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30 décembre 2015 3 30 /12 /décembre /2015 12:40
Lu pour vous : La misère, obstacle à la paix en Centrafrique

 

 

REPORTAGE

 

 

Par Cyril Bensimon (Bangui, Ndélé, envoyé spécial)  LE MONDE Le 30.12.2015 à 10h44 •  30.12.2015 à 11h07

 

La République centrafricaine (RCA) aura en 2016, sauf catastrophe, un président élu. Mais ici, l’homme de l’année 2015 est sans discussion le pape François. Sa visite à Bangui – un mois avant le premier tour des élections présidentielle et législatives de mercredi 30 décembre – a ouvert des brèches dans le mur de haine qui s’est érigé depuis trois ans entre les communautés chrétienne et musulmane.

 

Lundi, « une caravane de la paix » conduite par l’archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, cherchait à donner du corps à l’appel à la réconciliation du pape. Mission du jour  : permettre aux musulmans, toujours enclavés dans leur réduit du PK5 (poste kilométrique 5), d’accéder au cimetière du quartier de Boeing. Par peur des miliciens anti-balaka, les musulmans n’ont d’autre choix que d’enterrer leurs morts dans les cours de leur maison, avec tous les risques sanitaires que cela comporte.

 

« Bêtises »

 

Au sein de ce cortège, on retrouvait l’imam Oumar Kobine Layama, président de la communauté islamique de RCA et inséparable partenaire de Mgr Nzapalainga ; un chef anti-balaka qui, depuis sa libération de prison, se pose en «  apôtre de la paix » ; un chef de groupe d’autodéfense musulman en guerre contre « les ennemis de la paix » au sein de sa communauté ; un ancien premier ministre ou bien encore une ex-Miss. Devant les tombes mangées par la broussaille, l’archevêque convainc le chef local des anti-balaka de laisser « nos frères musulmans » accéder aux lieux, et les quelques jeunes sur place, de couper les hautes herbes contre rétribution. Dans un élan démonstratif légèrement exagéré, un adolescent jette sa machette en criant  : « Plus jamais ça ! » Puis supplie : « Trouvez-moi un travail ! J’ai faim ! »

 

A plus de 600 kilomètres au nord-est de là, les requêtes ne sont guère différentes. Ndélé est une ville sablonneuse, bastion des anciens rebelles de l’ex-Séléka. « L’Etat n’a rien fait pour Ndélé, lance Abacar Sanzé. Ici, on a oublié ce qu’est l’électricité. L’hôpital et les écoles fonctionnent grâce aux ONG internationales. Pour aller à Bangui, il faut une semaine en saison sèche et presque un mois en saison des pluies. Tous les enfants ont pris des armes, car il n’y a pas de projets. Si le gouvernement ne fait rien, on va répéter nos bêtises. » « On a pris le pouvoir car il n’y a pas de travail, ajoute son frère d’armes, Matar Ali. C’est comme si on était des étrangers alors que je suis né ici. » Comme tous les combattants de l’ex-Séléka, ou encore le sultan des lieux, ils dénoncent l’abandon de la région. Dans cette ville où«  quatre familles sur cinq possèdent une arme », selon un policier des Nations unies, la première attente des miliciens est le lancement du programme de « désarmement, démobilisation et réinsertion  » (DDR). Celui-ci, veut-on croire, permettra d’offrir des postes dans des forces de défense et de sécurité refondées, de retourner à l’école ou de « gagner un emploi ».Tous les précédents programmes DDR en RCA ont échoué.

 

Dans la capitale et l’ouest du pays, les FACA (Forces armées centrafricaines) ont fait leur retour sur le terrain. Ces deux dernières années, la communauté internationale s’est évertuée à empêcher leur réapparition. Nombre de ces soldats ont constitué le noyau dur des anti-balaka après la dissolution de l’armée, lorsque la Séléka a tenu le pouvoir entre mars 2013 et janvier 2014. Le capitaine Eugène Ngaïkosset raconte avoir repris du service, en novembre, à la demande du ministre de la défense.

 

Six mois après son « évasion » des locaux de la section recherches et investigations de la gendarmerie, celui qui a acquis le surnom de « boucher de Paoua » à la suite des massacres perpétrés entre 2005 et 2007 joue les pacificateurs dans son quartier de Boy-Rabe. « Les anti-balaka faisaient la pagaille partout, tuaient, blessaient, volaient et rançonnaient. Maintenant, c’est fini. Quand on attrape un malfrat, on le ramène à la gendarmerie », dit-il, fier de cette nouvelle mission. Il est indéniablement populaire dans le quartier, tant les habitants se sont détachés de ces miliciens ayant versé dans le banditisme. « Ce redéploiement, non officiel, est bénéfique à court terme, mais il est très risqué, car c’est un moyen de pression sur le futur élu. Cette sécurisation se fait dans des quartiers ethniquement homogènes, mais les FACA n’interviennent pas sur les zones de fracture. Cela ne contribue donc pas à la stabilisation générale du pays », s’inquiète une source au sein de la Mission des Nations unies.

 

Gabegie

 

Le quartier de Cattin est l’une de ces zones de fracture. Arthur, « un simple chômeur » comme il se définit, lâche au milieu de ce champ de ruines que« les musulmans sont comme des serpents ». Le conflit en Centrafrique a pris le masque d’une guerre de religions mais le fond de la crise est peut-être à chercher ailleurs. Notamment dans les décombres de l’entreprise qui a donné son nom au quartier.

 

A Cattin, il y a encore une vingtaine d’années, on produisait et exportait du café. Au début des années 1990, il existait en RCA un petit tissu industriel de plus de 200 entreprises. Elles ne sont plus qu’une vingtaine. Le pays avait des usines de production textile, de chaussures, d’assemblage de voitures ou de mobylettes, un secteur agricole exportateur de fruits et légumes. La gabegie des dirigeants politiques qui se sont succédé a fait voler en éclats toutes ces activités, laissant l’immense majorité de la population dans un état de survie. Plus le gâteau à partager s’est rétréci, plus la logique ethnique s’est accentuée. Mutineries et rébellions se sont enchaînées avec leur lot de massacres et de pillages. Des guerres de ventres creux où l’on ne se bat désormais que pour arracher les dernières miettes d’une nation morcelée.

 

Cyril Bensimon  Bangui, Ndélé, envoyé spécial

 

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