28/12/17 (AFP)
"Tu veux jouer avec nous?": faute de professeur, Moussa, gamin de Birao, dans le nord de la Centrafrique, passe ses journées sur le terrain de football, au lieu d'aller à l'école.
Ses parents l'ont déposé ce matin avant d'aller aux champs à son école de Garba, l'une des trois primaires de la capitale de la région de la Vakaga, qui compte 422 élèves inscrits. Mais aucun personnel qualifié pour leur apprendre à lire ou compter.
Trois colonnes se forment pourtant bientôt devant le bâtiment et les deux tiers des élèves s'apprêtent à entrer en classe. Moussa reste à jouer au football.
"C'est moi qui fais les cours", explique Adam Deko, 43 ans, professeur de fortune d'une région sans éducation. Il n'a aucun diplôme, et a arrêté l'école en classe de 3e.
Dans la Vakaga, région oubliée de la Centrafrique, au carrefour des frontières tchadienne et soudanaise, il y a moins de cinq professeurs contractuels pour 52 écoles et près de 38.000 jeunes entre 7 et 18 ans, "scolarisables".
Alors, pour combler le vide, une ONG française forme des "maîtres-parents" aux rudiments de l'éducation.
- 'On supporte'-
"On réhabilite des écoles, sensibilise les communautés sur l'importance de l'éducation, on remet des kits scolaires...". Alnour Sallet, directeur pour la Vakaga de l'ONG Triangle, énumère la longue liste de leurs actions pour l'éducation dans la région. De l'avis de beaucoup à Birao, Triangle est devenu indispensable.
"Et depuis 2015, on a formé 260 maîtres-parents", ajoute M. Sallet. Adam en fait partie.
"J'ai des enfants de 8 à 12 ans en classe", raconte-t-il avant d'aller écrire au tableau la date du jour. La salle de classe est bondée, il y a ce matin une centaine d'élèves - l'apprenti enseignant n'a aucune idée du nombre exact.
Djamila, 13 ans, n'est pas concentrée. "Il y a trop de monde, je n'ai rien pour écrire, on partage un banc à quatre. Mais on a de la chance, dans l'autre école ils n'ont pas de table."
Construite en 2017 et inaugurée en grande pompe par le président Faustin-Archange Touadéra début novembre, "l'autre école", Djobkia, à quelques centaines de mètres de là, n'a aucune fourniture scolaire.
Les élèves sont par terre et le professeur n'a pas de matériel sinon une craie blanche. "Oh vraiment, on a besoin d'enseignants", geint Samedi Hatim, 34 ans, professeur contractualisé cette année après une année de sociologie à l'université de Bangui.
Des enseignants, le gouvernement en a pourtant promis et affecté 110 début septembre pour la Vakaga. "Mais ils ne sont jamais arrivés, on les attend toujours", continue M. Hatim, qui partage avec un maître-parent le fardeau d'éduquer les centaines d'élèves de l'école Djobkia. "On supporte, on attend, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre?"
- Maîtres d'un jour –
Ailleurs en ville, les rares fonctionnaires présents se sont organisés pour donner des cours: le commissaire, les proviseurs, intendant, l'administrateur et le censeur du lycée ont tous pris des habits de maître d'un jour.
"On arrive a donner environ quatre heures de cours par classe par semaine" en raison du manque de matériel et de professeurs, explique le censeur, Dieudonné Koudoufara, 62 ans, assis sur une table d'une salle de classe vide.
"Tout est toujours en retard ici, on n'a cours que dans certaines matières et on commence l'année scolaire avec plusieurs mois de retard", corrobore Abattor, 21 ans, en terminale, en regardant les mouches voler devant le lycée.
"Le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) a amené des planches pour réparer les tables et les bancs du lycée. Mais il faut encore trouver l'argent pour payer les menuisiers", dit-il, dépité.
En 2017 à Birao, 29 élèves ont passé le baccalauréat, pour une population estimée à 120.000 personnes et 26.000 enfants "scolarisés". Un seul a réussi.
"Et quand tu as le bac, tu fais quoi après?", demande Moustapha Fadoul, chargé de programme à la Maison des jeunes de Birao. "Le bac, il ne nous sert à rien", ajoute Abattor.
"Etudier à Bangui, c'est dangereux pour nous les musulmans. Et au Soudan, c'est trop cher. On est bloqués ici, on ne peut devenir qu'agriculteur", conclut Moustapha.
Alors, les jeunes vont couper du bambou dans la brousse pour le revendre aux commerçants qui partent vers le Soudan. Ils cultivent aux champs arachides et haricots. Ou rejoignent le groupe armé qui contrôle la ville, le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), du chef de guerre Noureddine Adam.
"On est une génération perdue", dit en baissant les yeux un élève qui attend devant l'école Djobkia. "Je ne sais pas ce qu'on va faire".
Centrafrique: Birao, capitale à la dérive du Nord "abandonné"
27/12/17(AFP)
L'Etat, c'est comme le sable", dit un vieil homme assis à l'entrée du marché, "il s'envole quand le vent fait son entrée". Et à Birao, l'Etat semble s'être envolé dès l'indépendance, en 1960. Dans cette région isolée du nord de la Centrafrique, les habitants se sentent "abandonnés".
Ici, pas de préfet, de médecin, d'enseignant, de douanier, de gendarme, de juge... La liste des absents est longue et les vieux bâtiments administratifs - construits sous la colonisation française - sont vides et décrépis.
"L'Etat ne regarde pas la Vakaga, et ça dure depuis 57 ans", date de l'indépendance de cette ancienne colonie française, raconte Moussa Issa, député suppléant de Birao, autour d'un verre de thé.
L'enclavement de la région empêche son développement. Six mois dans l'année, le temps de la saison des pluies, la Vakaga est une île, livrée à elle-même et coupée du monde par les eaux des rivières en crue.
"Les routes sont coupées, on ne peut circuler qu'à dos d'âne, de chameau ou à cheval, ce n'est pas normal!", peste Abdelkarim Moussa, commerçant.
Alors, faute de pouvoir se déplacer hors de la ville - où il y a à peine une vingtaine de voitures -, la population d'environ 14.000 personnes palabre à l'ombre des manguiers en buvant du thé à grand renfort de salamalecs.
L'installation de deux opérateurs téléphoniques a bien suscité de l'espoir, mais l'absence de source d'électricité permanente limite leur fonctionnement.
"Je suis pessimiste pour la Vakaga", soupire Oumar Garba, notable qui reçoit chez lui, dans l'une des rares maisons en dur de Birao. La majorité des habitations y sont faites de torchis et de paille.
- Sur le dos du Soudan-
"Nous vivons sur le dos du Soudan, sans la route vers là-bas on ne pourrait pas vivre", ajoute-il, lui-même propriétaire de six camions et grand commerçant de la région.
Située dans une zone grise aux confins des frontières du Tchad et du Soudan, au carrefour d'antiques routes commerciales et au coeur de trafics bien actuels - armes principalement -, la Vakaga s'est tournée vers le Soudan depuis que N'Djamena a officiellement fermé sa frontière centrafricaine, en 2014.
A Birao, sur le marché et dans les rues de sable, on parle arabe autant que sango et français, les langues nationales centrafricaines. L'accès à Nyala, la grande ville soudanaise située à 300 km, est bien plus simple que la route dangereuse vers Bangui, longue de 1.000 km, où les combats font rage par endroits et où la soldatesque impose partout sa loi.
"Je me sens plus chez moi à Nyala qu'à Bangui. Au Soudan, je peux sortir en ville sans problème. A Bangui on doit rester au PK5", l'enclave musulmane de la capitale, poursuit le commerçant Moussa.
C'est dans cette poudrière sociale de Birao qu'est né le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), groupe armé emmené par Nourredine Adam. Sur ce terreau de chômage et de frustration, le chef de guerre a recruté à tour de bras, cofondé avec d'autres groupes armés la Séléka en 2012, et lancé sa marche vers Bangui, pour faire entendre ses revendications et renverser le président François Bozizé en 2013.
La prise du pouvoir par la coalition rebelle, marquée par d'innombrables exactions et pillages, a entraîné une profonde crise sécuritaire et humanitaire en Centrafrique.
"Si on avait été traité d'égal à égal avec les autres préfectures du pays, les habitants de la Vakaga n'auraient jamais pris les armes", veut aujourd'hui penser un conseiller municipal.
- 'Bangui se joue de nous!' –
Bon gré mal gré, le FPRC a pignon sur rue dans Birao. En vertu d'un accord avec la force de l'ONU, la Minusca, en RCA depuis 2014, ses hommes n'arborent pas d'armes en ville, mais le groupe - et ses revendications populistes - bénéficie du large soutien de la population locale.
"C'est grâce au FPRC que nous sommes sécurisés. Depuis qu'ils sont là, il n'y a plus ni braconniers ni bandits qui viennent chez nous tuer nos habitants", assure le sultan de la Vakaga, Ahamat Moustapha Am-Gabo. Des braconniers qui au fil des ans ont massacré les grands animaux - en particulier les éléphants - des parcs de la région, laissant la brousse vide d'une faune autrefois luxuriante.
A d'autres médias, il y a dix ans, le père d'Ahamat, lui aussi sultan, tenait le même discours. Si le nom du groupe armé a changé, les peurs et le sentiment d'abandon sont restés les mêmes.
Tous les habitants rencontrés adhèrent aux positions anti-Bangui et promusulmanes du groupe armé. La ville, ancien haut-lieu d'un sultanat musulman prospère et esclavagiste, n'a vu depuis 1960 que désespoir et pauvreté, selon ses habitants.
Pis, l'armée nationale y a commis des exactions qui reste gravées dans les mémoires, en 2006 notamment. Alors, quand le pouvoir central a voulu réinstaller un préfet en septembre, ancien militaire autrefois déployé dans la Vakaga, les habitants et le FPRC ont refusé net.
"Bangui se joue de nous, ce n'est pas possible!", lâche Moustapha Fadoul, la trentaine, au chômage. Lui ne voit pas de solution à "cette situation caduque". Seule raison de sourire selon lui: deux ONG, une américaine et une française, qui interviennent dans l'éducation et la santé.
"Elles sont indispensables", dit-il, en ajoutant : "C'est dommage que la Vakaga ne puisse pas s'occuper de ça elle même".