Cour Pénale Internationale International Criminal Court
Original : Français N° : ICC-01/05-01/08
Date : 23 mai 2008
LA CHAMBRE PRELIMINAIRE III
Composée comme suit : Mme la juge Fatoumata Dembele Diarra,
Juge président
M. le juge Hans-Peter Kaul
Mme la juge Ekaterina Trendafilova
SITUATION EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
AFFAIRE
LE PROCUREUR c. JEAN-PIERRE BEMBA GOMBO
Sous scellés
URGENT
MANDAT D'ARRÊT À L'ENCONTRE DE JEAN-PIERRE BEMBA
GOMBO
No. ICC- 01/05 -01/08 119 23 mai
2008
ICC-01/05-01/08-1-US 23-05-2008 1/9
SL PT
En application de la Décision ICC-01/05-01/08-5, datée du 24 mai 2008, les scellés de ce document sont
levés
Décision/ordonnance/jugement/arrêt à notifier conformément à la
norme 31 du Règlement de la Cour aux destinataires suivants :
Le Bureau du Procureur
M. Luis Moreno-Ocampo, Procureur
Mme Petra Kneuer, Substitut du Procureur
Le conseil de la Défense
Les représentants légaux des victimes Les représentants légaux
des Demandeurs
Les victimes non représentées Les demandeurs non représentés
(participation/réparation)
Le Bureau du conseil public pour les victimes
Le Bureau du conseil public pour la Défense
Les représentants des États L'amicus curiae
GREFFE
Le Greffier
Mme. Silvana Arbia
La Section d'appui à la Défense
L'Unité d'aide aux victimes et aux témoins
La Section de la Détention
La Section de la participation des victimes et des
réparations
Autres
No. ICC- 01/05 -01/08 2/9 23 mai 2008
ICC-01/05-01/08-1-US 23-05-2008 2/9 SL PT
1. La Chambre Préliminaire III (« la Chambre ») de la Cour
pénale internationale (« la Cour ») a été saisie de la situation en République centrafricaine par décision de la Présidence en date du 19 janvier 2005, conformément à la norme 46 du Règlement de
la Cour.
2. Le 2 mai 2008, le Procureur a déposé une « Notification to
Pré-Trial Chamber III and Request for Extension of Page Limit and Expedited Consideration » dans laquelle il demandait, inter alia, d'augmenter le nombre de pages autorisé pour une requête
subséquente du Procureur.
3. Le 8 mai 2008, la Chambre a rendu une « Decision on the
Prosecutor's 'Notification to Pré-Trial Chamber III and Request for Extension of Page Limit and Expedited Consideration' » dans laquelle elle faisait droit à la requête du Procureur en autorisant
l'augmentation du nombre de pages autorisé.
4. Le 9 mai 2008, le Procureur a déposé une « Application for
Warrant of Arrest under Article 58 » avec annexes, - Requête du Procureur avec annexes ( « Requête du Procureur ») -, aux fins de délivrance d'un mandat d'arrêt à l'encontre de M. Jean- Pierre
Bemba Gombo (« M. Jean-Pierre Bemba »).
5. Le 21 mai 2008, la Chambre a rendu une "Decision Requesting
Additional Information in Respect of the Prosecutor's Application for Warrant of Arrest under Article 58", decision dans laquelle, d'une part, il a été fait droit à la demande du Procureur en ce
qui concerne le caractère sous scellés et ex parte de la procédure relative à la Requête du Procureur ainsi que, le cas échéant, la tenue d'audiences in caméra y afférent, et d'autre part, il a
été demandé au Procureur des éléments justificatifs additionnels.
6. Le 23 mai 2008, le Procureur a déposé une « Application for
Request for Provisional Arrest under Article 92 », demande dans laquelle le Procureur souhaitait la tenue d'une audience afin de communiquer à la Chambre des éléments nouveaux dans le contexte du
dossier de la situation en République centrafricaine, audience qui s'est tenue le même jour. Le Procureur a souligné l'urgence qu'il y avait pour la Chambre de traiter sa requête au regard des
risques de fuite de M. Jean-Pierre Bemba.
7. La Chambre note les articles 19(1) et 58(1) du Statut de
Rome (« le Statut ») et fait observer que l'analyse des éléments de preuves et des autres renseignements fournis par le Procureur sera développée dans une décision qui sera adoptée
ultérieurement.
8. La Chambre considère qu'à la lumière des éléments de preuve
et des renseignements fournis par le Procureur, et sans préjudice du dépôt d'une exception d'irrecevabilité de l'affaire conformément aux alinéas (a) et (b) de l'article 19(2) du Statut et de
toute décision subséquente à son propos, l'affaire concernant M. Jean-Pierre Bemba relève de la compétence de la Cour et est recevable.
9. La Chambre est d'avis qu'il existe des motifs raisonnables
de croire que du 25
octobre 2002 au 15 mars 2003, un conflit armé a eu lieu en
République centrafricaine et qu'une partie des forces armées nationales de M. Ange-Félix Patassé, Président de la République centrafricaine à cette époque, s'est confrontée à un mouvement de
rébellion mené par M. François Bozizé, ancien Chef d'Etat major des forces armées centrafricaines. La Chambre estime qu'il y a des motifs raisonnables de croire que ce conflit armé a opposé de
manière prolongée des groupes armés basés sur ce territoire qui possédaient une organisation hiérarchique et une capacité de concevoir et de mener des opérations militaires prolongées. La Chambre
considère que les forces en présence étaient, notamment, d'un côté, une partie des forces armées centrafricaines restée fidèle à M. Ange-Félix Patassé alliée à des combattants du Mouvement de
Libération du Congo (« MLC ») dirigés par M. Jean-Pierre Bemba, communément dénommés « Banyamulengue » et d'un autre côté, les forces de M. François Bozizé.
10. La Chambre considère également qu'il y a des motifs raisonnables de croire que
d'autres forces armées étrangères auraient pris part au conflit, notamment des
combattants connus sous le nom de Bataillon de sécurité frontalière ou Brigade anti-Zaraguina, menée
par M. Abdoulaye Miskine et composée, entre autres, de mercenaires tchadiens.
11. La Chambre est d'avis qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un conflit
armé prolongé a existé en République centrafricaine au moins du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003 et que
ce conflit peut être alternativement qualifié de conflit armé
interne ou international.
12. La Chambre estime qu'il existe des motifs raisonnables de croire que dans le
contexte de ce conflit armé, les forces du MLC composées principalement de Banyamulengue et dirigées
par M. Jean-Pierre Bemba, venues à l'appel de M. Ange-Félix Patassé en renfort d'une partie de l'armée nationale centrafricaine et agissant de concert, ont commis, du 25 octobre 2002 au 15 mars
2003 (i) des viols, notamment dans une localité dénommée PK 12 et dans la ville de Mongoumba, (ii) des actes de torture, notamment dans une localité dénommée PK 12, (iii) des atteintes à la
dignité de la personne, notamment des traitements humiliants et dégradants commis, y compris dans une localité dénommée PK 12, (iv) des pillages, notamment des villes de Bossangoa, Mongoumba et
dans une localité dénommée PK 12.
13. La Chambre estime par conséquent qu'il existe des motifs raisonnables de croire
que, durant tout le temps de la présence des combattants du MLC en République centrafricaine, ont été
commis des crimes de guerre relevant de la compétence de la
Cour en vertu des articles 8(2)(c)(i), 8(2)(c)(ii), 8(2)(e)(v), 8(2)(e)(vi) du Statut, tels que
décrits dans la Requête du Procureur.
14. La Chambre est par ailleurs d'avis qu'il existe des motifs
raisonnables de croire qu'entre le 25 octobre 2002 et le 15 mars 2003, les combattants du MLC ont mené une attaque contre la population civile, ont commis des actes criminels constituant des
faits d'actes de torture et de viols et que la commission de ces crimes revêtait un caractère systématique ou généralisé.
15. La Chambre, par conséquent, estime qu'il existe des motifs
raisonnables de croire qu'entre le 25 octobre 2002 et le 15 mars 2003, les combattants du MLC ont commis des crimes contre l'humanité relevant de la compétence de la Cour en vertu des articles
7(l)(f), 7(l)(g) tels que décrits dans la Requête du Procureur.
16. La Chambre considère qu'il existe des motifs raisonnables
de croire que M. Jean- Pierre Bemba était le Président et Commandant en Chef du MLC et qu'il était investi d'une autorité de jure et de facto par les membres de ce mouvement pour prendre toutes
les décisions tant sur le plan politique que militaire.
17. La Chambre est d'avis qu'il existe des motifs raisonnables
de croire qu'il existait un plan commun entre M. Jean-Pierre Bemba et M. Ange-Félix Patassé et que ce plan reposait sur l'engagement mutuel pour M. Ange-Félix Patassé, de bénéficier de
l'assistance militaire de M. Jean-Pierre Bemba afin d'assurer son maintien au pouvoir et pour M. Jean-Pierre Bemba de bénéficier, entre autres, du soutien stratégique et logistique de M.
Ange-Félix Patassé et éviter que la République centrafricaine s'allie avec le Gouvernement en place à Kinshasa.
18. La Chambre estime également qu'il existe des motifs
raisonnables de croire que M. Jean-Pierre Bemba, en sa qualité de Commandant en Chef du MLC, a contribué de manière essentielle à la mise en oeuvre du plan commun, notamment en décidant de
l'envoi et du maintien des combattants du MLC en République centrafricaine.
19. La Chambre considère qu'il existe des motifs raisonnables
de croire que M. Jean-Pierre Bemba savait que la mise en place de ce plan aboutirait, dans le cours normal des événements, à la commission de crimes, qu'il avait accepté ce risque par sa décision
d'envoyer des combattants du MLC en République centrafricaine et de les y maintenir malgré la commission d'actes criminels dont il avait été informé.
20. La Chambre considère qu'il existe des motifs raisonnables
de croire que lorsque M. Jean-Pierre Bemba a mis à exécution sa décision de retrait des troupes du MLC, ce retrait a marqué la fin des actes criminels sur les civils par les troupes du MLC ainsi
que celle du maintien au pouvoir de M. Ange-Félix Patassé.
21. La Chambre estime que pour les raisons susmentionnées, il y
a des motifs
raisonnables de croire que M. Jean-Pierre Bemba est pénalement
responsable,
conjointement avec une autre personne ou par l'intermédiaire
d'autres personnes, en vertu de l'article 25(3)(a) du Statut :
i) de viols constituant un crime contre l'humanité sanctionné
par l'article 7(l)(g) du Statut,
ii) de viols constituant un crime de guerre sanctionné par
l'article 8(2)(e)(vi) du Statut,
iii) de tortures constituant un crime contre l'humanité
sanctionné par l'article 7(l)(f) du Statut,
iv) de tortures constituant un crime de guerre sanctionné par
l'article 8(2)(c)(i) du Statut,
v) d'atteintes à la dignité de la personne, notamment des
traitements humiliants et dégradants constituant un crime de guerre sanctionné par l'article 8(2)(c)(ii) du Statut,
vi) de pillages d'une ville ou d'une localité constituant un
crime de guerre sanctionné par l'article 8(2)(e)(v) du Statut.
22. La Chambre considère qu'il existe des motifs raisonnables
de croire que
l'arrestation de M. Jean-Pierre Bemba apparaît nécessaire à ce
stade pour garantir qu'il comparaîtra devant la Cour et qu'il ne fera pas obstacle à l'enquête ou à la procédure devant celle-ci, au sens des alinéas (i) et (ii) de l'article 58(1 )(b) du
Statut.
POUR CES RAISONS, LA CHAMBRE
délivre un mandat d'arrêt à rencontre de Jean-Pierre BEMBA
GOMBO, dont la
photographie est jointe en annexe, supposé être ressortissant
de la République
Démocratique du Congo, né le 4 novembre 1962 à Bokada, dans la
province
d'Equateur, en République Démocratique du Congo, supposé
appartenir à l'ethnie des Ngwaka, fils de Jeannot Bemba Saolana, marié à Lilia Teixeira, fille d'Antonio Teixeira.
Fait en anglais et en français, la version française faisant
foi.
Mme la juge Fatoumata Dembele Diarra
Juge président
M. le juge Hans-Peter Kaul Mme la juge
Ekaterina'TreJndafilova
Fait le 23 mai 2008
À La Haye (Pays-Bas)
No.