La Lettre de CBM/ Novembre 2011
DE LA DEPENALISATION A LA DEFISCALISATION ?
Quel avenir pour les médias centrafricains
« S’il m’était laissé de choisir si nous devons avoir un gouvernement sans journaux ou des journaux sans gouvernement, je n’hésiterais pas un instant à préférer le dernier choix. » Thomas Jefferson
Depuis quelques semaines, une épée de Damoclès plane sur les organes de la presse écrite centrafricaine via un bras de fer opposant ceux-ci au service des impôts.
Dans un communiqué rendu public le 22 octobre 2011, le Groupement des Editeurs de la Privée et Indépendante de Centrafrique (GEPPIC) interpellait en ces termes les autorités centrafricaines :
« - A Son Excellence Monsieur le ¨Président de la République, Chef de l’Etat, pour qu’il s’implique dans la recherche des solutions aux problèmes de la presse privée de Centrafrique, notamment, pour que des moyens financiers et matériels conséquents soient accordés aux journaux privés, afin de leur permettre de se donner un environnement décent, susceptible de les hisser vers le statut de l’entreprise de presse;
- Au Département des Finances, de se rapprocher du GEPPIC, afin d’avoir des
informations fondées sur la réalité de la presse écrite, ce qui lui éviterait de créer des tensions inutiles dans un environnement social où il n’est pas du tout souhaitable de chercher à enfoncer des gens qui n’ont en partage au quotidien que la pauvreté et l’inquiétude ; »
Le ton est donné : IL FAUT SAUVER LES JOURNAUX CENTRAFRICAINS.
Rappel des faits :
Directement contacté, les responsables des impôts auprès de qui je me suis rapproché m’ont affirmé que l’opération visant les journaux n’est pas une stratégie consistant à euthanasier la presse privée indépendante de Centrafrique mais que cela participe à une opération de recouvrement qui ne vise pas que la presse mais tous les contribuables.
En effet, le syndicat de la presse privée centrafricaine le GEPPIC ne renie pas la régularité des faits : « Après analyse des documents envoyés par les services des impôts aux journaux de la place, les Directeurs de publication, au cours de leur rencontre du samedi dernier estiment, qu’il est normal, qu’il soit exigé à une entreprise qui fait du commerce, de s’acquitter de ses obligations vis-à-vis de l’Etat, par le paiement des taxes et des impôts. De ce fait, une entreprise de presse ne saurait se soustraire à un tel devoir. Dans le principe donc, les responsables des journaux considèrent, que la démarche des services des impôts s’inscrit dans une action classique. »
S’il n y a rien d’illégal dans la démarche du service des impôts, pourquoi lancer un SOS ?
Quelle est l’état de santé de la presse écrite de Centrafrique ?
Selon des dispositions légales en vigueur en République Centrafricaine, rien n’interdit aux autorités compétentes de procéder à des opérations de recouvrement auprès des contribuables légalement constitués et menant une activité commerciale comme le fait la presse écrite de notre pays. Sur le principe, rien ne l’interdit. Cependant, la réalité de la presse écrite centrafricaine est à l’image de l’économie, de la santé, de l’éducation, de la sécurité….un secteur vital mais sinistré.
Reprenons l’état des lieux dressé par le GEPPIC :
« - Très peu de journaux ont un siège, pour la simple raison que les recettes des ventes, qui varient entre 2000 et 8000 francs CFA, ne peuvent pas leur permettre de supporter le poids d’un loyer ; ne parlons pas de salaires.
- Dans les organes qui ont la chance d’avoir un siège, c’est la promiscuité totale. Souvent, les rédacteurs et les ordinateurs (les ordinateurs sont des dons), se partagent les mêmes espaces, ce qui oblige parfois certaines personnes à rester en dehors de l’unique pièce disponible.
- Alors que sous d’autres cieux, les journaux sont tirés et vendus par dizaines de milliers d’exemplaires, par jour, les journaux centrafricains à cause d’un lectorat absolument réduit, éditent entre 100 et 500 copies, qui ne sont jamais totalement vendues, sans oublier qu’il est impossible d’atteindre l’arrière-pays, faute de messagerie.
- Pour ce qui est des recettes, il convient de dire, ouvertement, qu’elles sont uniquement destinées à payer l’impression des éditions. Et lorsqu’il n’y a pas de recettes, les journaux sont tirés à crédit. Résultat, dès qu’il y a une annonce ou une insertion publicitaire, l’argent ainsi ponctuellement obtenu, s’en va couvrir les dettes contractées auprès de l’imprimeur. »
Face au service des impôts qui en toute légalité doit procéder au recouvrement et une presse privée sinistrée dans sa majorité, quelle est la solution appropriée afin que le devoir des uns ne supprime le droit des autres ?
Comment sortir de la crise ?
I : L’Immédiat
Jugeant de la bonne foi des autorités fiscales et afin d’éviter une paralysie de l’apprentissage démocratique de la République Centrafricaine, il serait honorable que celles-ci accordent une période de sursis aux organes de presse. Cette période de sursis aura pour objectifs de :
1. Vérifier la légalité de la constitution de chaque organe ;
2. Vérifier la comptabilité de chaque organe ;
3. Imposer (taxer) individuellement chaque organe de presse en fonction de sa constitution et sa comptabilité ;
4. Trouver un échéancier pour chaque organe de presse pris individuellement ;
S’il est vrai que chaque contribuable est un maillon essentiel des recettes de l’état, pris individuellement, ce ne sont pas les contribuables de la presse écrite de Centrafrique qui vont paralyser la République. Sursoir à cette opération de recouvrement est un acte de courage et de foi.
II : Le Moyen terme
S’inspirant de la Convention de Windhoek pour le développement de la presse africaine de mai 1991 qui fait obligation aux Etats signataires de soutenir la presse, le candidat du Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC) à l’élection présidentielle du 23 janvier 2011 avait mis sur la table le projet « Prime à la lecture » qui était une incitation juridique, matérielle et financière de l’état à destination de la presse écrite en particulier et la presse en général.
Pour la financer, nous prévoyions une double grille :
a) une taxe de 50 Fcfa sur chaque bouteille d’alcool produite en République Centrafricaine et 75 Fcfa sur les bouteilles importées.
b) Une prime à la lecture de 10000 Fcfa accordée à tous les fonctionnaires, les retraités (vivants) et étudiants boursiers (du système universitaire local).
c) La prime versée aux fonctionnaires, aux retraités et aux boursiers proviendrait en partie de la réduction du train de vie de l’état puisque nous prévoyons un gouvernement réduit à seize ministères et une réduction de moitié du nombre de conseillers et de chargés de mission à la Présidence, à la Primature ainsi qu’une réduction de 25% du salaire des députés. Cette réduction du train de vie de l’Etat n’avait pas exclusivement pour but de soutenir la presse privée mais de réaliser des économies en partant de ce que nous possédons pour commencer à financer des opérations de redressement et d’urgence dans l’éducation, la santé, etc.
d) La Prime à la lecture pour les fonctionnaires, les retraités et les boursiers serait versée directement à l’organe de presse auprès de qui ces derniers se sont abonnés. Il était question de négocier avec les organes de presse pour que l’abonnement mensuel des agents de l’état, des retraités du secteur public et des boursiers reviennent moins cher qu’un abonnement classique ce qui aurait permis avec la prime individuellement accordée de souscrire à deux abonnements mensuels minimum ;
e) Nous prévoyions aussi une subvention pour les radios privées et communautaires de Centrafrique sous forme de :
ü Formation ;
ü Subvention financière directe ou incitation fiscale ;
ü Détaxe partielle ou intégrale sur certaines fournitures importées ;
ü Etc.
La mise en application de cette réforme devrait intervenir six mois après le changement et répondait à un cahier de charges :
1. Contrôle de la constitution régulière des organes de presse ;
2. Modification des dispositions légales régissant la presse centrafricaine ;
3. Période d’adaptation de 3 mois accordée ;
4. Les organes de presse écrite qui voulaient bénéficier de cette prime devraient :
a) Se constituer en Sarl avec un capital social initial de Trois millions de Fcfa dont la moitié des apports débloqués et logés sur un compte bancaire local ;
b) Un cahier de domiciliation réelle à savoir : un siège physique, un justificatif de fonds de roulement, une déclaration d’embauche (minimum 3 employés en siège et 4 en région) et une liste de matériels bureautique et de reportage ;
c) S’engager à respecter les dispositions légales en matière de publication et d’édition ;
d) S’engager à faire une double édition : Sango/Français (période d’un an accordée pour application)
e) S’engager à une distribution nationale. Pour cela, la reforme postale que nous projetions, nous aurait permis de mettre en place un service de messagerie efficace, adapté à notre ambition de redynamisation nationale (une année était accordée aux organes de presse dès son adoption et début d’application).
f) S’engager à accorder, une fois par mois, soit des pages ou des heures de disponibilités pour des œuvres de sensibilisation : MST/IST, Alphabétisation, Vulgarisation de techniques agricoles…etc.
Un ensemble de dispositions légales encadrait cette « Prime à la Lecture » afin d’éviter aux organes escrocs, parasites, satellites et partisans (organe de presse des partis politiques) de ne pas polluer l’initiative. L’organe chargé de gérer les fonds alloués à le Prime à la Lecture était le HCC en étroite collaboration avec les services de l’état qui en vérifie la régularité. Cette prime à la lecture qui n’est pas figée était appelée à évoluer. Nous nous accordions le quinquennat pour apprécier.
Notre péché au sein de SEWA OKO, c’est que nous n’avons pas su ou pu expliquer valablement ce projet durant la période de campagne. J’en dresse ici un résumé qui peut servir de piste de réflexion aux autorités compétentes ainsi qu’au GEPPIC pour trouver à moyen terme un début de solutionnement à la crise que connaît la presse écrite centrafricaine qui ne date pas d’aujourd’hui et qui trouve non seulement sa justification dans la conjoncture que nous connaissons mais aussi et surtout dans cette tradition où la lecture n’est pas le 1er de nos efforts surtout si elle fait appel à quelques CFA qui sont mobilisés soient pour les nécessités ou la distraction. Or la presse est le thermomètre de la démocratie. Sans elle, l’on ne peut parler de démocratie et sans véritable démocratie, les liens aux noms desquels nos destins sont liés ne tiennent plus.
Conclusion
<< Dans un pays où il n’y a plus d’opposition, la presse s’attribue la fonction d’opposition. >> disait Nicolas Sarkozy. Ceci est d’autant plus vrai pour la RCA puisque l’opposition a été neutralisée ou s’est auto-neutralisée. Notre pays n’a de démocratique que cette presse qui a accompagné le retour au multipartisme du début des années 90 et sans laquelle, nous serions aujourd’hui la basilique de l’obscurantisme à l’intérieur de laquelle nous chanterons sans interruption la symphonie de la pensée unique et les refrains à la gloire du Timonier.
Dans ce pays essentiellement fiscaliste qu’est la République Centrafricaine et qui doit aujourd’hui s’en vouloir d’avoir soit mal géré ses entreprises publiques ou de les avoir privatisés ; l’administration est dans son droit, lorsqu’elle exige que tous les contribuables y compris les organes de presse s’acquittent de leurs dus. Mais dans ce même pays, il y a un nombre considérables de sinistrés économiques à qui la crise de l’énergie a rendu la vie encore plus amère.
Trouver une solution à la crise fiscale des organes de presse est un acte de courage et de foi disais-je.
Courage car il faut trouver ailleurs l’arbitrage nécessaire pour équilibrer ce qu’y aurait été la participation immédiate des organes de presse. Courage aussi, car de la part de certaines autorités qui sont l’objet de la rigueur de certaines plumes, ce serait faire preuve de grandeur.
Foi, puisqu’il s’agit de parier sur l’avenir. En effet, sous-jacent la question fiscale des organes de presse, il y a cette urgente obligation qui est la mobilisation des ressources pour d’une part relancer l’économie, la rendre compétitive et la moderniser en réduisant la part de l’informel.
Clément DE BOUTET-MBAMBA
La Lettre de CBM est une
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