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19 juin 2014 4 19 /06 /juin /2014 16:55

 

 

 

 

http://www.lesechos.fr/   JEAN-FRANÇOIS FIORINA / DIRECTEUR ADJOINT | 


En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-100969-larmee-francaise-au-coeur-du-nouvel-arc-de-crises-africain-1014850.php?wKRXrKFbvQTHmi2C.99

 

L’organisation du salon Eurosatory, cette semaine à Paris Nord Villepinte, est l’occasion de s’intéresser aux théâtres d’opérations extérieures de l’armée française en Afrique. Où il apparaît qu’une "approche globale" de ces conflits impose une analyse géopolitique.

 

La récente visite de Laurent Fabius à Alger, après celle de Jean Yves Le Drian le mois dernier, atteste de l’importance accordée par Paris à la situation au Sahel. Notamment au sud de la Libye, où a émergé un véritable " trou noir sécuritaire" ( Le Figaro, 09/06/2014), provoqué par la chute de Kadhafi et, paradoxalement, par le succès de l’intervention française au Mali. Et où djihadistes et trafiquants – qui sont souvent les mêmes – profitent de l’absence de l’État pour prospérer.

 

Mais la dégradation de la situation sécuritaire concerne bien d’autres zones. La carte des principales interventions militaires françaises n’est-elle pas parlante ? De l’opération Serval au Mali depuis janvier 2013 à Sangaris en République centrafricaine, au mois de décembre de la même année, les troupes françaises semblent suivre la dynamique territoriale d’un "arc de crise" africain, depuis les confins du Sahara et du Sahel jusqu’en Afrique centrale. Un vaste espace qui est aussi l’un des deux principaux couloirs de communication du continent (avec le rift africain), et qui correspond à la zone de contact entre les mondes – et les peuples – du désert et de la savane, voire de la forêt.


C’est ce qu’observe l’africaniste Bernard Lugan dans un récent numéro spécial de L’Afrique réelle (n°53) : " Après la région saharo-sahélienne, une nouvelle ligne de fracture s’est en effet ouverte en Afrique centrale. Elle court depuis le Nigeria à l’Ouest jusqu’à la région du Kivu à l’Est, touchant le nord du Cameroun, les deux Soudan et la RCA". Une situation qui met cruellement à jour les deux principaux problèmes de l’Afrique, d’ailleurs totalement imbriqués : la fragilité de nombreux Etats, et la prégnance des fractures ethniques.

 

De l’ethnique au religieux ?

 

Les conflits de la région semblent toujours davantage marqués par le facteur religieux. Mais les oppositions religieuses sont-elles si récentes ? Ne puisent-elles pas aussi à d’autres sources ? Bernard Lugan rappelle que toute la bande sahélienne est depuis le XVIIIe siècle le théâtre d’une expansion de l’islam en direction du sud, où résident des populations d’ethnies de tradition animiste.

 

À l’époque coloniale, ces populations se convertissent en masse à la religion de leurs " protecteurs" européens : le christianisme. Lugan relève aussi ce prolongement de l’ethnique vers le religieux au Nigéria : " Les fondamentalistes musulmans qui contrôlent le nord du Nigéria cherchent à exacerber la fracture entre le Nord et le Sud ; et cela afin d’imposer l’indépendance du Nord qui deviendrait ainsi un État théocratique".

 

L’action de la Seleka en Centrafrique relève du même processus : " Le conflit ethnique de RCA est donc peu à peu devenu religieux, engerbant en quelque sorte les composantes ethniques régionales avec tous les risques internationaux qu’une telle évolution implique". Ainsi, au départ simple " coalition de plusieurs tribus nordistes, dont les Gula et les Runga, le Seleka fut rejoint par des pillards venus tant du Tchad que du Soudan".

 

L’exacerbation des tensions religieuses est certes liée pour partie au contexte international. Comme l’écrit Didier Giorgini dans la revue de géopolitique Conflits (n°1), " certains islamistes considèrent la lutte contre les chrétiens en Afrique comme une sorte de conflit à échelle réduite de ce que serait à l’échelle du monde la lutte Islam-Occident, une sorte de "conflit périphérique" ou de conflit limité à défaut d’avoir la possibilité d’étendre leur champ d’action à toute la planète".

 

Les victimes sont donc essentiellement les populations chrétiennes, comme au Nigéria, ou encore les musulmans relevant de l’" islam des terroirs" (Omar Saghi). En effet, l’islam sahélien conserve des pratiques traditionnelles jugées scandaleuses pour les rigoristes wahhabites et autres salafistes, chaque partie s’accusant mutuellement d’activisme prosélyte. C’est ce qui explique, notamment, la campagne de destruction des mausolées de Tombouctou, lors de son occupation par les islamistes en 2012-2013.

 

Les auteurs de Centrafrique, pourquoi la guerre ? (sous la direction de Thomas Flichy de la Neuville, Lavauzelle, 2014) décrivent également une forme de " cannibalisation de l’islam national par l’islam transnational". Le facteur religieux n’est donc pas binaire, opposant simplement les musulmans aux chrétiens. Il déchire les communautés elles-mêmes. Au point que la religion semble surtout contribuer à "sanctifier" d’anciennes lignes de fractures ethniques, à exacerber des tensions déjà à l’œuvre, souvent depuis longtemps.

 

Une zone de défaillance étatique qui se dilate…

 

La plupart des conflits du moment voient la prégnance des facteurs ethniques. Au Nigéria, Bernard Lugan estime que tout le nord du pays est devenu une immense zone grise en raison des apparentements ethniques transfrontaliers. Les peuples haoussas, fulanis et kanouris s’entraident ou s’opposent au mépris des frontières étatiques.

 

Ces affrontements ethniques pourraient conduire, par emboîtement d’échelles, à une totale fragmentation de la région. Lugan rappelle que c’est ce processus qui a été observé au Soudan : "À une guerre raciale entre "Arabes" nordistes et "Noirs" sudistes, succéda en effet une guerre ethnique entre les deux principales ethnies nilotiques du Soudan du Sud", rendant ce nouvel État pratiquement ingouvernable.

 

La faillite de la construction étatique est illustrée par la dynamique des forces centrifuges qui conduisent à de nombreuses sécessions de fait. On le constate au Mali, où aucune solution politique ne pourra être trouvée sans une reconnaissance, à tout le moins, de la spécificité touarègue au nord du pays. De nombreux autres espaces de l’Afrique saharo-sahélienne basculent dans la catégorie des "zones grises". Tandis qu’en RCA, c’est la réalité même de l’État issu de la colonisation qui est en cause.

 

C’est ce qu’observent les auteurs de "Centrafrique, pourquoi la guerre ?", lorsqu’ils écrivent que " depuis l’indépendance, la Centrafrique a retrouvé son instabilité antérieure. Dans ces circonstances, parler d’"État failli" serait un contresens, dans la mesure où aucun État n’a jamais véritablement existé, les affrontements ethniques et religieux contemporains ne faisant que révéler la fragilité d’une frontière désarmée, vulnérable à toutes les agressions".

 

L’Afrique recèle certes un formidable potentiel de développement. Mais le continent reste déchiré par de profondes fractures géopolitiques qu’il serait pour le moins naïf de sous-estimer. Les interventions que l’armée française est contrainte d’y mener aujourd’hui en témoignent. Sachant qu’elle ne saurait prendre le risque d’être considérée localement comme ennemie, et qu’elle ne pourra pas tout régler à elle seule. Va-t-elle d’ailleurs pouvoir continuer à intervenir autant, à l’avenir, au vu des restrictions budgétaires ?

 

Seules des solutions politiques permettent la sortie par le haut des conflits. Si elles entendent s’inscrire dans la durée, ces solutions exigeront sans doute de mieux prendre en compte la réalité du continent, c’est-à-dire celle des structures politiques spécifiquement africaines.

 

@JFFiorina

L’armée française au cœur du nouvel "arc de crises" africain
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