Mais les Procureurs de la CPI indiquent qu’ils manquent de preuves pour établir
sa responsabilité pénale individuelle pour les crimes.
Par Katy Glassborow à Bangui (AR No. 211, 7-Mai-09)
Une femme, visiblement perturbée, se tient de côté alors que nous parlons à un groupe de personnes dans les rues de Bangui au sujet de la justice à l’encontre de l’ancien président du pays qui a
selon eux entraîné les gens ordinaires dans une bataille après avoir perdu le contrôle du pouvoir.
Bernard, notre traducteur, nous dit qu’Elisabeth vit à PK12, une zone située juste à l’extérieur de la capitale de la République centrafricaine, RCA, qui fut dévastée lors des “évènements” de
2002 à 2003, lorsque l’ancien chef de l’armée et Chef d’État actuel François Bozizé avait arraché la présidence des mains d’Ange-Félix Patassé après plusieurs mois de combats.
Alors qu’Elisabeth marmonne entre ses dents, nous remarquons qu’elle n’a plus de dents de devant. Soudain, elle élève la voix au dessus de celle du groupe et crache avec colère,
“Patassé… doit [être traduit en]
justice pour répondre de ce qu’ [il] nous a fait.
“Les Banyamulengue ont brûlé nos maisons. Les femmes ont été violées et leurs maris tués. Aujourd’hui, les femmes n’ont plus de maris mais elles ont le sida, et leurs enfants ont le
sida.”
Elisabeth nous explique que ses dents de devant ont été démolies avec la crosse d’une arme pendant les évènements.
Banyamulengue est le nom que les habitants donnent au Mouvement pour la
libération du Congo, MLC, une milice congolaise dirigée par Jean-Pierre Bemba, qui aurait été amenée par Patassé en 2002 pour l’aider à repousser les rebelles.
Patassé, qui vit aujourd’hui en exil au Togo, aurait également recruté d’autres milices des pays voisins, y compris celle dirigée par Abdoulaye Miskine, homme politique et rebelle
tchadien basé en Libye.
Les Procureurs de la Cour pénale internationale, CPI, indiquent qu’entre octobre
2002 et mars 2003, les civils furent violés, assassinés, torturés et que leurs biens furent volés par le MLC et les propres troupes de Patassé, apparemment en représailles de leur soutien présumé
à Bozizé.
Depuis le début de leur enquête en RCA en 2007, les Procureurs ont souligné que le nombre des civils violés était tel qu’il ne pouvait être ignoré en droit international, et que les rapports de
violence sexuelle incluaient souvent “des aspects aggravants de cruauté”, tels que des auteurs
multiples, et la participation forcée des membres de la famille.
Suite à ces enquêtes, Bemba a été inculpé par la CPI pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, et il est actuellement en détention dans l’attente de son procès. Les Procureurs indiquent
qu’il conclut avec l’ancien président un accord commun, et qu’ils avaient un arrangement réciproque en vertu duquel Bemba apportait une aide militaire à Patassé en échange de son soutien
stratégique et logistique.
Bemba aurait cherché à obtenir l’aide de Patassé pour renforcer la frontière entre la République démocratique du Congo, RDC, et la RCA après que l’ancien président de la RDC Laurent Kabila soit entré par la RCA pour attaquer le MLC de Bemba en 1998. Il est également accusé de s’être allié à Patassé pour empêcher que des liens se nouent entre le président de la RCA de l’époque et Kabila.
Mais bien que les Procureurs
reconnaissent que Patassé a été impliqué dans les atrocités, ils n’ont pas émis de mandat d’arrêt contre lui.
Elisabeth indique qu’il ne suffit pas qu’un chef de milice étrangère soit traduit en justice pour ce qui s’est passé en RCA. Pour elle, l’homme qui a fait venir les Banyamulengue dans le pays
doit aussi être tenu responsable.
Des sentiments similaires sont
exprimés à Bangui et dans les zones environnantes.
A PK12, à une distance de 12 kilomètres en bus depuis la ville, nous sommes assis et parlons à Jeudi, un chef de communauté de l’un des quartiers de la zone.
“Mon quartier a été maudit par Dieu,” déclare-t-il.
“[Lors du coup d’état, les forces] ont violé les femmes, [celles qui étaient] épouses [tout comme celles qui ne l’étaient pas], 10 ou 15 hommes sur une femme. La plupart des femmes ont été
affectées, les Banyamulengue les ont contaminées,” explique Jeudi.
Assis dans une clairière entre les huttes à l’écart de la principale route
marchande qui traverse PK12, Jeudi nous raconte que sa communauté a été dévastée au cours des évènements.
Il nous emmène voir des femmes qui nous parlent de multiples viols en réunion que nombre d’entre elles ont subi.
Elles nous montrent aussi leurs maisons rudimentaires, désignant du doigt les
fenêtres dont les cadres en bois ont été, selon elles, démontés et brûlés par les soldats lors des combats.
Il y a une compréhension inégale au sujet de la CPI et de son travail parmi les gens à qui nous parlons. Alors que certains semblent n’en avoir jamais entendu parler, d’autres savent qu’à La
Haye, un tribunal étudie les crimes commis contre eux.
Cependant, Jeudi, est au courant du travail de la Cour et comme les autres, il
appelle à ce que Patassé soit traduit en justice à La Haye. “[Il] devrait être emmené à la CPI,”
déclare-t-il.
Marie Edith Douzima Lawson, une avocate de RCA qui représente les victimes devant la CPI, a noté que “lors de
l’audience de confirmation des charges de Bemba le nom de Patassé est apparu comme celui du co-auteur des crimes”.
Elle indique qu’il est difficile d’expliquer aux victimes pourquoi la CPI n’a pas émis de mandat d’arrêt contre Patassé même si la Cour a indiqué qu’il était impliqué dans les violences dans des
documents officiels et des audiences publiques.
Il y a eu de nombreuses spéculations quant à la raison de savoir pourquoi Patassé n’a pas été inculpé. Fatou Bensouda, procureur adjoint à la CPI, a expliqué que les Procureurs n’avaient pas agi
parce qu’ils manquaient de preuves par rapport à sa responsabilité pénale individuelle.
“Nous sommes satisfaits des preuves dont nous disposons quant à la responsabilité pénale individuelle de Bemba.
Voilà pourquoi nous avons continué à poursuivre Bemba. Nous ne disposons pas encore de ces éléments contre Patassé. Voilà pourquoi nous n’avons pas réclamé un mandat d’arrêt contre lui, même si
il est co-auteur avec Bemba,” a-t-elle expliqué.
Bensouda a déclaré que Patassé avait sans aucun doute été un acteur très important dans le conflit de RCA entre 2002 et 2003, et a ajouté qu’il était l’un de ceux qui avaient fait venir les
troupes du MLC dans le pays.
Cependant, elle a déclaré que cela ne suffisait pas pour monter un dossier d’accusation contre lui, “Nous sommes dirigés par les preuves et les preuves seulement. Nos enquêtes continuent, [mais] nous poursuivrons Patassé uniquement si nous sommes convaincus que sa
responsabilité pénale individuelle est établie.”
Elle a également souligné que personne n’est à l’abri de la justice de la CPI, précisant qu’un chef d’état en exercice – Omar El Béchir du Soudan – avait été inculpé par la Cour.
Alors que les citoyens de RCA s’inquiètent du fait qu’aucun ressortissant de leur pays n’ait été inculpé par rapport aux atrocités commises en 2002 et 2003, Bensouda a expliqué qu’il n’y avait
rien d’étrange à cela.
“Ce n’est pas une surprise qu’un chef de milice étranger ait été inculpé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en RCA. A cette époque, Jean-Pierre
Bemba était le chef incontesté du MLC, et de ces mêmes Banyamulengue qui ont violé, pillé et tué les civils en RCA,” a-t-elle
dit.
Bensouda a déclaré que beaucoup de victimes interviewées avaient désigné ceux qui avaient commis des crimes contre eux comme “les hommes de Bemba”.
“Je pense que cela dit tout,” a-t-elle dit. “Les victimes de ces crimes semblent satisfaites, soulagées et reconnaissantes par rapport au fait que Jean-Pierre Bemba ait été arrêté et qu’il soit sur le point
d’être jugé.
“Lorsque nous avons annoncé l’arrestation de Bemba vous pouviez voir sur le marché de nombreuses personnes qui écoutaient la nouvelle, la radio colée à l’oreille. C’était un rêve que Bemba soit
jamais amené à responsabilité pour ce qu’il a fait.”
Les avocats de Bemba ont déclaré que la CPI s’en prenait à la mauvaise
personne.
Lors de l’audience de confirmation des charges contre Bemba en janvier dernier à La Haye, sa défense avait soutenu que le MLC avait été déployé à la demande de Patassé et qu’il avait obéi à ses
ordres, et que Bemba ne pouvait donc pas être tenu responsable pour les crimes prétendument commis par ses troupes en RCA. Une fois que les MLC avaient franchi la frontière du Congo, ils
n’étaient plus “les hommes de Bemba” mais subordonnés à Patassé, ont déclaré les avocats.
Jeudi a expliqué que les gens à PK12 étaient perplexes par rapport à la question de savoir pourquoi ils avaient été soumis à une telle violence par des troupes prétendument soutenues par le
dirigeant d’alors du pays.
“Les [forces] ont donné le prétexte qu’elles étaient là pour chasser les rebelles. Elles seules peuvent expliquer pourquoi elles ont violé les femmes. Si c’était des
soldats ordinaires, ils seraient juste venus pour chasser les ennemis, pas pour violer,” a-t-il dit.
De retour à Bangui, nous nous arrêtons pour parler à Bonaventure, assise pour se reposer à l’ombre d’un arbre, alors que des filles vendant des bananes, mangues et des cartes de recharge pour
portables passent lentement dans la chaleur du jour.
“Si la CPI
fait son travail, Patassé doit aussi être jugé. S’il n’est pas arrêté, cela signifie qu’il n’y a pas de justice dans le monde pour les gens comme moi,” nous dit Bonaventure.
Pierre, originaire de Bossangoa, la ville natale de Bozizé, se joint à notre conversation.
“Patassé doit répondre de ce qu’il a fait. Les Banyamulengue ont fait beaucoup de choses, ils ont commis beaucoup de crimes,” a-t-il dit.
“Ils ont dit aux maris de se déshabiller et de sortir et ils leur ont tiré dessus. Patassé a fait venir Bemba ici, alors lui aussi doit répondre devant la
CPI.”
Parlant à l’IWPR depuis sa maison au Togo, Patassé a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’était “au courant de rien” après avoir été informé que les citoyens de RCA l’accusaient d’avoir invité
les hommes de Bemba dans le pays, et de ne pas avoir mis un terme aux atrocités qu’ils ont prétendument commises.
Patassé a déclaré qu’il n’était pas au courant du procès de Bemba à la CPI et,
interrogé sur le fait de savoir s’il aurait été possible d’arrêter cette violence contre les civils entre 2002 et 2003, il a seulement répondu, “Nous ne sommes pas en 2002-2003, nous sommes en 2009.”
Réinterrogé sur cette dernière question, il a répondu, “Posez cette question à l’actuel président. Je répète, ces
questions ne me concernent pas.”
“Les plaintes portées par Bozizé à la CPI sont illégales. Ce n’est pas à Bozizé le rebelle de se plaindre, c’est à moi qui représentait le gouvernement légal à
l’époque.”
Nous partons pour un voyage en car d’une demi-heure vers un autre quartier périphérique de Bangui appelé Combattant, et nous asseyons avec un groupe de femmes du voisinage. Elles parlent d’abord
lentement, et il y a de longues pauses dans la conversation.
Puis elles commencent à nous
raconter ce qui leur est arrivé lorsque les hommes de Bemba sont venus à Bangui, laissant la désolation dans leur sillage.
“Quand les Banyamulengue sont arrivés, nous nous sommes enfermées dans nos maisons. Nous avions très peur. Il était difficile de trouver de la nourriture. Ils sont restés ici longtemps, jusqu’à
ce que Bozizé arrive au pouvoir. Ils traitaient très mal les gens. Ils tuaient les gens et les jetaient dans la brousse,” a déclaré une
femme.
“Ils ont
violé beaucoup de femmes, même des grand-mères Cinq hommes ont violé la même femme. Cette maladie, le sida s’est désormais répandue ici. Patassé les a amenés [les Banyamulengue] ici pour sa
sécurité mais nous ne savons pas pourquoi ils nous ont violées.
“Leur arrivée a été soudaine. Si un homme réagissait, ils lui tranchaient la gorge. Puis ils couchaient avec toutes les
femmes et en tuaient aussi certaines. S’ils entraient dans la maison et ne trouvaient pas de femmes, ils violaient les hommes.
“Certaines femmes furent violées avec des fusils et gravement blessées à l’intérieur. Beaucoup de femmes sont tombées enceintes mais beaucoup d’enfants sont morts et les femmes
mouraient juste après l’accouchement.
“Les gens
[s’en sont pris à] Patassé en raison du comportement des Banyamulengue.
“Le viol est la pire des choses. Le
viol est un moyen d’humilier la population. Les victimes ont déclaré qu’elles voulaient faire passer une pétition à La Haye pour que Patassé y soit transféré. Nous espérons que cela permettra aux
gens d’arrêter de violer, sachant qu’ils pourraient être traduits en justice.”
Katy Glassborow est reporter de l’IWPR à La Haye. Le Dr Jan Coebergh, un
docteur basé à La Haye qui se spécialise dans l’étude des taux de mortalité dans les situations de conflit, et Mélanie Gouby, reporter basée à Londres, ont contribué à cet article.
Certains des noms reproduits dans cet article ont été modifiés pour des raisons de sécurité.