Mme Galley, elle, fait la révérence), le nonce apostolique qui a droit à quatre gros baisers, et François Giscard d'Estaing, le P.-D.G., banquier, cousin de V.G.E. qui lui, en tant qu'ami personnel et grand chasseur d'éléphants devant l'Éternel, a droit à cinq accolades.
Incident de lèse-majesté: un jeune fanatique se jette an pied de son monarque et le bouscule par la même occasion. Les soldats en uniforme panthère qui, mitraillette au poing, n'ont pas cessé, même dans l'église, hier, de jouer les anges gardiens, se précipitent. Cet agresseur n'est qu'un admirateur éperdu. Le reste de la foule est à cinq cents mètres du passage du défilé, ce qui ne l'empêche pas de rester stoïquement sous le soleil à agiter gentiment ses drapeaux, quand, au loin, le souverain, grimpé sur une jeep, passe ses troupes en revue. Ce sera d'ailleurs la seule manifestation d'émotion populaire. Contrairement à ce qui se passe ailleurs, ce n'est pas un chef d'État qui aujourd'hui vient saluer son peuple, mais au bord des routes, c'est un souverain sous un dais qui regarde passer son peuple.
Par Hélène de Turckheim