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30 janvier 2015 5 30 /01 /janvier /2015 17:19

 

 

 

http://www.voixdelain.fr   Vendredi 30 janvier 2015 à 16h15

 

Le 19 janvier dernier, Thérèse Priest, plus connue sous le prénom de Claudia, est enlevée en Centrafrique par des miliciens anti-Balaka.

 

Cette femme de 67 ans, domiciliée à Pont-de-Veyle, fondatrice de l’association humanitaire Imohoro restera séquestrée  cinq jours avant d’être libérée.

 

En bonne santé mais psychologiquement marquée, elle a bien voulu répondre en exclusivité aux questions de Voix de l’Ain.

 

Mme Priest, voici une semaine que vous avez été libérée. Comment vous sentez-vous ?

 

Ça va. Je suis en bonne santé. Mais… Disons que j’ai toujours un mauvais sommeil. Ca va passer !

 

Racontez-nous les circonstances de votre enlèvement

 

Je circulais avec un frère qui conduisait. Et un autre monté derrière, que je ne connaissais pas. Nous transportions des tables d’accouchement qui devaient permettre de doubler la capacité d’un dispensaire que l’association soutient, aux environs de Bangui. A la sortie de la ville, tout à coup, le pick-up a été bloqué par des énergumènes. Ils portaient des sortes de cagoules, des grigris… Ils étaient surtout lourdement armés. Le frère qui conduisait a été violemment jeté par terre. Des gens sont montés dans la voiture. On est partis en trombe en direction du quartier de Boy-Rabe. On a du rouler une quinzaine de minutes, pied au plancher dans les ruelles très sinueuses d’un quartier très résidentiel.

 

Quand le pick-up n’a plus pu avancer, on nous a sortis de la voiture (NDLR : Mme Priest et l’homme de l’arrière).

 

Des coups de feu et un couteau sous la gorge

 

Ils nous ont forcés à marcher encore une quinzaine de minutes. On a gravi une colline pour arriver jusqu’à une sorte de carrière. Ca pétaradait dans tous les sens. Ils tiraient des coups de feu. C’était très violent. A plusieurs reprises, les ravisseurs m’ont mis un couteau sous la gorge. Deux hommes me serraient très fortement les bras. Au point de me faire des bleus. J’essayais de capter du regard l’attention des villageois. C’est là que j’ai vu que l’homme qui était avec nous dans le 4×4 était la juste derrière. Dans un sens, cela m’a un peu rassuré. Je me suis dit : c’est un Centrafricain, il connaît la langue… Mais c’était vraiment effrayant.

 

Avez-vous compris ce qui vous arrivait ?

 

Non. Je ne comprenais rien ! Les ravisseurs me parlaient du Cameroun, me disaient que j’étais une traître. Et je ne pouvais rien dire. Si j’essayais d’ouvrir la bouche, ils me disaient qu’ils allaient me tuer.

 

Que s’est-il passé ensuite ?

 

Nous sommes restés la fin de la journée dans la carrière. A la nuit venue, on nous a descendus dans un village. On m’a mis une sorte de veste d’homme et quelque chose sur la tête pour ne pas qu’on voit que j’étais blanche. Et puis on est parti dans un village bien plus loin. On a dû marcher environ 3h, en pleine nuit. Là, nous sommes arrivés dans un village isolé au milieu des collines. Nos ravisseurs nous ont confiés à une autre équipe. Des gens qui n’étaient pas armés et qui se sont montrés plutôt (hésitation).. bienveillants à notre égard.

 

La compassion des villageois

 

Etiez-vous enfermée ?

 

Non, mais j’étais suivie et surveillée. J’ai quand même pu échanger avec les villageois, qui m’ont témoigné leur compassion. Le chef du village nous a même fait porter du manioc à faire griller.

 

Dans quelles conditions étiez-vous retenue ?

 

Difficiles. On dormait dans une maison en brique couverte de paille. Le premier jour, je dormais par terre. Je leur ai dit que je n’avais pas mon traitement antipaludéen sur moi et que si je tombais malade, compte tenu de l’isolement du village, cela pouvait très vite mal tourner pour moi… Je crois que ça les a interpellés. Après, j’ai dormi sur un lit de briques, comme cela se fait là-bas et ils m’ont même donné une moustiquaire.

 

Les ravisseurs vous ont-ils expliqué les raisons de votre détention ?

 

Pas tout de suite. Mais une fois arrivée au village, on m’a dit qu’ils voulaient m’échanger contre un officier anti-Balaka (NDLR : le général Andjilo) arrêté peu avant avec une grosse somme d’argent à la frontière du Cameroun.

 

“Mal au coeur de songer à l’angoisse de ma famille”

 

A quoi pensiez-vous ?

 

J’ai beaucoup pensé à ma famille. Je me disais qu’ils devaient énormément s’inquiéter. D’autant qu’on sait les exactions qui ont été perpétrées par les milices… Des viols, des mutilations. J’avais vraiment mal au cœur de songer à leur angoisse.

 

En même temps, la bonté des gens du village me mettait les larmes aux yeux. Les gens me parlaient, me disaient de ne pas être triste…

 

Un jour, un vieil homme d’une maigreur telle qu’on voyait bien qu’il n’était pas loin de la tombe est venu m’offrir deux papayes… Il ne faut pas croire que la population soutient les brigands de grand chemin qui nous ont enlevé. Ces exactions sont le fait d’une minorité, souvent très jeune et à contexte politique dans lequel tout a été mis à terre…

 

Etiez-vous informée de l’avancée des négociations ?

 

Pas vraiment. Je savais que des négociations avaient lieu, mais je ne voyais aucune issue. Le 4e jour, je commençais à être très affaiblie. Je n’avais pas pu me laver. J’en avais assez. J’ai dit que désormais, j’arrêtais de parler et de manger. J’ai pris ma bouteille d’eau et suis allé m’enfermer dans la case. Je crois que ça leur a fait un peu peur… Vers une heure du matin, quelqu’un est arrivé et m’a dit « lève-toi maman, tu es libre. »

 

J’ai cru qu’il se moquait de moi. Je n’y croyais pas !

 

Le rôle clef de l’archevêque

 

Et là ?

 

On a encore fait une longue marche. J’étais si fatiguée qu’on a du faire des pauses. Et Mgr Dieudonné Nzapalainga, l’archevêque de bangui, un homme remarquable, une des grandes autorités du pays, qui a pesé de tout son poids pour ma libération, est venu me chercher. Je le vois encore marcher vers moi sur un petit chemin terreux.

 

A ce moment, vous êtes-vous dit que vous étiez vraiment libre ?

 

Oui. Quand j’ai vu Monseigneur Nzapalainga, je savais que c’était bon.

 

Comment s’est organisé le retour en France ?

 

Il a fallu plusieurs jours. On m’a conduit à l’ambassade ou il y avait beaucoup de monde. L’ambassadeur m’a donné une chambre. J’ai vu des médecins et des enquêteurs, des gens de la cellule de crise… Bref, j’ai pu monter dans l’avion dimanche, avec quelques personnes. A l’arrivée, Laurent Fabius était là. Il s’est montré extrêmement humain et compatissant.

 

“Ce serait horrible et lâche d’abandonner une majorité par peur de quelque bandits”

 

Et à Pont-de-Veyle ?

 

On a reçu beaucoup de témoignages de sympathies. Des amis, des gens que nous ne connaissions pas et même des élus, qui proposaient leur aide. J’ai aussi reçu des lettres très méchantes, me disant que je n’avais qu’à pas partir la-bas, que je l’avais bien cherché… Je suis triste pour ces gens. Ils doivent vraiment être très malheureux pour en arriver à cela. Je crois que le maire a prévu une petite cérémonie avec quelques personnalités et les gens de l’association.

 

Pensez-vous retourner un jour en Centrafrique ?

 

Bien sûr que j’y retournerai ! J’aime profondément ce peuple doux et pacifique. Ce serait horrible et lâche d’abandonner une majorité par peur de quelque bandits. Les centrafricains ont été outrés de cet enlèvement. Beaucoup savent ce que fait l’association : nous travaillons entièrement bénévolement, nous partons avec nos propres deniers, pour améliorer les conditions de vie de villageois. Nous avons noué des liens très forts avec les gens. Ils m’appellent maman. On ne se perd jamais de vue. On est fous de joie quand on se retrouve. Comme je leur dit souvent : il y a tout dans ce pays pour en faire un paradis !  Reste à trouver une stabilité politique et un leader d’envergure pour conduire le pays… Alors, non, je ne suis pas du tout résignée. Et je compte bien y retourner quand la situation se sera un peu calmée.

 

Propos recueillis par Etienne Grosjean

Lu pour vous : Claudia Priest : "j'ai eu très peur mais je n'abandonnerai pas le peuple de Centrafrique"
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