L’indescriptible, l’incessante souffrance de la population centrafricaine et l’évident blocage du pays sont le résultat à la fois
de la gestion hasardeuse, égoïste, inexcusablement inconsciente
du pouvoir, ainsi que de l’attitude de l’opposition politique qui n’a pas joué réellement, honnêtement le rôle que lui a confié la
constitution, certains de ses membres ayant constamment en tête la perspective de gains faciles ou de l’entrée au gouvernement au prix d’une trahison neutralisante permanente .
Tant que les acteurs centrafricains ne comprendront pas que le pouvoir doit servir l’intérêt général, et qu’on y accède
uniquement pour ce but avec le sacrifice nécessaire, notre pays tournera en rond avec comme éternelle victime l’innocente population.
Le Dialogue Politique est certes une bonne solution. Cependant il n’a de sens que lorsque les différentes parties qui l’ont choisi
comme mode approprié sont de bonne foi et respectent ses recommandations, afin que la crise dont elle est l’objet cesse définitivement.
Avant de penser à un nouveau Dialogue Politique, l’opposition qui le réclame doit tout d’abord se poser les questions
essentielles suivantes et y répondre :
La première question devrait être de savoir pourquoi ce Dialogue est-il
nécessaire ? Si la réponse
concerne la situation actuelle du pays, la seconde question serait alors de savoir si toutes les solutions dégagées lors des deux précédentes rencontres (Dialogue National de 2003 et Dialogue
Politique Inclusif de 2008) ont été insuffisantes pour l’éviter ou y faire face ?
En cas de réponse affirmative, il appartiendrait dans ce cas à l’opposition de proposer très clairement un thème
au Dialogue, avec bien évidemment des garanties de l’exécution effective des recommandations qui s’en dégageraient.
J’ignore personnellement quelles solutions les deux précédents dialogues n’ont pas proposées pour qu’un troisième forum sur la
seule période de dix ans depuis 2003 se tienne, en dehors des véritables causes de la situation actuelle qu’il convient de supprimer tant au niveau du pouvoir que de l’opposition elle-même.
Un rapide coup d’œil sur un passé récent permet de comprendre l’origine profonde de la crise actuelle ainsi que la responsabilité
de chacun des deux principaux acteurs de la vie nationale, c'est-à-dire l’opposition et le pouvoir.
1°RESPONSABILITE DU POUVOIR DANS LA SITUATION DU PAYS
Le Président BOZIZE a raté plusieurs occasions pour créer un déclic national et
engager le pays sur la voie du développement.
Il est étonnant que les conseillers du pouvoir en place n’aient pas perçu tous les déclics qui se sont présentés au régime en place
depuis dix ans pour l’intérêt de la nation, alors que leur rôle devrait être de réfléchir en permanence sur les différents aspects de la société
centrafricaine.
a)COUP D’ETAT DU 15 MARS 2003 : PREMIER DECLIC
RATE
Le premier déclic devrait être créé après le coup d’Etat qui, bien que sanglant et
destructeur par les pillages à grande échelle qui l’ont accompagné, avait suscité néanmoins l’euphorie (bien que naïve) de la population et l’enthousiasme (également prématuré) de certains
leaders politiques qui n’ont pas hésité à qualifier l’évènement de «sursaut patriotique ».
b) DIALOGUE NATIONAL DE 2003 : DEUXIEME DECLIC
RATE
La deuxième occasion d’un déclic que le pouvoir a ratée a été celle du Dialogue
National de 2003. En effet, tout gouvernement recherche une adhésion à sa politique, à son programme. Or le Dialogue National qui a réuni en 2003 toutes les composantes de la nation pour faire
l’autopsie du pays depuis l’indépendance et proposer des solutions pour son relèvement, avait donné une occasion inespérée au nouveau régime pour mettre tout simplement en application des mesures
approuvées par l’ensemble de la nation, opposition politique comprise. Ces mesures n’ont pas été appliquées et les mêmes maux du passé ont donc ressurgi très rapidement.
c)ELECTIONS PRESIDENTIELLES DE 2005 : TROISIEME DECLIC RATE
La troisième occasion ratée a été également celle des élections de 2005, à l’issue desquelles un
tournant décisif devrait créer un déclic (les conditions de ces élections mises de côté).
En effet, même après deux ans de tâtonnement, un régime qui a réellement la volonté de servir le pays
aurait pu rectifier sa marche en profitant de ces élections pour changer, penser surtout au problème de sécurité, son seul cheval de bataille pendant la campagne, pour la simple raison que
son chef est un militaire de carrière. Cette occasion a également été ratée et les Centrafricains en vivent les conséquences dans leur chair et dans leur âme.
d) DIALOGUE POLITIQUE INCLUSIF DE 2008 : QUATRIEME DECLIC RATE
La quatrième occasion ratée a par ailleurs été le Dialogue Politique Inclusif de 2008.
La crise objet de ce forum est née essentiellement de l’inexécution des recommandations du Dialogue National de 2003.
En effet, les recommandations concernant la bonne gouvernance qui auraient pu assurer le redressement du pays dans différents domaines n’ont pas été
exécutées. Par ailleurs, non seulement les recommandations devant surtout permettre une réconciliation nationale effective et une paix
durable n’ont pas été appliquées, mais celles prévoyant le recours systématique au dialogue dans tout conflit, n’ont pas non plus été respectées, malgré les incessants appels de la communauté
nationale et internationale.
Un régime qui ne respecte pas ses engagements surtout pour l’intérêt supérieur de la nation perd toute confiance, toute autorité
auprès de sa propre population et toute crédibilité au sein de la communauté internationale. Or le régime du Président BOZIZE ne respecte rien, depuis la constitution jusqu’à la parole donnée en
passant par les lois et règlements et surtout les actes du Dialogue National par lesquels les composantes de la Nation entendaient tourner définitivement le dos au cauchemar vécu dans le pays,
qui malheureusement a ressurgi très rapidement.
e)ELCTIONS PRESIDENTIELLES DE 2011 : CINQUIEME DECLIC
RATE
Une occasion de ce déclic est malgré tout celle qui s’est présentée à l’issue
des élections de 2011.
Ces élections ont été une catastrophe qui a assombri davantage le régime au pouvoir et par
ricochet le pays par l’ampleur éhontée des fraudes. Elles ont permis de comprendre très clairement que seul le pouvoir intéresse les autorités en place, au détriment de la misère dans laquelle
est noyée de plus en plus profondément la population centrafricaine.
Malgré ces tricheries devenues effarantes pour les autorités elles-mêmes, celles-ci n’ont rien fait
pour changer dans la manière de diriger l’Etat, s’illustrant paradoxalement par des dérives de plus en plus épouvantables, ce qui ne fait malheureusement qu’accroître la tension dans le pays
devenu l’un des plus pauvres du monde avec la plus faible espérance de vie, dont la population meur chaque jour par balle, famine, maladie faute de soin, où les problèmes d’éducation
auront des conséquences très graves dans l’avenir, du fait que l’école n’a plus la place qui était la sienne pour la construction nationale.
f) VISITE A BANGUI ET CONSEILS DU PRESIDENT IDRISS DEBY : SIXIEME DECLIC RATE
Indépendamment de l’ancien Président du Burundi Son Excellence Pierre BUYOYA envoyé plusieurs fois par
l’OIF à BANGUI au sujet de la situation préoccupante de la République Centrafricaine, le Président tchadien s’est déplacé pour conseiller à son homologue centrafricain la nécessité d’un dialogue
avec l’opposition. Alors que la solution conseillée avait un caractère urgent, non seulement elle n’est pas appliquée depuis plusieurs mois déjà, signe très clair d’un manque de volonté
politique, mais la situation du pays s’aggrave chaque jour.
2°REPONSABILITE DE L’OPPOSITION DANS LA SITUATION DU PAYS
L’opposition centrafricaine est sans idéal véritable, existe beaucoup plus pour ses intérêts. Elle n’a tiré aucune leçon du passé et
doit se remettre en cause si elle veut jouer son véritable rôle et susciter un minimum de confiance de la population. Depuis 2003, elle n’a été unanime et ferme qu’au sujet du rejet injustifié
des candidatures à l’élection présidentielle de 2005. Mais cela n’a pas duré longtemps car au cours de cette même élection, certains leaders de l’opposition l’ont trahie en foulant
littéralement aux pieds l’engagement consistant à battre campagne et voter pour son candidat qui arriverait au second tour, dans le cadre d’un programme commun de
gouvernement.
A
l’occasion des élections de 2011, le même scénario s’est répété lorsqu’il a été question de s’assurer des conditions du vote, de ne pas se présenter dès l’instant où celles-ci ne
garantissaient pas l’égalité de chance des différents candidats, sans compter bien évidemment son discrédit par un mutisme total face à la mauvaise gestion des fonds de la
CEI(Commission Electorale Indépendante) dont elle était membre etc.
Les faiblesses de l’opposition centrafricaine sont historiques, incessantes, connues et exploitées en permanence par le pouvoir
qui, ayant obtenu sa division, la manipule à distance comme il veut avec de l’argent et des promesses de postes ministériels, tant convoités par les cadres centrafricains.
Avant le Dialogue Politique Inclusif de 2008, un séminaire dont j’ai été l’un des animateurs a été organisé en faveur de
l’opposition afin de tirer les leçons des faiblesses du Dialogue National de 2003 quant à l’absence de dispositions qui auraient pu obliger le pouvoir à appliquer ses
recommandations.
.
Au cours du Dialogue Politique
Inclusif, l’opposition s’est neutralisée elle-même par des
contradictions
internes. Non seulement, l’opposition n’a pas été en mesure de proposer et obtenir ce qui avait été arrêté à l’issue de ce séminaire pour faire appliquer les recommandations du Dialogue Politique
Inclusif, mais elle s’est beaucoup plus intéressée à l’éventualité d’un poste de Premier Ministre, pendant que le forum se déroulait encore. L’enthousiasme de cette seule perspective a été
tel qu’elle a même oublié de faire voter une recommandation consacrant ce principe, ce qui a donné lieu par la suite à des tensions inutiles pendant plusieurs semaines au sujet du poste de
Premier Ministre, alors que l’objectif de ce forum consistait prioritairement à faire ramener la paix dans le pays.
Aujourd’hui elle est formée de deux groupes distincts, ayant des objectifs différents, l’un réclamant l’annulation
des élections de 2011, mais pas l’autre, ce qui n’est déjà pas un signe d’entente et d’efficacité. Il est plus facile aux partis politiques de se rassembler chaque fois que la situation du pays
l’exige pour constituer une force de circonstance face au pouvoir, par exemple pour obtenir un Dialogue Politique comme ce qui est envisagé actuellement. Malheureusement, cette volonté s’explique
toujours par la perspective d’une opportunité personnelle et ne va jamais plus loin pour l’intérêt de la population, le « koudoufarisme » étant la principale faiblesse de nos partis
politiques.
L’opposition centrafricaine a un comportement totalement paradoxal. D’un côté, elle réclame l’annulation et la reprise des élections de
2011, ce qui revient à dire qu’elle ne reconnait pas des organes comme le Président de la République et l’Assemblée Nationale issus de ces élections, de l’autre, elle participe à
l’élaboration du code électoral qui sera soumis à une Assemblée qu’elle est censée ne pas non plus reconnaître, sans compter bien évidemment le Dialogue Politique actuellement réclamé auprès du
Chef de l’Etat. Tout cela ne peut pas paraître clair dans l’esprit de la population et la discrédite malheureusement, surtout que n’ayant pas pu faire infléchir le gouvernement au sujet des
élections de 2011, il serait peu probable qu’elle le réussisse si le pouvoir fait par exemple modifier à son détriment par une Assemblée Nationale acquise au pouvoir le projet du code
électoral. Il en serait également de même s’il n’applique pas comme d’habitude les recommandations d’un troisième Dialogue Politique.
En 2006, j’avais averti l’opposition de la perte de sa crédibilité au sein de la population à cause de son attitude, ce qu’elle
n’a pas rectifié malgré sa promesse de le
faire.
En novembre 2007, en prévision du Dialogue Politique Inclusif prévu en 2008, j’avais averti les acteurs politiques que l’échec de ce forum ne profiterait à personne et la situation actuelle
confirme cette déclaration.
Aujourd’hui, l’organisation d’un Dialogue Politique est demandée avec insistance par l’opposition. Elle a certainement ses
propres raisons qui seront exposées. Cependant, le rappel de sa responsabilité quant à l’absence totale de son rôle de contrepoids ainsi que celle du pouvoir pour sa gestion hasardeuse aux
conséquences dramatiques, a pour but de leur faire prendre conscience de leurs attitudes qui ont été nuisibles à l’intérêt national, nécessitant un véritable changement pour voir en face la
souffrance de la population, en évitant que cette occasion soit encore l’objet d’un nouveau calcul cynique pour des intérêts purement égoïstes.
Fait à Paris le 29 novembre 2012
Emmanuel Olivier GABIRAULT
Personnalité Politique Indépendante,
Ancien Vice-président du Comité de Suivi des Actes du Dialogue national de 2003,
Ancien Vice-président du Présidium du Dialogue Politique Inclusif de 2008