Par THOMAS HOFNUNG (Liberation.fr) 20 novembre 2012 à 17:14
Les rebelles du M23 ont mis leur menace à exécution : ils ont pris ce mardi le contrôle de Goma, la principale ville du Nord-Kivu, malgré les
pressions de la communauté internationale. En milieu de journée, après de brefs combats, les hommes de Sultani Makenga ont investi la
localité sans rencontrer de résistance. L’armée congolaise avait fui la ville, dans le sillage des autorités politiques locales. Quant aux Casques bleus de la Monusco, ils sont restés terrés dans
leurs campements. Selon l’AFP, la ville est restée calme, comme tétanisée.
La débandade des troupes gouvernementales face à l’irrésistible offensive des rebelles, pour l’essentiel des Tutsis congolais
dotés de canons de 120 mm et d’appareils de vision nocturne, s’est en revanche accompagnée de mouvements de panique dans les camps de déplacés. «Le camp de Kanyaruchinya, où MSF intervient, est aujourd’hui vide, a indiqué l’ONG dans un
communiqué.Près de 60 000 personnes, déjà déplacées depuis plusieurs mois, ont fui à nouveau dans la panique.» Ces déplacés ont tenté de trouver refuge dans d’autres
camps de la zone, ou vers le Sud-Kivu.
Le coup de force des rebelles du M23 est un véritable tournant dans cette nouvelle crise au Nord-Kivu. En 2008, une précédente
rébellion s'était arrêtée aux portes de la ville, sous la pression de la communauté internationale. Cette fois, les rebelles ont sauté le pas, apparemment sûrs d’eux et de leur bon droit.
Soutenus par le Rwanda voisin, et dans une moindre mesure par l’Ouganda, selon un rapport d’experts de l’ONU, les rebelles du M23 ont pris les armes au printemps dernier contre les troupes
fidèles au pouvoir central de Kinshasa, accusé de ne pas avoir respecté les accords de paix de 2009.
«Il s’agissait d’un jeu de dupes de part
et d’autre, observe Thierry Vircoulon, du think tank International crisis group (ICG). Loin d'être intégrés dans l’armée nationale, les ex-rebelles de 2008 avaient pris à leur compte le contrôle
militaire de la région.» Quand Kinshasa a décidé de les mettre au pas, ils se sont révoltés et repris les armes. «Aucun des problèmes structurels qui nourrissent la crise n’a été résolu : la
réforme de l’armée, l’inclusion politique des ex-rebelles, la réforme foncière, la gestion des ressources minières, etc…», ajoute Thierry Vircoulon pour lequel «le déficit persistant de gouvernance de Kinshasa et l’interférence de Kigali» [capitale du Rwanda, ndlr] produisent en
quelque sorte les mêmes effets.
Alors que les responsables politiques du Congo appellent la population à la mobilisation générale, le président Joseph Kabila
s’est rendu en urgence à Kampala (Ouganda) pour un sommet régional sur la crise au Nord-Kivu. A New York, la France tente de mobiliser
ses partenaires pour faire pression sur les soutiens extérieurs du M23. Plusieurs observateurs notent le soutien résolu et indéfectible de la conseillère Afrique du président
Barack Obama, Susan Rice. «Il faut
désormais passer au cran supérieur et que des sanctions soient prises contre les responsables rwandais qui soutiennent le M23, dit une source bien informée. Il faut aussi que la Cour
pénale internationale se penche d’urgence sur la crise au Kivu. C’est la seule façon d’enrayer le cycle sans fin de la violence et de l’impunité.» Ironie de l’histoire, le Rwanda
vient d'être élu au Conseil de sécurité de l’ONU pour deux ans.
RDC : les rebelles contrôlent Goma, le Rwanda appelle Kabila à
négocier
GOMA (RDCongo) (AFP) - 20.11.2012 21:09 - Par Phil MOORE
Les rebelles du M23 ont pris mardi le contrôle de Goma, capitale régionale de la riche région minière du Nord-Kivu dans l'est de la République démocratique du
Congo (RDC), une ville réoccupée pour la première fois depuis sa conquête en 1998 par des rebelles pro-rwandais.
Le Rwanda, accusé par Kinshasa et l'ONU de soutenir le Mouvement du 23 Mars (M23) a pris acte de la chute de la
ville et demandé aux gouvernement congolais de négocier avec les rebelles.
Le M23 n'a guère rencontré de résistance de l'armée qui s'est regroupée à Saké, à une vingtaine de kilomètres au sud-est, selon
plusieurs témoignages, et Goma semblait calme dans l'après-midi, a constaté l'AFP.
Le M23 "contrôle la ville de Goma et
poursuit l'ennemi (...) en débandade", a proclamé peu après midi le porte-parole du M23, le colonel Viannay Kazarama. Il a
demandé à tous les militaires et policiers congolais en poste dans la ville de se rendre.
Le chef militaire rebelle, Sultani Makenga, a ensuite fait son entrée
avec une escorte. Cet officier qui avait fait défection de l'armée régulière en mai pour créer le M23 est accusé "d'horreurs à grande échelle (...) contre les civils", par Washington qui l'a placé sur une liste noire de personnes sanctionnées.
Kigali, qui dément soutenir le M23, a appelé le gouvernement congolais à un "dialogue politique" direct avec les rebelles, des négociations avec toute l'opposition déjà exigées par les
rebelles lundi mais auxquelles Kinshasa s'est jusqu'ici refusé.
"Ce qui s'est passé aujourd'hui à Goma
montre clairement que l'option militaire (...) a échoué et que le dialogue politique" est la seule option, a affirmé la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo.
Joseph Kabila s'est rendu mardi après-midi à Kampala, pour discuter de la
crise avec le président ougandais Yoweri Museveni et les autres Etats de la région des Grands Lacs. L'Ouganda a aussi été mis en cause par
l'ONU pour son aide au M23.
La France a réclamé une révision du mandat des 17.000 Casques bleus déployés en RDC, qui n'ont pas été en mesure d'intervenir
pour s'opposer à "quelques centaines d'hommes". "Déployer 17.000 hommes et fixer un mandat qui ne permet pas d'intervenir, c'est absurde", a insisté le chef
de la diplomatie française, Laurent Fabius.
A Goma, l'ambiance s'est détendue dans l'après-midi : les habitants ont recommencé à apparaître dans les rues alors que les
soldats du M23 circulaient sans incident. La ville ne portait pas de traces de destruction. Mais 37 personnes blessées par balles, dont 12 enfants, étaient soignées à l'hôpital Heal
Africa.
Les rebelles ont aussi pris le contrôle des deux postes-frontières avec la ville rwandaise voisine de Gisenyi, a constaté
l'AFP.
Goma avait déjà été occupée à deux reprises en 1996 et 1998 par des rébellions, appuyées par le Rwanda voisin. En 2008, une
précédente rébellion, menée par Laurent Nkunda, s'était arrêtée aux portes de la ville après avoir défait l'armée.
Les nouveaux combats de ces derniers jours ont provoqué d'importants mouvements de population et notamment le déplacement de
camps entiers de populations déplacées, désormais affamées, selon Médecins sans Frontières. "Il y a urgence
car cela représente plus de 100.000 déplacés, sans aucun abri, sans accès à l'eau, sans aucune nourriture et une partie d'entre eux sont porteurs de choléra", a souligné le Dr
Marcela Allheimen, une responsable de MSF à Paris.
L'ONU a par ailleurs accusé les rebelles d'avoir enlevé des femmes et des enfants.
Le M23 a été créé début mai par des militaires, qui après avoir participé à une précédente rébellion, ont intégré l'armée
congolaise en 2009, à la suite d'un accord de paix. Ils se sont mutinés en avril, arguant que Kinshasa n'avait pas respecté ses engagements. Ils refusent notamment d'être mutés dans d'autres
régions, ce qui les éloignerait de leur zone d'influence dans l'est.
Les provinces des Nord et Sud-Kivu sont le théâtre de conflits quasiment ininterrompus depuis une vingtaine d'années en raison
de leurs richesses en ressources minières et agricoles, que se disputent le gouvernement congolais, divers mouvements rebelles et les pays voisins de la RDC, l'Ouganda, le Rwanda et le
Burundi.
© 2012 AFP