Le Potentiel (Kinshasa)
BILLET 24 Mars 2008
By Dr MVOMO ELLA WOULSON (*)
Kinshasa
La Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale (CEEAC) a été créée en 1983. Elle recouvrait une large entité géographique comprenant l'Angola, le Burundi, la RDC, le Cameroun, le Congo,
le Gabon, la Guinée Equatoriale, Sao Tomé et Principe, le Tchad, la RCA et le Rwanda. Depuis peu, le Rwanda et le Burundi ont annoncé leur retrait de cette organisation.
Paix et sécurité dans la CEEAC La CEEAC veut promouvoir en coopération régionale et la création d'un marché commun. Elle est une sous-région privilégiée en raison
de sa situation géographique avantageuse.
En effet, la CEEAC est située au carrefour des échanges sur le continent, elle revêt d'innombrables ressources économiques.
Aussi, cette sous-région dispose-t-elle en principe de tous les atouts pour être un acteur économique et géopolitique majeur sur le contient voire au plan
international. Mais nonobstant ces atouts, elle demeure en marge du jeu de puissance tant sur le continent qu'au-delà. Ce paradoxe s'explique par l'absence de stabilité et de cohésion politique à
l'intérieur des Etats membres de cette organisation.
I. La CEEAC un scandale géopolitique
A. Le potentiel économique de l'Afrique centrale
L'Afrique centrale est un ensemble sous-régional qui regorge de nombreuses et diverses ressources naturelles.
Comme ressources agricoles, les pays membres de la CEEAC produisent de nombreuses cultures vivrières à côté de cultures de rente telles le cacao, le café, l'huile
de palme, le tabac, la banane. A tire d'exemple, le Cameroun est le 6ème producteur mondial de cacao.
La richesse forestière de cette sous-région est exceptionnelle.
En effet, la forêt équatoriale recèle diverses essences de bois très prisées. Le cas de la RDC, souvent présentée comme un « scandale »géologique en raison de son
exceptionnelle richesse en minerais, en gemmes et en ressources énergétiques, est assez représentatif de la richesse de la CEEAC. En effet, le potentiel hydraulique et énergétique des pays
membres de cette organisation est important ; neuf d'entre eux sont producteurs de pétrole. 7% des ressources pétrolières mondiales se trouvent en Afrique subsaharienne.La puissance, entendue
comme capacité à exercer de l'autorité ou de l'influence dans le cadre des relations internationales, n'a pas toute sa pertinence ici sur le plan géopolitique, en ce qui concerne la communauté
économique des Etats de l'Afrique centrale.
B. Les besoins et les objectifs de l'intégration
La quête de l'intégration apparaît dans le relations internationales comme le meilleur moyen pour un groupe d'Etats de mutualiser leurs efforts en vue d'élever le
niveau de vie de leurs populations et de s'assurer une plus grande influence dans la marche du monde. Dans cette perspective, les regroupements régionaux ou sous-régionaux réussis peuvent être
une source de puissance tant économique que géopolitique voire géostratégique.
La création de la CEEAC en 1983 s'inscrit dans cette réflexion. Avec ses 101.256.000 (cent un million deux cent cinquante six mille) d'habitants pour une superficie
totale de 6.667.386 (six millions six cent soixante sept mille trois cent quatre vingt six) km2, cet ensemble politique se voulait un espace de compétitivité globale en raison de l'étroitesse des
marchés nationaux mais aussi de l'interdépendance des économies de ses Etats membres. Elle s'inscrivait dans le sillage des organisations régionales dont l'objectif est la consolidation des
économies et des marchés de leurs Etats membres afin de : stimuler la concurrence, favoriser l'innovation, améliorer les échanges et les mécanismes commerciaux, (...) créer les conditions
favorables à l'amélioration et l'élévation du niveau de vie des populations et au renforcement du développement économique.
La création de la CEEAC est venue faire doublon avec l'Union douanière et économique de l'Afrique centrale (UDEAC) crée en 1964 et compte environ 30.000000 (trente
six millions) d'habitants répartis sur 3.000.000 (trois millions) de Km2. L'UDEAC a été remplacée en 1994 par la Communauté économique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC). En effet, à sa
création, l'UDEAC avait pour objectif la création d'une zone de libre-échange entre ses Etats membres, celle d'institutions intégrantes comme la bourse des valeurs, la Cour communautaire de
justice, la commission interparlementaire.....
C. Les indicateurs qui illustrent le scandale
Les principaux indicateurs sur les Etats de l'Afrique centrale révèlent notamment de nombreuses disparités entre elles.
- Les ressources naturelles ne sont pas réparties dans la CEEAC de façon équilibrée.
- L'indice de développement humain est différent d'un pays à l'autre. En Guinée Equatoriale par exemple, l'indice de développement humain est inversement
proportionnel au PIB par habitant. La Guinée a des richesses pour 10 millions d'habitants mais en compte à peine un million.
- Le sous-sol de la RDC est un sous-sol géologique: on y retrouve du cobalt, du diamant, de l'or, de l'ammonium etc.
Cependant la gestion de toutes ces ressources est catastrophique déjà pendant la colonisation mais aussi après l'indépendance du pays.
- La RCA est riche en ressources extractives mais ses populations n'en profitent pas.
II. Instabilité politique : hypothèque sur l'intégration sous régionale
L'instabilité, et notamment l'instabilité politique, est, en raison de conflits internes qu'elle charrie, un obstacle majeur à l'intégration au sein de la
CEEAC.
A. Les facteurs d'instabilité
1. Les facteurs internes
L'instabilité à l'intérieur des Etats de la CEEAC s'organise autour de la conquête ou de la conservation du pouvoir par des moyens non démocratiques. En effet, la
légitimité insuffisante de nombreux dirigeants des pays membres de cette sous-région et la nature autoritaire de leurs régimes ne favorisent pas l'émergence d'un cadre démocratique où le débat
politique et la question de l'alternance peuvent être envisagés sereinement.
Dans un contexte dominé par l'immobilisme et l'archaïsme politique, les adversaires politiques les plus acharnés de ceux qui se maintiennent au pouvoir contre la
volonté de leurs populations finissent par se convaincre que seule la violence peut leur permettre d'accéder eux aussi au pouvoir. C'est ainsi que naissent et se développent les nombreux conflits
politiques dont l'enjeu est la lutte pour le pouvoir. Ces conflits entretiennent l'instabilité interne dont il est ici question.
L'absence de pédagogie et de débats nourris sur la question de l'intégration au niveau communautaire fait le jeu des dirigeants politiques qui ne se sentent pas
interpellés par le besoin de transparence et de bonne gouvernance voulu par les populations locales.
Outre les problèmes liés aux luttes pour la conservation ou l'accès au pouvoir, les rapports difficiles entre gouvernants et Intégration économique et instabilité
politique en Afrique centrale gouvernés, la question des réfugiés est une réelle préoccupation au sein de la CEEAC. Cette question des réfugiés est elle aussi une source d'instabilité.
2. Facteurs externes
En Afrique, il y a une certaine constance à vouloir expliquer toutes les difficultés par une main invisible venue de l'extérieur.
Dans cette optique, régulièrement les plans d'ajustement structurels auxquels sont assujettis pratiquement tous les Etats de la CEEAC sont présentés comme la cause
principale de leurs difficultés économiques. Dans le même sillage, occultant la part de responsabilité de l'élite politique africaine, régulièrement, l'intérêt des grandes puissances pour les
richesses des pays membres de la CEEAC est mis en avant pour expliquer leur instabilité.
B. Les manifestations de l'instabilité
1. Sur le plan national
L'instabilité politique se manifeste au sein des Etats membres de la C EEAC par la récurrence des coups d'Etat. Ils sont principalement le fait de groupes rebelles
et constituent un facteur majeur de déstabilisation. Le Congo, le Tchad, la RDC, la RCA etc. sont autant de pays membres de la CEEAC en permanence confrontés à ce fléau. Au Rwanda, entre 1991 et
avril 1994, la lutte pour le pouvoir a conduit à un génocide. Ce génocide a livré la sous-région à une vaste errance de réfugiés
2. Sur le plan régional
L'insécurité permanente qui caractérise la sous - région inquiète ses Etats membres car elle favorise et intensifie la circulation des armes légères et de petits
calibres, qui s'additionne aux trafics de pierres précieuses qui financent les groupes armés. Les bandes armées sont maintenant financées et soutenues ouvertement par certains pays au détriment
des autres dans la même zone au mépris de toute considération, des règles du droit international, ou même de la morale politique. C'est le cas du soutien à la rébellion congolaise par le régime
rwandais dans l'ex-Zaïre, la guerre civile au Congo a été sanctionnée par le retour au pouvoir de Sassou Nguesso, avec l'aide du régime angolais. Tout ceci met à mal la construction et la
réussite du processus d'intégration de l'Afrique centrale.
C. Conséquences sur le processus d'intégration
La bataille et les tiraillements des dirigeants politiques pour le leadership de la zone CEEAC constituent un blocage à l'intégration. Les observateurs pensent que
la résolution de ce blocage passe par une distribution plus équilibrée des rôles et pouvoirs dans la conduite des affaires communautaires. La rivalité entre deux projets communautaires, la CEMAC
et la CEEAC, n'est pas un atout pour l'intégration régionale. III. Eléments de solution et de prospective
- La nécessité du développement d'une conscience géopolitique sous régionale par une fusion de la CEMAC et de la CEEAC;
- La mutualisation des initiatives de sécurité et l'émergence d'une identité stratégique propre ;
- La convergence de la coopération en matière de sécurité ;
- L'émergence d'une gouvernance globale et d'une culture politique démocratique.
(*) Enseignant à l'Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)
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