Le 04 octobre 2013 | Mise à jour le 04 octobre 2013
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL EN CENTRAFRIQUE ALFRED DE MONTESQUIOU
L’ancien pays de Bokassa est désormais en état de décomposition, livré aux pillards et aux lois des seigneurs de guerre.
Malgré leur terreur, les villageois se sont décidés à sortir du bois pour héler à grands gestes un convoi de soldats africains et demander de l’aide. Des soudards du mouvement rebelle Seleka viennent de piller le village, mitraillant à l’aveuglette, et quelques habitants revenus pour grappiller des restes de nourriture ont été atteints par malchance. Un jeune fermier, Symphorien, a noué un morceau de torchon en guise de garrot sanguinolent autour de son poignet traversé par une balle. Il est tellement affaibli qu’il peine à tenir debout en suppliant qu’on l’emmène à l’hôpital. Une jeune femme de 19 ans, Marie, est atteinte à la cuisse. Son bébé, Audrey, hurle à ses côtés, la joue tailladée par une éraflure de balle de kalachnikov. Les soldats ne posent pas de questions en emportant les blessés. Le soir va bientôt tomber et l’anarchie règne dans le pays.
BEAUCOUP, À BANGUI, ESPÉRAIENT UNE INTERVENTION DIRECTE DES FRANÇAIS POUR SAUVER LE PAYS, À LA MANIÈRE DU MALI
Même en convoi lourdement armé, les unités de la Fomac, la force panafricaine d’interposition, n’ont guère envie de se retrouver, de nuit, aux abords de la forêt vierge. Les fermiers, eux, n’ont pas d’autre choix. « On va retourner se cacher à plus d’une heure de marche d’ici, explique Edmond Bagnot, un des chefs du village de Gbadengue. Dès qu’on sort de la brousse, on est en danger de mort. » En guenilles, les villageois dorment dans les clairières, sans aucun abri pour se protéger des averses diluviennes qui s’abattent sur cette région d’Afrique équatoriale en pleine saison des pluies. « On collecte les racines de yam sauvage, c’est tout ce qu’il nous reste à manger », affirme Edmond. Certains de ses comparses ont bien quelques vieux fusils de chasse, mais ils n’osent s’en servir de peur que les coups de feu n’attirent les miliciens. Et les munitions sont tellement rares que les villageois préfèrent les garder pour se protéger en cas d’attaque. Dénommés les « Anti-Balaka », ces groupes d’autodéfense ont des moyens dérisoires face aux milices qui ont conquis la République centrafricaine, en mars dernier. Certains villageois brandissent des machettes, mais beaucoup n’affichent pour seules armes que leurs pieux de bois taillé et de nombreux grigris. Alors tout le monde se cache. Pays de 4,6 millions d’habitants, la Centrafrique compte déjà plus de 1,5 million de déplacés et réfugiés.
En roulant vers la ville de Bossangoa, un des foyers de la violence au nord de la capitale, on ne croise presque plus âme qui vive. Sur des dizaines de kilomètres d’ornières boueuses, la piste en latérite ne longe que des villages désertés. Seuls quelques cochons à demi sauvages, des chèvres et des poulets errent entre les maisons vides. Les cases en pisé n’ont plus de porte, les toits de chaume sont défoncés ou brûlés. Les pillards ont absolument tout emporté.
« C’est une véritable persécution, affirme l’abbé Frédéric Tonfio. Les pillages, les viols et les meurtres ciblent systématiquement les Chrétiens. Et les quartiers musulmans sont toujours épargnés. » Le vicaire général dénombre plus de 34 000 personnes venues trouver refuge autour de la cathédrale de Bossangoa. L’évêque est parti à New York pour témoigner à l’Onu. Il y a croisé le président François Hollande, qui prévient des risques de « somalisation » du pays et appelle à une action internationale. Beaucoup, à Bangui, espéraient une intervention directe des Français pour sauver le pays, à la manière du Mali. Mais Paris insiste sur le fait que « la France n’a plus vocation à être le gendarme de l’Afrique ».
ON PATAUGE DANS LA BOUE, LES ENFANTS SOUFFRENT DE DIARRHÉE ET L’ODEUR DES EXCRÉMENTS PLANE TOUT AUTOUR DE L’ÉVÊCHÉ
Ce serait donc aux 2 400 soldats africains de la Fomac de se muer en une nouvelle force, la Misca, sous l’égide de l’Union africaine, financée par l’Europe et l’Onu. En attendant, le vicaire général de Bossangoa rallie les réfugiés autour de sa soutane blanche. « Nous sommes le pays le plus pauvre du monde, nous connaissons la violence et la dictature depuis des décennies. Mais là, on dépasse toutes les limites dans la souffrance », s’indigne le prêtre. Il a transformé la cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue en un immense dortoir, avec des familles entières qui dorment entre les bancs. Mais l’église ne peut héberger tout le monde, alors les moins chanceux vivent dehors sous des abris de fortune, grelottant sous le crachin du petit matin. Beaucoup toussent dans la fumée grasse des feux qu’on allume pour cuire un peu de manioc. On patauge dans la boue, les enfants souffrent de diarrhée et l’odeur des excréments plane tout autour de l’évêché. « Les conditions sont épouvantables, s’exclame Pélagie, une commerçante de 25 ans qui porte aujourd’hui son dernier tee-shirt propre – mentionnant sa qualité d’“animatrice diocésaine”. On n’a plus rien, je reste parfois un jour ou même deux sans manger. »
Fait relativement rare dans cette contrée reculée, la jeune bénévole parle bien français et s’exprime au nom des autres réfugiés furieux qui s’agglutinent autour d’elle. Ville de 50 000 habitants, Bossangoa dénombre plus d’une centaine de morts, dont deux employés locaux de l’ONG française Acted. Pélagie a perdu un oncle et un cousin. Elle a trouvé refuge sous une fresque de la Vierge Marie avec onze membres de sa famille, dont le dernier, Odilon, a 2 mois. « Certaines femmes ont été violées par tout un groupe de rebelles, devant leur mari et leurs enfants. Ensuite, on ordonne au mari : “Ramasse-la et va-t’en” raconte la réfugiée. Si le mari dit un seul mot, les Seleka l’exécutent. » La maison de la jeune femme n’est qu’à quelques minutes de marche et, pourtant, elle dort à la belle étoile depuis trois semaines. « Ceux qui tentent de rentrer chez eux reviennent en courant, assure-t-elle. Ils pensent que les tueries sont terminées, mais ça continue. »
« C’ÉTAIT AU JOUR PRÈS, RACONTE LE COLONEL GUY-JOEL GACHANCARD. JE PENSE QUE SANS NOUS, ON AVAIT DROIT À UN MASSACRE GÉNÉRALISÉ. »
La première vague de pillages a commencé au printemps 2013, lorsque la coalition disparate de la Seleka (« Alliance » en sango) a déferlé depuis le nord du pays pour faire chuter le dictateur François Bozizé. Majoritairement musulmans, ces rebelles se sont alliés sur place avec les tribus de nomades peuls. En ville, nombre des commerçants et autres citadins également musulmans se sont ensuite ralliés à eux. C’est à ceux-là que Pélagie en veut le plus aujourd’hui. « Avant, on était un quartier mixte, tout le monde s’entendait bien. Mais maintenant, nos propres voisins nous ont trahis pour piller nos biens. » Par vengeance, les groupes d’autodéfense Anti-Balaka, cachés dans la forêt, ciblent à présent les groupes de musulmans isolés. Les tueries répondent aux tueries. A quelques centaines de mètres des réfugiés de l’évêché, les hommes de la Seleka ont établi leur base principale. Juste à côté, une école héberge 2 800 réfugiés musulmans qui ont fui les campagnes. De jolies fillettes peules aux longues tresses et des grands-mères au visage tatoué de motifs géométriques s’agglutinent dans les salles de classe. La tension est palpable partout en ville. Au camp des soldats africains de la Fomac, pas une heure ne s’écoule sans que soient rapportés des coups de feu, des menaces ou des débuts d’émeute. Les soldats sont arrivés mi-septembre. « C’était au jour près, raconte leur chef, le colonel Guy-Joel Gachancard. Je pense que sans nous, on avait droit à un massacre généralisé. » Fin connaisseur de l’ex-rébellion Seleka, qu’il a côtoyée pendant des mois comme médiateur avant que les négociations de paix n’échouent, le colonel ne croit pas à la thèse d’un complot islamiste pour faire basculer un pays à 85 % chrétien. « C’est vrai qu’il y a une poussée générale de l’islam un peu partout en Afrique et que la religion gagne du terrain chaque année », explique l’officier congolais. Mais en Centrafrique, la réalité est plus prosaïque, assure-t-il. « Pendant longtemps, les musulmans se sont sentis tenus à l’écart par le pouvoir. Alors, aujourd’hui que leur groupe a pris le contrôle du pays, ils en profitent et ils se vengent… »
PARMI LES SEIGNEURS DE GUERRE, LE « GÉNÉRAL » MOUSSA ASSIMEH EST CONSIDÉRÉ COMME LE PLUS REDOUTABLE
Dans sa capitale décatie que patrouille un détachement de 450 soldats français, le nouveau président autoproclamé, Michel Djotodia, commence à percevoir le péril. Pour éviter une guerre religieuse généralisée, il vient donc d’ordonner la dissolution des milices Seleka, espérant transformer le gros de ses troupes en armée régulière. Mais comme les caisses de l’Etat sont complètement vides, il n’a guère de moyens pour convaincre les milices. Soldats de fortune, déserteurs de l’armée tchadienne ou bandits, les ex-rebelles ne répondent d’ailleurs souvent qu’à leur chef direct. Après avoir pillé la capitale de fond en comble – jusqu’à la présidence et aux différents ministères – ces commandants se répartissent aujourd’hui les provinces. Parmi ces seigneurs de guerre, le « général » Moussa Assimeh est considéré comme le plus redoutable. Il squatte le commissariat central de la capitale avec sa colonne de pick-up armés de mitrailleuses lourdes et y reçoit chaque matin les hommages des policiers centrafricains terrifiés. « Ceux qui me décrivent comme un mercenaire ne craignent pas la vérité de Dieu », nous explique Assimeh par le biais d’un traducteur. Silhouette longiligne en treillis militaire et chèche du désert, le chef de guerre affirme être né en Centrafrique mais ne parle ni français ni sango. Ancien colonel de l’armée soudanaise, basé au Darfour, Moussa Assimeh appartient aux Rezeigat, une tribu de nomades arabes considérée comme emblématique des Janjawid, ces milices accusées des pires crimes contre les Noirs pendant les massacres qui firent plus de 200 000 morts. Si le chef de son clan, Moussa Hilal, est poursuivi pour génocide par le Tribunal pénal international, le « général Moussa » préfère rester évasif sur son parcours des dernières années. Mais il voit clairement son avenir à Bangui, dans l’entourage du nouveau président. Lorsqu’on évoque la possible venue d’une force internationale de maintien de la paix, le commandant assure : « Nous sommes arrivés au pouvoir par la volonté de Dieu. Si on cherche à nous désarmer de force, il y aura de très gros problèmes. »
Source : http://www.parismatch.com/Actu/International/La-grande-peur-des-chretiens-532154
CENTRAFRIQUE : LA GRANDE PEUR DES CHRÉTIENS
Le 04 octobre 2013 | Mise à jour le 04 octobre 2013
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL EN CENTRAFRIQUE ALFRED DE MONTESQUIOU
L’ancien pays de Bokassa est désormais en état de décomposition, livré aux pillards et aux lois des seigneurs de guerre.
Malgré leur terreur, les villageois se sont décidés à sortir du bois pour héler à grands gestes un convoi de soldats africains et demander de l’aide. Des soudards du mouvement rebelle Seleka viennent de piller le village, mitraillant à l’aveuglette, et quelques habitants revenus pour grappiller des restes de nourriture ont été atteints par malchance. Un jeune fermier, Symphorien, a noué un morceau de torchon en guise de garrot sanguinolent autour de son poignet traversé par une balle. Il est tellement affaibli qu’il peine à tenir debout en suppliant qu’on l’emmène à l’hôpital. Une jeune femme de 19 ans, Marie, est atteinte à la cuisse. Son bébé, Audrey, hurle à ses côtés, la joue tailladée par une éraflure de balle de kalachnikov. Les soldats ne posent pas de questions en emportant les blessés. Le soir va bientôt tomber et l’anarchie règne dans le pays.
BEAUCOUP, À BANGUI, ESPÉRAIENT UNE INTERVENTION DIRECTE DES FRANÇAIS POUR SAUVER LE PAYS, À LA MANIÈRE DU MALI
Même en convoi lourdement armé, les unités de la Fomac, la force panafricaine d’interposition, n’ont guère envie de se retrouver, de nuit, aux abords de la forêt vierge. Les fermiers, eux, n’ont pas d’autre choix. « On va retourner se cacher à plus d’une heure de marche d’ici, explique Edmond Bagnot, un des chefs du village de Gbadengue. Dès qu’on sort de la brousse, on est en danger de mort. » En guenilles, les villageois dorment dans les clairières, sans aucun abri pour se protéger des averses diluviennes qui s’abattent sur cette région d’Afrique équatoriale en pleine saison des pluies. « On collecte les racines de yam sauvage, c’est tout ce qu’il nous reste à manger », affirme Edmond. Certains de ses comparses ont bien quelques vieux fusils de chasse, mais ils n’osent s’en servir de peur que les coups de feu n’attirent les miliciens. Et les munitions sont tellement rares que les villageois préfèrent les garder pour se protéger en cas d’attaque. Dénommés les « Anti-Balaka », ces groupes d’autodéfense ont des moyens dérisoires face aux milices qui ont conquis la République centrafricaine, en mars dernier. Certains villageois brandissent des machettes, mais beaucoup n’affichent pour seules armes que leurs pieux de bois taillé et de nombreux grigris. Alors tout le monde se cache. Pays de 4,6 millions d’habitants, la Centrafrique compte déjà plus de 1,5 million de déplacés et réfugiés.
En roulant vers la ville de Bossangoa, un des foyers de la violence au nord de la capitale, on ne croise presque plus âme qui vive. Sur des dizaines de kilomètres d’ornières boueuses, la piste en latérite ne longe que des villages désertés. Seuls quelques cochons à demi sauvages, des chèvres et des poulets errent entre les maisons vides. Les cases en pisé n’ont plus de porte, les toits de chaume sont défoncés ou brûlés. Les pillards ont absolument tout emporté.
« C’est une véritable persécution, affirme l’abbé Frédéric Tonfio. Les pillages, les viols et les meurtres ciblent systématiquement les Chrétiens. Et les quartiers musulmans sont toujours épargnés. » Le vicaire général dénombre plus de 34 000 personnes venues trouver refuge autour de la cathédrale de Bossangoa. L’évêque est parti à New York pour témoigner à l’Onu. Il y a croisé le président François Hollande, qui prévient des risques de « somalisation » du pays et appelle à une action internationale. Beaucoup, à Bangui, espéraient une intervention directe des Français pour sauver le pays, à la manière du Mali. Mais Paris insiste sur le fait que « la France n’a plus vocation à être le gendarme de l’Afrique ».
ON PATAUGE DANS LA BOUE, LES ENFANTS SOUFFRENT DE DIARRHÉE ET L’ODEUR DES EXCRÉMENTS PLANE TOUT AUTOUR DE L’ÉVÊCHÉ
Ce serait donc aux 2 400 soldats africains de la Fomac de se muer en une nouvelle force, la Misca, sous l’égide de l’Union africaine, financée par l’Europe et l’Onu. En attendant, le vicaire général de Bossangoa rallie les réfugiés autour de sa soutane blanche. « Nous sommes le pays le plus pauvre du monde, nous connaissons la violence et la dictature depuis des décennies. Mais là, on dépasse toutes les limites dans la souffrance », s’indigne le prêtre. Il a transformé la cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue en un immense dortoir, avec des familles entières qui dorment entre les bancs. Mais l’église ne peut héberger tout le monde, alors les moins chanceux vivent dehors sous des abris de fortune, grelottant sous le crachin du petit matin. Beaucoup toussent dans la fumée grasse des feux qu’on allume pour cuire un peu de manioc. On patauge dans la boue, les enfants souffrent de diarrhée et l’odeur des excréments plane tout autour de l’évêché. « Les conditions sont épouvantables, s’exclame Pélagie, une commerçante de 25 ans qui porte aujourd’hui son dernier tee-shirt propre – mentionnant sa qualité d’“animatrice diocésaine”. On n’a plus rien, je reste parfois un jour ou même deux sans manger. »
Fait relativement rare dans cette contrée reculée, la jeune bénévole parle bien français et s’exprime au nom des autres réfugiés furieux qui s’agglutinent autour d’elle. Ville de 50 000 habitants, Bossangoa dénombre plus d’une centaine de morts, dont deux employés locaux de l’ONG française Acted. Pélagie a perdu un oncle et un cousin. Elle a trouvé refuge sous une fresque de la Vierge Marie avec onze membres de sa famille, dont le dernier, Odilon, a 2 mois. « Certaines femmes ont été violées par tout un groupe de rebelles, devant leur mari et leurs enfants. Ensuite, on ordonne au mari : “Ramasse-la et va-t’en” raconte la réfugiée. Si le mari dit un seul mot, les Seleka l’exécutent. » La maison de la jeune femme n’est qu’à quelques minutes de marche et, pourtant, elle dort à la belle étoile depuis trois semaines. « Ceux qui tentent de rentrer chez eux reviennent en courant, assure-t-elle. Ils pensent que les tueries sont terminées, mais ça continue. »
« C’ÉTAIT AU JOUR PRÈS, RACONTE LE COLONEL GUY-JOEL GACHANCARD. JE PENSE QUE SANS NOUS, ON AVAIT DROIT À UN MASSACRE GÉNÉRALISÉ. »
La première vague de pillages a commencé au printemps 2013, lorsque la coalition disparate de la Seleka (« Alliance » en sango) a déferlé depuis le nord du pays pour faire chuter le dictateur François Bozizé. Majoritairement musulmans, ces rebelles se sont alliés sur place avec les tribus de nomades peuls. En ville, nombre des commerçants et autres citadins également musulmans se sont ensuite ralliés à eux. C’est à ceux-là que Pélagie en veut le plus aujourd’hui. « Avant, on était un quartier mixte, tout le monde s’entendait bien. Mais maintenant, nos propres voisins nous ont trahis pour piller nos biens. » Par vengeance, les groupes d’autodéfense Anti-Balaka, cachés dans la forêt, ciblent à présent les groupes de musulmans isolés. Les tueries répondent aux tueries. A quelques centaines de mètres des réfugiés de l’évêché, les hommes de la Seleka ont établi leur base principale. Juste à côté, une école héberge 2 800 réfugiés musulmans qui ont fui les campagnes. De jolies fillettes peules aux longues tresses et des grands-mères au visage tatoué de motifs géométriques s’agglutinent dans les salles de classe. La tension est palpable partout en ville. Au camp des soldats africains de la Fomac, pas une heure ne s’écoule sans que soient rapportés des coups de feu, des menaces ou des débuts d’émeute. Les soldats sont arrivés mi-septembre. « C’était au jour près, raconte leur chef, le colonel Guy-Joel Gachancard. Je pense que sans nous, on avait droit à un massacre généralisé. » Fin connaisseur de l’ex-rébellion Seleka, qu’il a côtoyée pendant des mois comme médiateur avant que les négociations de paix n’échouent, le colonel ne croit pas à la thèse d’un complot islamiste pour faire basculer un pays à 85 % chrétien. « C’est vrai qu’il y a une poussée générale de l’islam un peu partout en Afrique et que la religion gagne du terrain chaque année », explique l’officier congolais. Mais en Centrafrique, la réalité est plus prosaïque, assure-t-il. « Pendant longtemps, les musulmans se sont sentis tenus à l’écart par le pouvoir. Alors, aujourd’hui que leur groupe a pris le contrôle du pays, ils en profitent et ils se vengent… »
PARMI LES SEIGNEURS DE GUERRE, LE « GÉNÉRAL » MOUSSA ASSIMEH EST CONSIDÉRÉ COMME LE PLUS REDOUTABLE
Dans sa capitale décatie que patrouille un détachement de 450 soldats français, le nouveau président autoproclamé, Michel Djotodia, commence à percevoir le péril. Pour éviter une guerre religieuse généralisée, il vient donc d’ordonner la dissolution des milices Seleka, espérant transformer le gros de ses troupes en armée régulière. Mais comme les caisses de l’Etat sont complètement vides, il n’a guère de moyens pour convaincre les milices. Soldats de fortune, déserteurs de l’armée tchadienne ou bandits, les ex-rebelles ne répondent d’ailleurs souvent qu’à leur chef direct. Après avoir pillé la capitale de fond en comble – jusqu’à la présidence et aux différents ministères – ces commandants se répartissent aujourd’hui les provinces. Parmi ces seigneurs de guerre, le « général » Moussa Assimeh est considéré comme le plus redoutable. Il squatte le commissariat central de la capitale avec sa colonne de pick-up armés de mitrailleuses lourdes et y reçoit chaque matin les hommages des policiers centrafricains terrifiés. « Ceux qui me décrivent comme un mercenaire ne craignent pas la vérité de Dieu », nous explique Assimeh par le biais d’un traducteur. Silhouette longiligne en treillis militaire et chèche du désert, le chef de guerre affirme être né en Centrafrique mais ne parle ni français ni sango. Ancien colonel de l’armée soudanaise, basé au Darfour, Moussa Assimeh appartient aux Rezeigat, une tribu de nomades arabes considérée comme emblématique des Janjawid, ces milices accusées des pires crimes contre les Noirs pendant les massacres qui firent plus de 200 000 morts. Si le chef de son clan, Moussa Hilal, est poursuivi pour génocide par le Tribunal pénal international, le « général Moussa » préfère rester évasif sur son parcours des dernières années. Mais il voit clairement son avenir à Bangui, dans l’entourage du nouveau président. Lorsqu’on évoque la possible venue d’une force internationale de maintien de la paix, le commandant assure : « Nous sommes arrivés au pouvoir par la volonté de Dieu. Si on cherche à nous désarmer de force, il y aura de très gros problèmes. »
Source : http://www.parismatch.com/Actu/International/La-grande-peur-des-chretiens-532154