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26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 00:00
Lu pour vous : L’ONU au secours des causes désespérées (suite et fin)
Lu pour vous : L’ONU au secours des causes désespérées (suite et fin)
Lu pour vous : L’ONU au secours des causes désespérées (suite et fin)
Lu pour vous : L’ONU au secours des causes désespérées (suite et fin)

 

 

 

Réticents à utiliser la force

 

Presque tous ces hommes sont des habitués des missions de l’ONU. Le colonel Boungab garde un excellent souvenir de l’opération en Côte d’Ivoire. Le commandant Coppin parle de sa femme haïtienne, rencontrée lors d’une mission onusienne, et qui l’attend à Perpignan. Après Port-au-Prince, puis l’Afghanistan, le Liberia et le Mali, il pense que la Centrafrique sera peut-être sa dernière mission avant de prendre un poste en France. Le lieutenant-colonel Ngoeuy Nong, qui semble ne plus bien savoir s’il est arrivé il y deux ou trois ans et ne prévoit aucune date de retour au Cambodge, est le plus acharné à vouloir enchaîner les missions et rester longtemps sur le terrain. Il raconte avec tendresse le Liban, le Soudan, le Mali, et ne prend presque jamais de permission. « C’est dur ici, dit-il. Mes hommes sont plus sereins quand je suis là… »

 

C’est dur, effectivement. Rosevel Pierre-Louis, qui reconnaît que « Bangassou est un endroit très difficile », raconte que « les groupes armés cherchent un drapeau “UN” n’importe où, pour nous attaquer »« Il y a deux problèmes. Premièrement, le climat d’impunité : aucun Etat, aucune autorité ne les rend responsables de leurs actes. L’appareil judiciaire est inexistant. Deuxièmement, notre réticence à utiliser la force, le fait que nous ne pratiquions que l’autodéfense : ils savent que nous allons réfléchir cinq fois avant de répliquer, que nous ne sommes pas ici pour faire la guerre. »

 

Le chef politique du fortin déplore que les casques bleus ne soient pas un peu plus « guerriers ». « Il faudrait un mandat plus robuste. Nous devrions pouvoir attaquer des hommes armés avant qu’ils attaquent des civils. Ils veulent le chaos et l’extermination des musulmans, et il n’y a que nous pour nous y opposer. »

 

Mandat plus interventionniste

 

La question d’un mandat plus interventionniste fait souvent débat de Bangui à New York. A Bangassou, le colonel Boungab ne partage pas ce point de vue. « Les opérations hasardeuses peuvent envenimer la situation, plutôt que régler le problème », pense-t-il. Même s’il s’énerve parfois des lenteurs et tergiversations des civils de l’ONU, l’officier marocain est un partisan du dialogue. Il est réticent à engager sa troupe dans des actions militaires classiques.

 

Le colonel prend pour exemple l’opération menée, cette semaine-là, à Bangui, contre un chef de gang du quartier musulman de PK5, le « général Force ». Echouant à l’arrêter, les soldats de la Minusca ont fait face à des heures d’émeutes puis de combats. Ils ont dû tuer un certain nombre de jeunes combattants, et ont perdu des casques bleus. L’opération s’est soldée par un fiasco, et le climat s’est nettement détérioré pour les « soldats de la paix ».

 

A Bangui, le commandant militaire de la Minusca, le général sénégalais Balla Keita, lui aussi vétéran des missions de l’ONU (Darfour, RDC, Liberia) dresse, sans fard, un constat des limites de l’action d’une force onusienne. « On maintient le malade centrafricain en vie le temps que les bons docteurs de la diplomatie et de la politique fassent la paix. Nous sommes les seuls à pouvoir maintenir en vie des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes… »

 

« L’histoire d’un mandat plus robuste est un piège, pense le général Keita. Nous sommes entre deux belligérants, dont chacun pense que nous devons mener sa guerre. Chacun croit que l’ONU n’est pas la solution, car nous ne l’aidons pas à anéantir son ennemi. » Il a le même sentiment que le colonel Boungab à Bangassou, lorsqu’il se décrit comme étant « entre le marteau et l’enclume ».

 

Le commandant de la force de l’ONU, constatant que « l’imposition de la paix par les armes, ça ne marche pas », pense qu’il faut, au contraire, « être beaucoup plus teigneux dans le processus politique ». Il admet, cela dit, des faiblesses intrinsèques à l’organisation interne des Nations unies : « On n’est pas bons ! Pour un militaire, il est difficile de mener des opérations en dépendant de toute cette bureaucratie. On ne mène pas une guerre avec des administrateurs et des bureaucrates. »

 

Le chef politique de la Minusca, représentant du secrétaire général de l’ONU à Bangui, Parfait Onanga-Anyanga, connaît par cœur tous ces débats. Il lance « un plaidoyer pour le temps »« Nous sommes dans un pays où il n’y aura pas de solution militaire, pas de victoire militaire d’un camp sur l’autre, mais où le maintien de la paix n’est jamais acquis, pense le diplomate gabonais de l’ONU. Nous sommes au fond du trou ici ! En cinquante-sept années d’indépendance de la Centrafrique, il y a eu quarante-sept ans d’instabilité. Il faut tout reconstruire. Il faut remettre un Etat sur pied. La seule chose que nous pouvons faire, c’est de porter ce rêve de reconstruction de la Centrafrique, qui doit ensuite être réalisée par les Centrafricains eux-mêmes. Nous sommes face à une nation traumatisée, à laquelle il faut donner du temps. »

 

Une tête coupée en trophée

 

A Bangassou, des « anti-balakas » se sont récemment manifestés près du camp de réfugiés musulmans ; en réaction, des jeunes du petit séminaire ont capturé un combattant chrétien en allant couper du bois dans la jungle voisine, l’ont tué, et ont rapporté sa tête coupée au camp, en trophée. Autant dire que Rosevel Pierre-Louis n’a guère apprécié l’épisode, dont il craignait qu’il fiche en l’air des semaines, voire des mois de discussions. L’officier marocain qui, en tournant son doigt sur sa tempe pour mimer la folie, raconte l’histoire, sourit tristement : « L’immense majorité veut vivre en paix, mais certains veulent la destruction de l’autre communauté. » Et il utilise alors la même expression que son colonel pour évoquer des casques bleus pris « entre le marteau et l’enclume ».

 

Au fortin, l’heure est pourtant exceptionnellement à l’optimisme. A la suite d’une visite de bons offices, quelques jours auparavant, du cardinal de Bangui, monseigneur Dieudonné Nzapalainga, en duo avec son ami l’imam Omar Kobine Layama, des « anti-balakas » songeraient à rendre les armes dans le cadre du programme onusien « Désarmement, démobilisation, réintégration » (DDR). La région bruisse de rumeurs. Des discussions discrètes ont lieu. Et puis, après avoir fixé aux combattants un jour de rendez-vous sans trop y croire, le commandant Coppin annonce un matin : « Ils arrivent ! Ils sont nombreux, je vais envoyer des renforts à l’entrée de la base. »

 

Devant la barrière du fortin, tenue par une compagnie de sécurité privée sous l’œil des casques bleus postés dans les miradors, ils arrivent en effet, à dix, puis vingt, cinquante, cent jeunes armés de fusils artisanaux. Ils vont toucher 25 000 francs CFA (38 euros) et obtenir un stage de formation professionnelle en échange de leur arme. L’agent onusien, qui les reçoit cinq par cinq, leur demande s’ils préfèrent la maçonnerie, la menuiserie, la mécanique. Il y a aussi une formation de couturière pour les jeunes combattantes. Les Nations unies, décidément, pensent à tout.

 

« L’ONU, C’EST VRAIMENT LE CIRQUE, ET RIEN NE DIT QU’ON VA RÉUSSIR… POURTANT, CE SERAIT TELLEMENT PIRE SANS NOUS »

 

Un gars aux biceps saillants, Ray-Ban de contrebande sur le nez, arrive avec deux fusils et demande s’il peut toucher une double prime. C’est non. Alors il repart, et attend d’être rejoint par une amoureuse appelée à la rescousse. Derrière un bosquet, en deux minutes, il montre à la jeune fille, qui à l’évidence n’est pas plus combattante que lui n’est curé, comment monter et démonter l’arme. Puis ils reviennent à deux, tout sourire, signer le formulaire du DDR et repartent avec leurs 50 000 CFA (76 euros).

 

Nul ne sait si mademoiselle deviendra couturière, si monsieur ira bien aux cours de mécanique, ou s’il a de toute façon un troisième fusil en réserve pour continuer le combat, mais pendant que certains agents de l’ONU se réjouissent de l’affluence, un officier marocain grommelle : « C’est une mascarade. Cela permet aux chefs de l’ONU d’envoyer de beaux rapports à New York, de justifier tout l’argent qu’on dépense ici et de se mettre en valeur, mais ce programme est une connerie. Les armes artisanales comme ça, ces gars-là les fabriquent en une heure avec un tuyau et deux bouts de bois. »

 

Et ainsi va la vie au fortin de Bangassou… Un autre matin, un officier a à peine fini de manger son œuf dur avec le pain trempé dans l’huile d’olive qu’il se tape la main sur le front : « Merde ! C’est le truc des Rwandais aujourd’hui, il faut y aller ! » Le « truc » des Rwandais, c’est la commémoration du génocide des Tutsi, exterminés en 1994. Une bâche a été tendue entre deux camions blancs. « Mémoire, reconstruction, vie »est-il écrit en lettres vertes.

 

Le Rwanda, un épisode noir

 

S’il existe, parmi les multiples pages sombres des missions de l’ONU dans le monde, un épisode noir par excellence, c’est bien celui de Kigali. A l’époque, le général canadien Roméo Dallaire et les casques bleus belges n’avaient pas tiré une seule balle pour défendre les Tutsi. Le commandant Steven Semwaga, qui commande depuis un mois l’unité rwandaise à Bangassou, affirme que, pour leur part, les soldats rwandais « sont prêts à mourir pour défendre des civils et accomplir cette mission »« Nous, on n’a pas peur de combattre, dit-il d’une voix douce, mais avec un regard qui ne laisse guère de doute sur sa détermination de soldat. Notre armée l’a d’ailleurs prouvé, au Congo, au ­Soudan, au Mali. »

 

L’aide de camp du commandant Semwaga lui sert un café. Si l’huile d’olive est « marocaine » et les crevettes « cambodgiennes », le café est évidemment « rwandais », et ne pourrait venir de nulle part ailleurs – l’ONU vit en autarcie et, à part pour l’eau de rivière, ne consomme rien venant de la région.

 

L’officier constate que les Centrafricains rencontrés en ville ne le questionnent guère sur l’expérience rwandaise. « Ils ne connaissent pas l’histoire du génocide. Ils sont peu éduqués ici… Pourtant j’en parlerais volontiers avec eux. Je leur raconterais comment le Rwanda a surmonté cette tragédie. » La discussion sur le génocide continue. On sent qu’il ne comprend pas l’inaction onusienne face à l’extermination des siens. Le commandant parle du livre de souvenirs et de regrets du général DallaireJ’ai serré la main du diable« Vous l’avez lu ? On m’en a souvent parlé. Je crois que je vais finir par le lire ici… »

 

Le matin suivant, une colonne part vers l’aérodrome. C’est le jour de la rotation aérienne. La vendeuse d’ananas et de bananes est là. Avec une heure de retard, l’hélicoptère blanc arrive et débarque ses passagers. Certains ont la mine déconfite de ceux qui rentrent de permission. Un officier prend des nouvelles : « Alors, c’est vrai ce qu’on dit à Bangui, ils déposent les armes ? » Son camarade confirme la scène de désarmement, et ajoute : « On verra, tu sais… Ils n’ont rendu que des vieilles pétoires. »

 

Puis ils partent dans leurs 4 x 4 vers la base, dans un nuage de poussière. « Franchement, parfois je ne sais pas très bien ce que je fais là… confie un officier. Même si c’est l’enfer cet endroit, c’est une aventure intéressante, c’est sûr. Mais bon, l’ONU c’est vraiment le cirque, et rien ne dit qu’on va réussir. » Il réfléchit puis, dans un murmure, glisse que « pourtant, ce serait tellement pire sans nous… » Et il repart pour des semaines, des mois, s’enfermer dans le fortin.

 

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