http://www.la-croix.com 27/12/12 - 19 H 51
Le président centrafricain François Bozizé a appelé hier la France et les États-Unis à l’aider à stopper la rébellion du Séléka qui menace Bangui.
Depuis le 10 décembre, la rébellion a conquis d’importantes villes du Nord et du Centre. Elle a appelé le pouvoir du président à déposer les armes.
Mercredi 26 décembre, à Bangui, des manifestants s’étaient attaqués à l’ambassade de France. Ils réclamaient une intervention de l’armée française pour défendre le pouvoir en place.
Enclavée au cœur de l’Afrique centrale, la République centrafricaine est l’un des pays les plus pauvres dumonde, malgré ses richesses potentielles, minières et agricoles, qui commencent à intéresser, surtout les Chinois. Ses cinq millions d’habitants ont subi le règne de l’empereur Jean-Bedel Bokassa de 1965 à 1979, marqué par ses frasques et ses exactions, dont le massacre d’écoliers en janvier 1979.
En 2003, le général François Bozizé a renversé Ange-Félix Patassé, élu dix ans plus tôt. Trois ans après, les rébellions de l’Armée populaire pour la restauration de la République et la démocratie (APRD) et de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) se sont emparées de plusieurs localités du Nord-Est, dont Birao, reprises avec l’aide de la France et de ses Mirage F1. En 2010, la rébellion de la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) est entrée dans Birao, reprise cette fois par l’armée tchadienne.
POUR LE « RESPECT » DES ACCORDS
Les trois rébellions ont conclu sous l’égide du Gabon un « accord de paix global », prévoyant la démobilisation, le désarmement et la réinsertion des combattants. Le 10 décembre dernier, la coalition rebelle du Séléka, composée de factions dissidentes, prend les armes pour réclamer« le respect » de ces accords.
Les rebelles se sont rapidement emparés, dans le centre du pays, de la ville diamantifère de Bria, dans le sud, de la ville aurifère de Bambari et de Kaga Bandoro. Les effectifs et la puissance de feu de la rébellion ne sont pas connus. En face, l’armée régulière centrafricaine a opposé peu de résistance. Hier, François Bozizé a appelé à l’aide Américains et Français.
À Bangui, le 26 décembre, plusieurs centaines de manifestants, proches du pouvoir, s’en sont pris à l’ambassade de France, reprochant à Paris son inaction. L’ambassadeur de France, Serge Mucetti, a déclaré que « le drapeau français a été descendu de son mât et emporté par des manifestants », qualifiant la manifestation de « particulièrement violente ». Air France a fait faire demi-tour à son vol hebdomadaire.
Contacté par La Croix , un Français installé de longue date à Bangui estimait que « ce n’est pas la chasse aux Français. Bien entendu, il ne faut pas les provoquer. Il vaut mieux se faire oublier. » Ce Français venait de voir passer sous ses fenêtres de jeunes Centrafricains qui manifestaient contre « la France qui en veut à notre pétrole ».
François Hollande a demandé au ministre de la défense « de prendre toutes les dispositions pour assurer la sécurité » des 1 200 Français vivant en Centrafrique. Jean-Yves Le Drian a confirmé hier que la représentation diplomatique avait été « sécurisée » par une trentaine de soldats français.
Le président Hollande a souligné que la présence militaire française en Centrafrique n’était pas destinée à « protéger un régime » contre l’avancée de la rébellion, mais les ressortissants et les intérêts français. Interrogé sur une possible intervention française au profit des personnes déplacées ou des réfugiés, le chef de l’État a souligné que la France ne pouvait « intervenir que s’il y a un mandat de l’ONU », relevant que « tel n’est pas le cas ».
Selon le ministère de la défense, environ 250 militaires français sont actuellement basés sur l’aéroport de Bangui. Dans le cadre de la mission Boali, ils assurent un soutien technique et opérationnel à la Micopax (Mission for the Consolidation of Peace in Central African Republic), sous mandat de la Communauté économique des États d’Afrique centrale. Leur mission est d’assurer la « sécurité générale du pays » et un « soutien à la reconstruction des forces armées » centrafricaines.
Hier, le Quai d’Orsay appelait à régler la crise « par le dialogue ». Les relations entre les deux pays sont régies par un « accord de partenariat de défense » signé en avril 2010. À la différence du pacte de 1960, il ne prévoit pas la possibilité pour l’armée française d’intervenir en cas de conflit intérieur dans ce pays. Le Tchad appelé en renfort. Les Nations unies et les États-Unis ont de leur côté annoncé le retrait « temporaire » de République centrafricaine de tous leurs employés jugés non indispensables et de leurs familles.
Les renforts tchadiens campent aux portes de Bangui à l’appel du président centrafricain. Le contingent de l’armée tchadienne, arrivé en renfort des militaires centrafricains, doit servir de « force d’interposition », selon N’Djamena. Il s’est positionné sur le dernier axe routier menant à Bangui.
Les Tchadiens, rompus au combat et plus lourdement équipés, pourraient être le dernier rempart contre une victoire des rebelles. N’Djamena, allié historique de François Bozizé, avait déjà envoyé ses troupes en 2003 pour l’aider à prendre le pouvoir.
LA FORCE MULTINATIONALE ÉGALEMENT PRÉSENTE
De son côté, la force multinationale d’Afrique centrale (Fomac), qui compte plusieurs centaines de militaires en Centrafrique, a annoncé hier matin l’envoi de nouvelles troupes. « Bangui est sécurisée au maximum par les troupes », mais « d’autres troupes vont arriver pour renforcer cette mission de sécurisation de Bangui », a déclaré à la radio nationale le commandant de la Fomac, le général Jean-Félix Akaga. Il n’a toutefois donné aucun détail sur le nombre et la date d’arrivée de ces éventuels renforts.
Cette force multinationale, mise en place en 2008, avait pour mission d’aider à consolider la paix dans le pays miné par des années de guerres civiles et de nombreuses rébellions. Elle a compté jusqu’à 500 soldats en provenance du Gabon, de République démocratique du Congo, du Tchad et du Cameroun. Elle avait commencé à se retirer progressivement de la Centrafrique, qu’elle était censée quitter définitivement avant le 31 décembre 2013.
Pierre Cochez
Centrafrique: la discrète présence de la firme EHC et de son président, le général Perez
http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr
EHC en Centrafrique, ce n'est pas un secret, surtout quand on connaît le parcours deson président, le général Jean-Pierre Perez. Mais de là à dire que la petite société joue un rôle occulte et détient les clés d'on ne sait quel manoeuvre politico-militaire...!
Jean-Pierre Perez: président d'EHC depuis juillet dernier, le général Perez est un ancien commandant des EFAO que les Affaires étrangères françaises ont recruté pour qu'il serve de conseiller militaire au président Bozizé. Résultat: un séjour de près de 4 ans à Bangui où JPP a tenté de remettre un peu d'ordre au sein des FACA.
Après un passage chez Secopex, le voilà chez EHC où il manie le carnet d'adresses pour décrocher quelques affaires. Mais la concurrence est rude en Afrique et l'argent rare: Bangui reste le tremplin qui devrait propulser EHC vers d'autres pays d'Afrique où la société a proposé, aux gouvernements en place, ses services de conseil, encadrement, formation..
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EHC: à Bangui, la société déploie actuellement un binome de conseillers. A droite Francis Fauchart ; à gauche un ancien officier de la Légion; à Paris (et pas à Bangui, en tout cas pas depuis quelques temps et pas avant quelques semaines), le général Perez.
Le duo de Bangui tente de former des cadres, ceux dont les mutineries de 1996 et 1997 (et peut-être la paranoïa du régime) ont provoqué l'extinction et dont aurait bien besoin les forces armées de RCA pour barrer la route aux insurgés. Des insurgés dont beaucoup seraient des mercenaires/pillards soudanais recrutés pour susciter le chaos et faire tomber le régime de l'intérieur.
Centrafrique : "L'avancée de la rébellion est étonnante"
Le Monde.fr | 27.12.2012 à 20h14 • à 23h04 Propos recueillis par Hélène Sallon
Arrivé au pouvoir par la force en 2003, le président centrafricain François Bozizé voit son autorité contestée par la rébellion du Séléka ("alliance" en sango, la langue nationale), qui a pris les armes depuis le 10 décembre. Mardi, Kaga Bandoro a été le quatrième chef-lieu de préfecture du pays a être attaqué et occupé par la rébellion après Ndélé (nord), Bria (centre) et Bambari (centre-sud). Bangui est désormais menacée, bien que la rébellion ait assuré qu'il n'était pas dans son intention de conquérir la capitale. François Bozizé a appelé, jeudi 27 décembre, la France et les Etats-Unis à l'aider à stopper cette rébellion. Tout en refusant d'apporter un soutien militaire à Bangui, la France a appelé à un règlement de la crise par le dialogue.
Roland Marchal, spécialiste de l'Afrique subsaharienne au Centre d'études et de recherche internationales (CERI) de Sciences Po Paris, revient sur les enjeux de ce conflit.
Comment expliquer que le Séléka ait pris les armes contre le président François Bozizé ? Qui dirige ce mouvement et quelles sont ses chances de renverser le président ?
C'est une organisation dont on sait assez peu de choses. Elle est formée de groupes dissidents de deux mouvements qui contestent la mise en œuvre des accords de paix de Libreville passés en 2008 entre le pouvoir et les groupes rebelles : l'Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) et la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP). Ils estiment que ces accords ne vont pas assez loin, que leurs revendications locales ne sont pas prises en compte, notamment sur la prise en charge des combattants. Le paradoxe est que ces mouvements sont commandés par des leaders qui avaient, à l'époque, rejeté ces accords.
Le chef qui fait la différence au sein de ce mouvement est Michel Djotodia, ancien diplomate et fondateur de l'UFDR, ainsi que son porte-parole Djouma Narkoyo et Eric Massi, le fils de Charles Massi, un ministre du président Bozizé ayant fait défection et tué. Ces personnes ne sont pas connues sur la scène politique centrafricaine. Ce sont des personnalités à la marge, qu'on imagine mal s'installer dans la capitale dont ils ne connaissent pas les élites.
Le mouvement a très vite réussi à contrôler des villes dans le nord du pays car l'appareil d'Etat n'est pas présent, surtout dans l'est du pays. Par effet boule de neige, fort de ses victoires, le mouvement a été rallié par des groupes marginaux et cette partie de la garde présidentielle composée de Tchadiens postés dans la zone frontalière ayant longtemps vécu en Centrafrique. Ils avaient participé à la prise de pouvoir du président Bozizé mais ont été renvoyés fin 2011 face aux problèmes de défection.
Le Séléka est une alliance très hétéroclite et il est surprenant de voir qu'il dispose d'une bonne chaîne de commandement. Politiquement cependant, il ne pourra pas tenir longtemps car il est composé de groupes aux intérêts trop divergents, que ce soit l'argent, l'accès à des fonctions politiques, aux ressources du pays. C'est une des raisons pour lesquelles le Séléka n'est pas pressé d'aller aux négociations car il sait que son unité pourrait vite voler en éclats.
Comment expliquer cette rapide prise de pouvoir de la rébellion ? Disposent-ils d'un soutien interne ou externe ?
Que ces gens aient facilement pris le pouvoir sur leur propre base territoriale ou ethnique n'est pas étonnant. Ce qui est étonnant est de voir leur avancée dans le pays. Cette rébellion combat bien et ne se comporte pas comme avant, en procédant à des pillages ou en maltraitant la population. C'est un signe que cette rébellion est riche, que les combattants peuvent manger à leur faim et qu'il existe une discipline militaire relativement bonne. La question se pose alors de savoir d'où vient l'argent. Il ne vient pas des chefs de la rébellion.
Le suspect idéal est bien entendu le Tchad. Mais je suis assez dubitatif car certains incidents montrent que le président tchadien, Idriss Déby, hésite à intervenir. Il sait que si cette rébellion gagne Bangui, elle va se diviser. Cela donnera lieu à de nouveaux combats dans le Nord et ne permettront pas de sécuriser la région comme il le désire. Aurait-il passé un accord avec cette rébellion ? Cela n'est pas exclu, si l'on considère qu'il a fait libérer récemment des membres de la rébellion.
François Bozizé a pris le pouvoir avec l'aide d'Idriss Déby. Mais il s'est peu à peu autonomisé, s'est enrichi à la tête de l'Etat et a cessé de suivre ses conseils, notamment dès 2006 sur les politiques à mettre en œuvre pour régler les problèmes avec les groupes rebelles. Au printemps, les chefs d'Etat de la région lui avaient une nouvelle fois enjoint de régler ces problèmes en ouvrant un dialogue national et en donnant une plus grande place à l'opposition.
M. Déby est peut-être parvenu à la conclusion que le président Bozizé n'est pas capable de faire le travail et qu'il faut le changer. Cependant, soutenir une rébellion au Nord, plutôt musulman, et perçue à Bangui comme composée de Tchadiens, pourrait détériorer davantage les relations entre Centrafricains et Tchadiens et forcer M. Déby à intervenir en Centrafrique contre d'éventuels incidents. En outre, la nature ayant horreur du vide, il faudrait qu'il y ait une alternative crédible au président Bozizé. Or, cela ne semble pas être le cas avec le Séléka, ni au sein de l'opposition centrafricaine qui est très hétérogène, même si elle s'est réunifiée face à l'avancée de la rébellion. Le président tchadien est pris dans ces contradictions.
Comment expliquer la position de la France, ancienne puissance coloniale en Centrafrique, qui a dit qu'elle n'interviendrait pas malgré les appels en ce sens du président Bozizé et du président tchadien?
Les Français sont dans une position délicate face à l'appel du président tchadien. La France rétorque que c'est un problème centrafricain, interne, qui doit donc être réglé par la commission de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale ou l'Union africaine. Cette position est logique sauf qu'elle ne résout pas la crise dans laquelle la Centrafrique est aujourd'hui.
Ces dernières années, la France a fait en Centrafrique du micromanagement à court terme. On a gagné dix petites batailles et finalement on a tout perdu car la Centrafrique a continué à s'enfoncer. C'est la même chose pour l'Union européenne qui n'exprime pas un grand intérêt à résoudre cette crise. Contrairement à des conflits comme le Mali, la Côte d'Ivoire ou la piraterie en Somalie, la France semble ne pas exprimer ici un grand intérêt à intervenir.
C'est toute l'histoire de la France en Centrafrique, colonisée un peu par erreur et à un moment d'épuisement, et dont on n'a jamais voulu faire quelque chose. Depuis les années quatre-vingt-dix, le pays est une épine dans le pied de la France car les entreprises françaises là-bas ne font pas beaucoup d'argent du fait du climat délétère pour les affaires. En outre, un glissement de la Centrafrique dans la guerre ne remettrait pas en cause les équilibres dans la région. Le seul danger est que le manque de contrôle de ce territoire grand comme la France par les autorités centrafricaines laisse une liberté totale à des opérateurs économiques et militaires, à l'instar des contrebandiers, pour se déplacer.
Propos recueillis par Hélène Sallon