Lu pour vous
Marianne
Pseudoscience
Un marabout, de la sorcellerie, des « sorts » jetés à Kylian Mbappé. Ce n'est pas un Kamoulox, mais bien les éléments d'une extravagante procédure judiciaire, ouverte au début du mois d'août. Selon les informations de franceinfo, le footballeur Paul Pogba a confié aux enquêteurs de l'Office central de lutte contre le crime organisé qu'il était menacé par des amis d'enfance, originaires comme lui de Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne).
Ces « amis » lui réclameraient 13 millions d'euros. Selon le témoignage du footballeur français, ces hommes l'ont plusieurs fois intimidé, accompagnés de son propre frère, Mathias. En mars dernier, Paul Pogba aurait même été entraîné dans un appartement parisien, et menacé par deux hommes armés de fusils d'assaut.
« Grandes révélations »
Aux enquêteurs, Paul Pogba a aussi expliqué que cette bande menacerait de divulguer le contenu d'une clé USB. Des messages y seraient stockés dans lesquels Pogba demanderait à un marabout de jeter « un sort » à ses adversaires et à certains de ses coéquipiers, dont Kylian Mbappé, son partenaire en équipe de France. Une demande que le joueur dément, tout en reconnaissant avoir déjà payé un marabout de son entourage pour se protéger des blessures.
L'objet de ce chantage présumé pourrait prêter à sourire s'il n'était pas pris très au sérieux par les protagonistes. Dans une vidéo publiée ce samedi 27 août, Mathias Pogba menace son frère Paul de « grandes révélations ». Dans des posts sur Twitter, Mathias Pogba fait explicitement référence à cette histoire de « sorcellerie » qui, dans son esprit, pourrait ternir l'image de son frère et l'empêcher d'être sélectionné pour la prochaine Coupe du Monde.
40 % des jeunes croient en la sorcellerie
Un signe, sans doute que dans la société française, la sorcellerie n'est plus considérée comme une lubie farfelue. Une fraction croissante de la population accorde du crédit à cette pseudoscience, définie par le Larousse comme une « pratique magique en vue d'exercer une action, généralement néfaste, sur un être humain (sort, envoûtement, possession), sur des animaux ou des plantes ».
Une enquête de l'Ifop pour la Fondation Jean Jaurès en décembre 2020 observait une recrudescence de cette superstition. « Alors que cela touchait à peine un Français sur six il y a quarante ans (18 % en 1981), la croyance dans les envoûtements et la sorcellerie séduit maintenant près de trois Français sur dix : 28 %, soit une hausse de 7 points depuis 2000, mais surtout de 10 points depuis 1981 », révélait l'enquête.
Ces croyances sont particulièrement répandues chez les plus jeunes. « Aujourd’hui, 40 % des moins de 35 ans croient en la sorcellerie contre 25 % des plus de 35 ans », poursuivait l'enquête de la Fondation Jean Jaurès qui expliquait notamment cette recrudescence par le fait que « les générations nées à partir des années 1980 sont beaucoup moins marquées par une défiance vis-à-vis des croyances religieuses et le matérialisme dominant jusque-là depuis l’après-guerre ».
Football et sorcellerie
La sorcellerie semble trouver un terrain propice dans le football, terrain de toutes les superstitions. Les plus anciens se souviennent que Luis Fernandez, ancien entraîneur du PSG, déversait des pincées de sel dans les buts et Giovanni Trapattoni, ancien sélectionneur italien, arrosait la pelouse d'eau bénite avant un match de la Coupe du monde 2002.
Ces pratiques mystiques sont particulièrement répandues en Afrique, où certaines équipes nationales sont soupçonnées d'avoir embauché des marabouts. Au Sénégal, les responsables de la fédération de football auraient versé 90,5 millions de francs CFA (139 000 euros) à des marabouts pour assurer le succès de l'équipe nationale lors de la Coupe du monde 2002.
Aussi, en 2017, lors de la finale de la Coupe d’Afrique des Nations des moins de 20 ans entre le Sénégal et la Zambie, un joueur sénégalais a lancé une chauve-souris morte dans le but adverse. Avec ce « gri-gri », il pensait jeter un « sort » à l'équipe adverse. Le spectre de la sorcellerie agite les rumeurs les plus folles. En Afrique, le succès de Samuel Eto'o ou de Didier Drogba a parfois été expliqué par l'intervention de marabouts.
Marabouts
En Afrique de l'ouest (Sénégal, Mali, Guinée), les marabouts sont des « lettrés musulmans, [qui] assument différents rôles, celui d’enseignant du Coran, de régulateurs de conflits, ils président aux cérémonies religieuses des baptêmes, des mariages, des funérailles », relevait l'anthropologue Liliane Kuczynski dans un article scientifique paru en 2010.
En France, ceux-ci assurent essentiellement la fonction de « devins » et « confectionnent des amulettes pour les problèmes les plus divers du citadin contemporain », raconte l'anthropologue Liliane Kuczynski dans un article scientifique paru en 2010, et fruit de 20 ans d'études de terrain à Paris. Ils se sont donc « mis à concurrencer les classiques voyants et certains spécialistes de médecines douces » sur le marché des relations familiales, sentimentales ou de voisinages, selon les travaux de Liliane Kuczynski qui relève leur clientèle très diverse.
Le précédent Carla Moreau
Comme le reste des voyants, leur pratique n'est pas spécifiquement encadrée, ce qui occasionne inévitablement des escroqueries, dont la presse se fait régulièrement l'écho. En soi, la pratique des « arts divinatoires » n'est pas réprimée par le Code pénal, qui punit seulement les abus que sont l'escroquerie ou l'abus de faiblesse.
Et au-delà des escroqueries, ce sursaut de superstition sert aussi de moyen de chantage. En mars 2021, Carla Moreau, une célèbre candidate de téléréalité, rapportait avoir été victime d'un racket par une « voyante-sorcière », bien connue sur les réseaux sociaux. Cette dernière aurait extorqué 1,2 million d'euros à la vedette de la téléréalité, notamment en la menaçant de lui jeter un sort et de révéler qu'elle avait fait appel à ses services.