J’aurais eu un problème de conscience en ma double qualité d’observateur de la scène politique africaine, et de Centrafricain, si je ne réagissais pas aux injures commanditées par le président sortant de la commission de la CÉMAC (Communauté économique et monétaire des États membres d’Afrique centrale), Antoine Ntsimi, et exécutées le 23 février dernier par son compatriote Éric Essomo Tsimi du magazine L’Autre Afrik, sous le titre évocateur : « Antoine Ntsimi accule au ridicule François Bozizé ».
Je devais réagir dès le lendemain de la publication de cet article mais suite à un certain nombre d’éléments d’information qu’un aîné m’a gentiment et fraternellement communiqué en toute confiance, j’avais cru nécessaire, sur ses conseils d’ailleurs, qu’il était préférable, de me faire violence et ainsi faire peu de cas de ces vexations assénées à la perle pour railler mon pays, la République Centrafricaine.
Cependant, l’absence de réactions des supposées autorités centrafricaines, notamment du sulfureux porte-parole du gouvernement Firmin Findiro, qualifié à Bangui de « porte-parole du Ciel et de la terre », pourtant d’ordinaire prompt à vitupérer les chefs de partis politiques du pays par ses déclarations aussi ridicules que risibles sur les antennes de Radio-Centrafrique, et les réactions « très centrafricaines » de certains compatriotes, m’ont ému jusqu’aux larmes et m’ont déterminé à sortir de la réserve que je me suis imposée, volontairement, depuis quelque temps.
Car, si l’on devait s’en tenir qu’à ces réactions renvoyant dos-à-dos un petit fonctionnaire de la CÉMAC adepte des intrigues de rase campagne et celui qui fait office actuellement de président de la République Centrafricaine, donc de représentant légal des quatre millions d’âmes qui peuplent le pays, la question de l’immobilisme des institutions sous régionales ne devrait plus se poser.
Elle ne se poserait plus simplement parce que le président centrafricain se couvrirait de ridicule en dénonçant, à juste titre d’ailleurs, le scandaleux comportement du patron de la commission de la CÉMAC qui se prend véritablement pour le septième chef d’État d’Afrique centrale et qui se comporte à Bangui comme en territoire conquis. À les en croire, le sens de l’Histoire serait donc de laisser Antoine Ntsimi s’amuser ainsi avec le destin collectif des peuples de la sous région.
Heureusement ou malheureusement, c’est selon, la réalité des fait est beaucoup plus complexe, pour ne pas dire plus compliquée.
En effet, si François Bozizé qui est président de la République ne s’inquiète pas du sabotage des projets structurants pour la sous région par ceux-là même qui sont censés en assurer la direction, qui d’autre aurait la légitimité de le faire ?
Pour une fois depuis neuf ans qu’il s’est emparé du pouvoir de l’État par la force des armes, François Bozizé aura eu, de mon point de vue, une réaction digne d’un responsable politique, un vrai, en élevant une protestation énergique contre ce qu’il convient d’appeler « l’inconscience » du président d’une commission communautaire.
Du refus d’humiliation de la République Centrafricaine.
Plus sérieusement, afin que les choses soient claires dans les esprits, il convient de faire une remarque préalable pour préciser le fond de ma pensée. D’autant plus que je suis parfaitement conscient de ce que le seul fait de prendre position non pas pour défendre un homme fût-il François Bozizé mais pour laver l’honneur bafoué de tout un peuple, me fera rapidement passer chez les esprits simples pour un « défenseur acharné » du régime qui conduit mon pays à vau-l’eau.
Or, je suis loin d’être un allié, et ce n’est pas demain que je serai un partisan de François Bozizé.
D’abord, parce qu’on pourrait bien me compter parmi les victimes du régime de Bangui, dont certains ministres se vantent encore aujourd’hui de m’avoir fait virer d’une chaine de télévision dans laquelle j’apprenais mon métier de journaliste.
Ensuite, j’ai subi dans ma chair, les affres de la barbarie et la sauvagerie de ce régime pour avoir été agressé, physiquement, à Paris, par un individu qui semble-t-il avait les yeux et les oreilles des plus hautes autorités du pays.
Enfin, j’ai commis un livre en 2010 (Il neige sur Bangui) pour rappeler en substance que François Bozizé et son clan s’enlisent inexorablement dans leurs errements et qu’ils ne parviendront nullement à empêcher leur dégringolade.
Je n’accepte donc pas que mon pays à travers son président soit ainsi trainé dans la boue. Pour la simple et la bonne raison que je suis profondément républicain et viscéralement attaché au respect des institutions. Mais revenons-en à notre sujet.
Un type malhonnête dilapide les fonds de la CÉMAC.
Au vu de ce qui précède, je tenais, malgré tout, à parler de la République Centrafricaine dont je suis originaire pour l’instruction d’Antoine Ntsimi. Je tiens donc à défendre cette terre de nos pères qui m’a vu naître, m’a connu alors que j’étais enfant et a guidé mes premiers pas.
En fait, j’ai eu la nette impression en lisant son article qu’Antoine Ntsimi ignore tout de mon pays natal, cette malheureuse Centrafrique dont on a dit tant de mal ces dernières années à cause de l’irresponsabilité de certains de ses fils. D’autant plus qu’il ne viendrait pas à l’esprit de celui-ci de faire insulter ouvertement, publiquement et officiellement un autre chef de l’État.
Contrairement à ce que pense Ntsimi, ce pays a connu des personnalités aussi dignes que respectables :
Je pense à feu Abel Goumba, homme d’État, intellectuel et universitaire en ses grades et ès qualités de professeur agrégé de médecine et d’ancien recteur d’université.
Je pense à ma sœur Marie-Noëlle Koyara, première femme ingénieure agronome de notre pays qui dirige avec brio une agence onusienne.
Je ne peux pas ne pas faire allusion à un autre professeur, Gaston Nguérékata, expert ès mathématiques, qui enseigne les équations aux petits américains à l’université de Baltimore.
Je n’oublie pas tous les Centrafricains qui ont dirigé des institutions sous régionales spécialisées comme la Banque de développement des États de l’Afrique centrale et bien d’autres encore qui représentent valablement le drapeau centrafricain à l’étranger.
C’est dire que la médiocrité ambiante du régime actuel ne saurait réduire l’ensemble des Centrafricains à une bande de vauriens comme Ntsimi aime à le claironner à qui veut l’entendre.
Ce qui me fait dire que ces injures commanditées par Ntsimi pour dénigrer la République Centrafricaine ne devraient pas être assimilés à celles qui sont habituellement proférées par certains individus en mal de publicité. Ce ne sont pas des outrages banals, c’est le procès de tout un peuple orchestré par un petit fonctionnaire sous régional. C’est donc le procès de toute l’administration de la CÉMAC telle que la comprennent certains fonctionnaires de cette institution qui n’ont que du mépris pour cette terre qui les accueille et les nourrit quotidiennement.
Et je suis presque tenté de me féliciter que ce procès ait lieu grâce à Antoine Ntsimi, car il nous permet de poser devant l’opinion publique sous régionale le problème si douloureux de la corruption et du gaspillage des deniers de l’institution qu’est la CÉMAC.
Il nous permet de rappeler par exemple que depuis le mois d’avril 2011, Antoine Ntsimi, tout président de la commission de la CÉMAC qu’il soit, est en mission officielle dans son pays, le Cameroun. Cette mission est si bénéfique pour les projets sous régionaux et tellement si longue que la CÉMAC lui fait parvenir chaque mois en sus de son salaire, pas moins de 60 millions de Francs CFA en guise de frais de mission et de différents frais d’hébergement, de location de voiture et d’avion alors qu’il est chez lui et qu’il utilise ses propres véhicules.
Il nous permet également de sous étonner des contres vérités et des mensonges d’Antoine Ntsimi qui a réussi à faire accroire des inepties à certains chef d’État de la sous région afin de justifier son absence de Bangui, et de se faire passer pour le sauveur de l’institution qui sombrerait, selon lui, dans le chaos si un Centrafricain venait à prendre sa tête à cause des supposés appels de fonds des autorités centrafricaines. Tout ça parce qu’il entend rempiler à la tête de l’institution malgré son bilan catastrophique.
Il nous permet enfin et sans que cela ne soit exhaustif de dire à Antoine Ntsimi que s’il avait remis de l’argent au président centrafricain, à la veille du sommet de Bangui, pour solliciter son intervention auprès de ses pairs afin de conserver son poste alors que le Cameroun avait amené son successeur qui attendait dans un hôtel banguissois avant d’être présenté aux chefs d’État, c’était de son propre initiative et cela lui donne nullement le droit de dénigrer François Bozizé qui représente plus de quatre millions d’individus alors que lui ne représente même pas son quartier de Yaoundé.
La faillite annoncée d’une institution de développement.
Lorsque l’Afrique centrale se remettra un jour de la léthargie dans laquelle elle est engluée depuis au moins cinq ans, elle s’apercevra que le bilan d’Antoine Ntsimi à la tête de la CÉMAC est particulièrement dramatique.
Elle s’apercevra ensuite du trou abyssal creusé par cet incapable qui n’a eu de cesse de confondre les caisses de l’institution avec sa poche personnelle et qui n’a que faire, à cause de son incompétence caractérisée, de l’intégration sous régionale et du destin commun des peuples.
C’est en cela que les chef d’État ont l’obligation morale, sinon le devoir de s’intéresser davantage à ce qui se passe dans cette institution. Il y va de l’avenir commun de millions de gens.
Adrien POUSSOU
Journaliste – Éditeur