Boganda lors de la proclamation de la RCA le 1er décembre 1958
Mausolée Boganda à Bobangui
Prêtre, homme politique, député, maire
de Bangui, président du Grand Conseil de l'AEF, promoteur des Etats-Unis d'Afrique Barthelemy Boganda fut l'un des leaders les plus entreprenants d'Afrique.
L’Oubangui sous domination coloniale
Au milieu des années 1880-1890 français et allemands s’étaient mis d’accord pour
que les terres de l’Oubangui « découvertes » deviennent françaises. En 1899, les terres de l’Oubangui
étaient partagées entre 26 sociétés concessionnaires.
Un an plus tard, un bon nombre d’aventuriers débarquent dans les villages
situés près de la Lobaye : jeunes dévoyés ou inadaptés sociaux, fonctionnaires révoqués, repris de justice, agents du Congo léopoldien expulsés pour meurtres.
Des exactions et pillages ne tardèrent pas à être commises par les employés des
sociétés minières, ce qui provoqua une révolte des villageois. Trois expéditions militaires (1904, 1906, 1909) «
rétablirent l’ordre colonial ». Les villageois subissent un quasi-esclavage. L'Oubangui est sous le contrôle de compagnies concessionnaires exploitant ses ressources naturelles et la
force physique de ses habitants.
En 1908, un juge constatait près d’un millier de meurtres commis délibérément
par les agents d’une société concessionnaire, une affaire qui fit grand bruit. Le chef de service judiciaire accusait : « l’ordre était de tuer toujours et quand même, si les villageois étaient abandonnés, si les indigènes s’enfuyaient, s’ils ne rapportaient pas la quantité de
caoutchouc souhaitée ».
La jeunesse et la formation de
Boganda
Le gouverneur général demanda au ministre de trouver une « solution conciliant
la justice avec les nécessités de la colonisation », ce qui le conduisit à ordonner la reconquête des pays oubanguiens, qui se refusaient à « leurs nouveaux maîtres ». Il prescrivait de « substituer aux méthodes de colonisation pacifique une occupation active ». L’année 1910 année de naissance
marque l’apogée de cette répression aveugle.
C’est à cette époque que naît le petit Boganda, qui a à peine le temps de connaître sa mère qui périt sous les coups d’employés de société concessionnaire car elle est coupable de ne pas avoir
rapporté la quantité de caoutchouc exigé. En 1921, le petit Boganda est recueilli par le père Herriau, un
missionnaire français qui l’emmène avec lui à Betou où il devient rapidement le meilleur élève de sa classe. Transféré à la mission St-Paul de Bangui, Boganda fut baptisé le 24 décembre 1922 et reçut en même temps le prénom de Barthélémy.
Pour le jeune Boganda, devenir
prêtre signifie à l’époque s’émanciper des coutumes ancestrales et devenir frère de l’humanité même s'il n'est pas sur qu'il existe beaucoup de prêtres de sa couleur. Pendant plus de 10 ans,
Boganda va effectuer ses études en dehors de l’Oubangui. A Brazzaville auprès de Spiritains français, à Kisantu auprès de jésuites belges. Il
rencontre au cours de ses séjours des camarades dont certains deviendront des personnalités dans leurs pays, comme André Marie Mbida, futur premier
ministre du Cameroun ou Monseigneur Etoga, futur évêque de Yaoundé. De retour à Bangui, Boganda est
ordonné prêtre le 17 mars 1938.
Au cours de ses études à l’étranger, Boganda n’est retourné que très rarement chez lui. La situation s’est d’ailleurs dégradée car la hausse des cours du caoutchouc a entraîné de la part des
agents de la société concessionnaire « La Forestiere » des exactions semblables à celles qui avaient eu lieu au début du siècle. (Ce sont notamment
ces exactions que dénoncera André Gide dans « Voyage au Congo
» distribué en 1928 à tous les membres de la société des Nations et assorti d’une demande de condamnation du travail forcé dans les colonies françaises).
Boganda perdit certains
membres de sa famille lors de ces exactions et lut André Gide, Albert Londres ou Marcel Homet qui dénonçait dans un pamphlet les souffrances des
habitants du village de Boganda.
Très à l’écoute des populations, Boganda dira plus tard qu’il « est très instructif de surprendre les
causeries des anciens à la veillée du soir. Avec quelle amertume ils dépeignent aux enfants la servitude à laquelle au nom de la civilisation, ils ont été soumis pendant plus d’un siècle et avec
quelle force ils inculquent à leur postérité la méfiance et la haine de l’occupant »
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le territoire oubanguien est
représenté au parlement par un officier français. Sur insistance de ses amis, l’abbé Barthélemy Boganda décide de se présenter. Il est élu député le
10 novembre 46, une élection qui marque le début de la lutte du peuple oubanguien pour l’émancipation.
Le député crée le
MESAN
Boganda se rend donc pour la première fois en France et entreprend de faire connaître les revendications oubanguiennes, notamment l’application d’une loi votée le 11 avril 46
interdisant de façon absolue le travail forcé. Il décrit également la situation de l’Oubangui devant le parlement : arrêt de la réquisition de main d’œuvre, arrestations arbitraires, travail non
rémunéré, salaires insuffisants, interdiction aux Noirs de fréquenter certains lieux publics. Ces revendications restent sans effet tant en métropole que localement. Boganda décidé alors de porter la bataille dans les villages afin que les paysans secouent eux-mêmes « le joug qui tombe sur eux ».
En septembre 1949, Boganda fonde le
MESAN (Mouvement d’Evolution Sociale de l’Afrique Noire), un parti ne dépendant d’aucun parti politique de métropole, qui a pour ambition de s’adresser à tous les Noirs du monde et de promouvoir
le plein développement de la société africaine suivant l’esprit et la physionomie propres à l’Afrique Noire.
Le mouvement de Boganda devient
très rapidement populaire, notamment auprès des villageois. Les fonctionnaires semblent moins enthousiastes. Selon Boganda, c’est parce que beaucoup
d’entre eux sont trop serviles à l’égard de l’occupant qu’ils cherchent à imiter. Ces fonctionnaires sont selon lui des "Blancs-Noirs" (« Mboundjou-Voko »).
Une popularité qui grandit : Boganda
leader politique incontesté
Lors du premier trimestre 1951, une altercation avec des commerçants colons sur
un marché vaut à Boganda et son épouse (Michelle Jourdain, une française secrétaire parlementaire du MRP
qu'il a épousée en 1950) une condamnation de respectivement 2 mois et 15 jours. Boganda n’effectue pas le séjour en prison, mais l’incident contribue
à accroître sa popularité.
En juin 51, il est de nouveau réélu député, et en mars 52, les élections de
l’assemblée territoriale donnent la majorité au MESAN. Fin 53, un nouvel incident éclate dans la ville de Berberati lorsqu’un agent européen des travaux publics, récemment sanctionné pour sa
brutalité à l’égard des manœuvres déclare la mort de son cuisinier et de l’épouse de ce dernier. Une émeute éclate et le gouverneur général décide d’envoyer des parachutistes tandis que des
blindés font mouvement dans la ville. Après avoir hésité à se rendre dans une ville qui ne constitue pas un de ses fiefs, Boganda arrivé à Berberati et déclare aux émeutiers que la justice sera
la même pour « les Blancs et les Noirs ». La foule se dispersa dans le calme. Boganda se posait en
véritable guide du pays vers l’autonomie, et l’incident avait en outre montré sa capacité à rassembler.
Le gouverneur général reconnut dans ses instructions du 2 mai au chef de
territoire que le racisme des Blancs envers les Noirs était « un des problèmes majeurs de l’Oubangui Chari
». En janvier 56, le MESAN recueillait 84, 7 % des suffrages, en novembre il était élu maire de Bangui, et en 1957 devenait président du Grand Conseil de l’AEF. Son audience s’étendait
désormais en dehors des frontières de l’Oubangui.
Les prémices de
l'Indépendance
La loi Cadre Deferre votée en 1956
qui devait donner plus d’autonomie aux colonies dans la gestion de leurs affaires s’avérait compliquée à mettre en œuvre dans la pratique car des fonctionnaires obéissaient toujours au gouverneur
général représentant la France tout en recevant des instructions d’un conseil de gouvernement (équivalent de ministres) composé presqu’exclusivement de centrafricains. La décolonisation n’en
était qu’à ses débuts et personne ne voulait envisager son aboutissement logique : la naissance de nouveaux Etats.
Certains commentaires ironiques nés de la piètre situation économique en
Oubangui Chari valurent une réplique de Boganda : « on m’a dit
également, et devant témoins, que votre pays coûte plus cher à la France qu’il ne lui rapporte ». « Si vous prenant au mot, je décidais demain, pour ne plus être à la charge de la France, de me
rattacher à la république de St-Domingue, ou au Kamtchatka, ou moins loin, -regardez donc la carte de l’AEF- vous enverriez l’armée contre nous, comme en Indochine ou en
Algérie...»
Fin janvier, Le Figaro qui ne porte semble t-il pas Boganda dans son cœur décrit l’Oubangui de la façon suivante : « Eparpillés
entre les bêtes sauvages, un million cent mille êtres humains cherchent à assurer leur existence misérable…Des tribus qui figurent parmi les plus primitives d’Afrique » et ajoutait que
le régime de Boganda était « une dictature de facto ».
Quel étrange résultat pour la politique de la loi cadre votée à Paris à l’effet de démocratiser les institutions africaines » continuait le
journal...
Les Etats-Unis d'Afrique Latine
?
A la suite du coup de force d’Alger en mai 58 qui accéléra l’évolution de toute
l’Afrique Noire, les délégués de Boganda se rangèrent parmi les partisans de l’indépendance rapide lors du congrès de Cotonou en juillet 58. Boganda de son côté annonçait devant l’assemblée territoriale que « la loi-cadre étant aujourd’hui dépassée,
le MESAN réclame aujourd’hui pour l’Oubangui, et pour l’Afrique Noire le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’indépendance totale dans l’interdépendance volontaire et librement
consentie, dont nous avons à étudier les modalités. »
Le 13 juillet 58, Boganda revenait
à la charge : « l’heure de la révolution a sonné pour l’Afrique Noire. Le MESAN la veut pacifique et constructive. Elle est juste, elle est
nécessaire, elle est urgente. Elle est possible. Donc nous devons la faire sinon d’autres la feront. Et alors elle se fera dans le sang, elle se fera sans nous et, partant, contre nous.
»
Boganda était d’avis que si l’Oubangui accédait de façon isolée à l’indépendance, ce serait une catastrophe car les ex-colonies étaient trop peu peuplées et trop faibles
économiquement. Pour lui, l’AEF devait accéder groupée à l’indépendance, et c’est qu’il appelait « République centrafricaine ». Cette république
centrafricaine n’étant dans son esprit que le premier pas vers un projet plus ambitieux. Il entendait en effet rajouter à cette république centrafricaine la rive droite du Congo, puis les deux
Congo unifiés, puis créer les Etats-Unis d’Afrique latine (RCA, Congo Belge, Rwanda-Urundi, Angola, Cameroun).
Un projet torpillé par les
africains
Boganda a conscience que son projet est ambitieux et urgent : « Puisque ce projet est réalisable, nous devons le réaliser, sinon nous serons jugés et
condamnés par la postérité comme traîtres à notre mission. C’est aujourd’hui qu’il faut bâtir la république centrafricaine, demain ce sera trop tard. Les positions se cristalliseront. Des
engagements seront pris, le Tchad et l’Oubangui ne manqueront pas d’être sollicités par d’autres voix et d’autres voies ».
Le projet rencontra l’adhésion du président Opangault du Congo, mais le défection d’un de ses partisans entraîna sa chute et l’arrivée au pouvoir de l’abbé Fulbert Youlou. Boganda envoya des émissaires à Fort-Lamy (Tchad), à Libreville (Gabon) et Brazzaville (Congo) pour prendre le pouls concernant son projet
d’Union entre ex territoires colonisés. Au Tchad, on trouva le projet d’Union prématurée, au Gabon la délégation fut purement et simplement éconduite. Le 24 novembre, le Gabon, le Tchad et le
Moyen Congo condamnent la balkanisation de l’AEF, mais se prononcent dans le même temps pour une dissolution immédiate.
Le 1er décembre 1958, Boganda
proclame la constitution d’un Etat limité au seul territoire de l’Oubangui Chari auquel il donne le nom de république centrafricaine. Le rêve d’union a fait long feu. Le 2 décembre, il prend la
tête d’un nouveau gouvernement. Deux leaders émergent à ses côtés en l’occurrence David Dacko et Abel
Goumba.
Une mort
mystérieuse
En avril 59, des élections législatives doivent avoir lieu, mais Barthélemy Boganda trouve la mort dans un bien mystérieux accident d’avion le 23 mars 59. L’avion qu’il a pris s’écrase sur la rive gauche de la Lobaye. Ses
obsèques ont lieu le 2 avril et créent une émotion immense dans le pays. Les circonstances de l’accident étaient mystérieuses : ainsi l’hebdomadaire l’Express du 7 mai 59, faisant état d’une
explosion était saisi.
Tous les exemplaires parvenus en Oubangui étaient rachetés par le
commissaire. Le rapport technique qui avait retenu l’hypothèse de l’accident sans préciser la défaillance qui l’avait entraîné ne devait jamais être publié dans le journal officiel de la
république française.
Ainsi s’achevait l’histoire et l’ascension de l’un des leaders africains les plus entreprenants à la veille des indépendances.
Source
: http://www.grioo.com/pinfo7957.html
NDLR : Le rapport d'enquête sur l'accident du Nord Atlas à bord duquel Boganda a trouvé la mort est
désormais accessible et consultable depuis 1989, soit trente après, aux Archives nationales de France à Fontainebleau. Feu le gouverneur de l'Oubangui Sanmarco avait pu y jeter un coup d'oeil
avant de prendre part au colloque sur Boganda organisé par le CHEAM en 1989 à la Documentation Française.