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20 décembre 2016 2 20 /12 /décembre /2016 23:36
Lu pour vous : En république démocratique du Congo, «Kabila doit partir»

 

 

REPORTAGE

 

Par Pierre Benetti, Libération Envoyé spécial à Kinshasa — 20 décembre 2016 à 20:46

 

Au moins 20 manifestants ont été tués lors d’affrontements avec les forces de l’ordre à Kinshasa, alors que le Président, dont le mandat se terminait mardi, tente de se maintenir au pouvoir.

 

Il est minuit ce mardi en république démocratique du Congo : le dernier mandat du président Joseph Kabila est terminé mais il est toujours en poste. A la lisière des quartiers les plus riches et les plus pauvres de Kinshasa, les habitants sifflent et tapent des casseroles pour lui donner «un carton rouge». Des militaires déployés dans les ruelles arrêtent les siffleurs. Ces sifflets, arrestations et tirs durent une partie de la nuit, tandis que la radio énumère le nom des membres du nouveau gouvernement, désignés sans même attendre les résultats des négociations en cours entre le pouvoir et une partie de l’opposition. Au même moment, l’opposant historique Etienne Tshisekedi appelle dans une vidéo, à la «résistance pacifique» contre le «coup d’Etat» de Kabila. Le nouveau Premier ministre, lui, lance quelques heures plus tard, un appel au calme, exhortant les forces de l’ordre à la «retenue».

 

Mardi matin, dans une ruelle délabrée du quartier Lemba, une foule entoure un vieux minibus jaune et bleu, un de ces tas de ferraille que les habitants de la capitale appellent «esprits de la mort». Le pare-chocs est recouvert de branchages, les sièges sont occupés par un cadavre, une balle au-dessus de l’œil. Celui de Patrick Likewe, jeune homme d’une vingtaine d’années qui habitait le quartier voisin Ngaba, mort vers 8 heures.

 

Ville fantôme

 

Selon les Nations unies, au moins 20 civils ont été tués entre lundi et mardi. Lemba et Ngaba font partie des quartiers qui ont manifesté en dépit du dispositif militaire et policier déployé depuis plusieurs jours. «Ce n’était pas un manifestant, s’écrie sa sœur, il allait seulement acheter du pain !»Une marche avait commencé, on a tiré à bout portant. La famille n’a pas les moyens d’emporter le corps à la morgue. «Joseph Kabila doit partir !» scandent des voisins en colère.

 

Les affrontements ont laissé les rues désertes, longées par des habitants hagards, noircies de pneus et de planches brûlés, jonchées de cailloux et de cartouches de gaz lacrymogène qui arrache la gorge et les yeux. En deux jours, Kinshasa est devenu une gigantesque ville fantôme. Ses artères embouteillées et ses vendeurs de rue ont soudain disparu. Même les milliers d’enfants de la rue sont partis se cacher. Les épiceries sont vides, les commerçants chinois, libanais et indiens ont déplacé leurs stocks.

 

Seuls circulent les camions de policiers, de gardes républicains, de gardes présidentiels, d’agents de renseignement et d’informateurs qui leur indiquent où intervenir. Les stations-essence, protégées en cas d’attaque, ont été transformées en campements où s’allongent des policiers épuisés qui demandent à boire. Déjà sous-payés, ce sont eux qui doivent maîtriser les quartiers après les ratissages de l’armée. Des têtes se penchent à travers les portes, de rares habitants tentent le diable pour trouver de quoi manger. Les plus téméraires, ou les plus en détresse, ont pris le bus pour aller au travail. Difficile de prévoir les jours à venir dans une ville qui vit «au taux du jour» (allusion aux fluctuations du dollar), et encore plus de penser à Noël qui approche.

 

«C’est ça la démocratie ?»

 

A la limite entre Lemba et Ngaba, l’inquiétude a empêché Barnabé et sa famille de dormir. A 72 ans, il reste assis derrière la porte fermée de sa maison jaune, dans laquelle il a rentré sa voiture, tandis que dehors des jeunes avancent et reculent au gré de la répression. Le quartier est pris en tenaille par plusieurs bataillons. «Il faut poursuivre nos efforts pour faire partir ce monsieur Kabila, dit Barnabé, car nos enfants veulent travailler et vivre. Nous, nous avons déjà fait notre vie.»

 

Un camion anti-émeutes asperge d’eau une maison en face. Les journalistes sont interpellés pour «vérification». «C’est interdit de taper sur les gens !» crie un homme en apercevant un pick-up où trois jeunes interpellés se font frapper avant d’être emmenés. Un homme accourt d’une autre rue : «On jette du gaz lacrymogène dans les maisons, les enfants ne respirent plus ! C’est ça la démocratie ?» Des voitures de la Monusco, la mission de maintien de la paix des Nations unies présente en république démocratique du Congo depuis 1999, passent au ralenti.

 

Les plaies de Kinshasa se font moins nombreuses en remontant vers les avenues désertes des quartiers plus aisés. Des jeunes tapent le foot dans des terrains vagues, des bars rouvrent peu à peu. Ce calme pourtant peu serein faisait dire au conseiller diplomatique de Joseph Kabila dès lundi soir que «la population ne met pas la pression au Président». Mais dans «la Cité», l’ancienne cité indigène, d’autres débuts de manifestation se heurtent à des cordons militaires. «Rentrez chez vous, le Congo est aux Congolais !» hurle un vrai-faux policier en demi-costume, une branche de bambou à la main. Les prochains jours seront difficiles. «On ne sait pas comment on va manger», répètent en boucle les habitants de Kinshasa.

 

Pierre Benetti Envoyé spécial à Kinshasa

 

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