Tchad: Idriss
Déby en maître absolu, sous l'œil amical de la France
16 Mars 2010 Par Damien Dubuc Mediapart
De notre envoyé spécial au Tchad
Idriss Déby s'affiche un peu partout dans N'Djamena: en format géant, le président tchadien est plus que présent à proximité de tous les chantiers de construction. Ici une école,
là un hôpital ou des bâtiments administratifs. L'ancien militaire, arrivé au pouvoir en 1990 à la faveur d'un coup d'État, se pose en bâtisseur et en rassembleur d'un pays parfois qualifié de
«champion du monde des rébellions».
Les terrains à construire n'ont pas été trop difficiles à trouver: en février
2008, après l'échec d'une offensive de groupes rebelles sur la capitale, le président a autorisé la destruction des maisons et des commerces situés dans deux quartiers soi-disant acquis aux
insurgés. Amnesty international estime que ce sont en fait au moins 3000 familles qui ont vu leurs habitations détruites.
Mais, à l'approche des élections législatives (prévues cette année), le pouvoir
joue la carte du développement économique et social. Idriss Déby se sait en position de force. Après l'échec de leurs derniers combats (février 2008
et mai 2009), les mouvements rebelles sont affaiblis. L'opposition civile est décapitée depuis l'enlèvement et la disparition de l'un de ses principaux leaders, Ibni Oumar Mahamat Saleh, en 2008.
Par ailleurs, la signature en janvier d'un accord de sécurité entre le Tchad et
le Soudan met fin à sept ans d'un conflit qui déstabilisait les deux régimes.
Ce rapprochement entre les deux voisins n'avait pourtant rien d'évident.
«Le problème, c'est la présence du Soudan», s'emportait encore fin janvier le général (en retraite) Béchir, un conseiller du ministre
tchadien de la défense. En 2009, Idriss Déby ne faisait pas non plus dans la dentelle: «Il n'y a pas de
rebelles au Tchad. L'État tchadien est agressé par des mercenaires qui obéissent aux ordres du gouvernement de Khartoum.»
Pas en reste, le régime soudanais ne perd jamais une occasion de pointer
l'influence du Tchad sur les rebelles actifs au Darfour. Depuis 2005, les deux pays se livrent à une guerre larvée par l'entremise de groupes armés et de milices. La raison en est simple: bien
qu'il ait accédé au pouvoir avec le soutien du Soudan, Idriss Déby avait finalement choisi de soutenir ses «frères» zaghawas qui luttent au Darfour.
Feu, contre-feu: Omar Al-Bachir, le président soudanais, se fait alors un plaisir d'équiper à son tour le FUC (Front uni pour le changement
démocratique). Résultat de cet imbroglio: près de 260.000 réfugiés du Darfour et 180.000 déplacés tchadiens vivent dans des camps côté tchadien de la frontière.
Début 2010, le Tchad et le Soudan s'engagent pourtant à cesser tout soutien à
leurs mouvements rebelles respectifs. L'accord prévoit aussi le déploiement d'une force mixte à la frontière composée de 3.000 hommes, à parts égales. L'heure est à
l'apaisement.
Si le texte signé en janvier reprend, parfois au mot près, les termes des
accords de paix passés – restés lettre morte –, les observateurs sont cette fois plus optimistes. Le président soudanais Al-Bachir n'a aucun intérêt à
se battre sur plusieurs fronts: il joue cette année sa réélection et un référendum est prévu en 2011 sur l'indépendance du Sud-Soudan, autre foyer d'instabilité. Poursuivi pour crimes de guerre
et crimes contre l'humanité au Darfour par la Cour pénale internationale (CPI), le président soudanais n'a pas l'intention non plus de s'aliéner le soutien de Déby.
Autre élément: depuis le début du conflit, le Tchad a consacré plus de 500
millions de dollars des recettes pétrolières du pays à l'achat de matériel militaire. Idriss Déby pourra désormais utiliser ce pactole à d'autres fins
alors que le bilan économique du pays est désastreux. Selon l'indicateur de développement humain des Nations unies, le Tchad se classe en 2008 à la 175e place (sur 182 pays).
· Prendre le pouvoir, accaparer le
pétrole
En vertu de l'accord de
normalisation signé en janvier, le Tchad comme le Soudan devraient donc bientôt expulser une partie des rebelles présents sur leur sol ou, à tout le moins, les neutraliser.
Le Tchad va-t-il alors s'engager sur la voie de la stabilité? Rien n'est moins
sûr. La guerre civile qui déchire le pays n'est pas un simple prolongement de la guerre au Darfour, les facteurs internes sont nombreux. Les hostilités avaient repris de plus belle en 2005, année
où la constitution tchadienne a été amendée pour permettre à Idriss Déby de briguer la présidence à vie.
Or, les chefs rebelles sont le plus souvent «issus de groupes ayant perdu le pouvoir ou (...) des mécontents qui, après avoir exercé des fonctions gouvernementales et en avoir été mal récompensés,
prennent les armes à partir de leur région d'origine», explique Géraud Magrin, un géographe spécialiste de la région.
Des alliances se font et se défont, des rebelles deviennent ministre de la
défense (Mahamat Nour, chef des FUC, en 2007) et des proches du pouvoir rejoignent le maquis. Dans une région où les ressources en terre et en eau
manquent, toutes les parties instrumentalisent les rivalités locales et/ou ethniques pour recruter des soldats, parfois des enfants.
Mais les différends sont loin d'être toujours ethniques. Timane Erdimi, le leader de l'Union des forces pour la résistance (UFR), qui rassemble depuis 2009 huit des groupes rebelles, n'est autre que le neveu du
président, un zaghawa comme lui. Il fut le directeur de Cotontchad, la société d'économie mixte détenant le monopole de la commercialisation de l'«or blanc», la vache à lait du régime avant
l'exploitation du pétrole.
L'objectif de cette rébellion disparate n'est autre que la prise du pouvoir, ne
s'en cachant pas: «La situation du Tchad est tellement catastrophique que nous n'avons pas besoin d'avoir une
ligne ou un programme politique. Nous luttons pour faire partir le général Déby.» Même si le mouvement est actuellement affaibli. En mai 2009, la bataille d'Am Dam, une petite ville
de l'Est du pays, a été une défaite. Acheick Ibn-Oumar le reconnaît avec détachement: «Nous avons perdu 10% de notre matériel et 20% de nos hommes. Certains, déçus par ce revers, ce sont ralliés au pouvoir.» Alors, la rébellion, combien de
divisions? L'UFR parle de 5000 hommes mobilisables, un chiffre impossible à vérifier.
· Un jeu politique
fermé
La stratégie des groupes armés doit également tenir compte de deux données
fondamentales, la manne pétrolière qui alimente les caisses de l'État depuis 2004 et la présence militaire française. En 2008, l'or noir constituait 80% des exportations tchadiennes et
représentait la moitié du PIB national. Cette rente a permis à l'armée régulière d'acheter des armes, en particulier des avions et des hélicoptères. Elle dispose désormais d'une suprématie
aérienne capable de bloquer les pick-up rebelles qui rouleraient sur N'Djamena depuis l'Est.
Un tel rapport de force défavorable
n'inquiète guère Acheick Ibn-Oumar, qui précise la tactique de l'UFR. «Nous avons une armée classique
basée à la frontière du Soudan, mais aussi des groupes de guérilla dispersés, sans grosse logistique et qui vivent des prises de guerre sur l'ennemi.»
Il dénonce en revanche l'aide
apportée au gouvernement par la France. Un «accord de coopération militaire», signé en 1976, prévoit la fourniture de renseignements et un appui logistique. Cet accord technique stipule que Paris
ne doit pas s'impliquer dans les combats. Sauf que.
Sauf que l'armée française n'a
jamais hésité à sauver la mise d'Idriss Déby en février 2008, quand le président tchadien était retranché dans son palais présidentiel. Au prétexte de
«sécuriser» l'aéroport, les militaires français ont couvert les mouvements des hélicoptères d'assaut de l'Armée nationale tchadienne et l'acheminement de supplétifs arrivés tout droit du Darfour
soudanais.
Il paraît aujourd'hui bien difficile
d'envisager le renversement d'Idriss Déby par les armes. Et personne n'imagine sérieusement qu'il ne soit pas réélu en 2011 pour un quatrième mandat.
Loin d'être un facteur de stabilité, cette longévité explique en partie la persistance de groupes rebelles. Quand les élections jugées, au mieux, peu transparentes, sont boycottées par
l'opposition; quand les postes à responsabilité sont attribués aux proches du président ou à d'anciens rebelles ralliés au pouvoir, le jeu politique est fermé et les armes restent le seul moyen
de se faire une place au soleil.
Les opposants, eux, ont toutes les
chances de finir à l'ombre. Ou pire. Ainsi, le 3 février 2008, lorsque l'armée tchadienne a repris le contrôle de N'Djamena, les forces de sécurité ont pénétré dans les domiciles de plusieurs
membres de l'opposition civile dont celui d'Ibni Oumar Mahamat Saleh. Il était le président du Parti pour les libertés et le développement (PLD) et le
porte-parole de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution, une coalition de 21 partis politiques.
Deux ans plus tard, Ibni est toujours porté disparu. Les plus hautes autorités de l'État ont été mises en cause par la Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur ces
événements. Mais les responsables courent toujours et la France ne semble pas vouloir divulguer les informations dont elle dispose, qui pourraient déstabiliser son allié Déby.