Source : kernews.fr
Jean-François Probst, l’ancien bras droit de Jacques Chirac, est un éminent spécialiste de l’Afrique. Après une
carrière politique extrêmement riche (il a notamment été conseiller de Jérôme Monod au RPR, secrétaire général du groupe RPR au Sénat, conseiller d’Alain Juppé et directeur de la communication de
la Mairie de Paris pour Jean Tibéri), il est aujourd’hui consultant international en communication et conseille des chefs d’entreprise, des politiques et des chefs d’État africains. Il était
l'invité de Yannick Urrien mardi 21 décembre à 8h10 sur Kernews.
Nous publions quelques extraits de l'entretien avec Jean-François
Probst. Ce script ne constitue pas l'intégralité de l'entretien sonore: compte tenu de la longueur de l'entretien, nous avons dû trier, de notre point de vue, les citations les
plus marquantes de M. Probst.
Kernews : Pour quelles raisons le gaulliste que vous êtes estime-t-il que nos compatriotes,
particulièrement ceux qui sont attachés aux souverainetés nationales, doivent s’intéresser aux événements de Côte d’Ivoire qui, selon vous, marqueront l’histoire de l’Afrique
?
Jean-François Probst : Pour comprendre ce qui se joue aujourd'hui, il faut se reporter à la fin de la
IVème République. Les socialistes n'arrivaient pas se dépêtrer des affaires coloniales et c'est là que le général De Gaulle a joué un coup majeur, pour l'intérêt supérieur de la France et des
Africains : il a octroyé par référendum à chaque pays la possibilité de devenir indépendant et souverain. La base de l'indépendance nationale lorsque l'on est gaulliste, c’est le 18 juin 1940.
C'est le refus de l'occupant, c'est le refus de la collaboration avec l'ennemi, c'est la capacité, malgré la difficulté, à résister. En Côte d'Ivoire, la flamme d'une résistance générale, contre
les colonisateurs, les anciens colonisateurs ou les nouveaux colonisateurs que sont les États-Unis, la Chine ou l'Inde, cela existe. Dans le monde entier, des centaines de milliers de jeunes gens
s'informent et voient bien qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Ce qui ne fonctionne pas, c'est un point très cher à la doctrine du général De Gaulle : l'organisation des Nations Unies,
«le machin» comme l'appelait le général. C'est une organisation qui n'a pas lieu de s'ingérer dans les affaires intérieures d'un pays pour régler ou annoncer les choses à sa manière. Dans ce qui
se passe, la responsabilité de l'ONU est patente. Les Nations Unies ne font pas respecter leurs résolutions de manière générale, que ce soit en Israël, en Iran ou au Kosovo après les trafics
d'organes…
En Côte d'Ivoire, les Nations Unies n'ont pas fait leur travail pour organiser une élection dans un pays qui a connu une
dizaine d'années de crise. Monsieur Gbagbo a été élu en 2000. Il n'est pas arrivé du ciel, il n'est pas seulement un homme un peu socialiste
soutenu par les socialistes français. C'est un Ivoirien qui a souffert dans le passé en tant qu’opposant et c'est d'ailleurs Monsieur Ouattara qui l’avait mis en prison quand il était premier ministre de Monsieur Houphouët-Boigny.
Pour revenir à ce qui nous préoccupe, les Nations Unies auraient dû organiser des élections incontestables. Or, ce qui vient de se passer montre que rien n'était prêt : les listes électorales
n'étaient ni faites ni à faire, on a vu 20 000 électeurs supplémentaires par rapport aux inscrits dans le nord où Ouattara et Soro ont été des rebelles à l'élection... Il y a eu des fraudes, tricheries et truandages... Le délégué des Nations Unies en Côte d'Ivoire, Monsieur
Choi, a, à mon avis, une technique coréenne qui n'a rien à voir avec la démocratie moderne. S'il souhaite par la suite qu'il y ait deux Côte
d'Ivoire, comme il y a deux Corée depuis 70 ans, c'est son affaire… Mais en Afrique, on est en Afrique, on n’est pas en Asie ! Il y a 15 000 Français en Côte d'Ivoire et ils ne doivent pas subir
les effets de la carence, de l'incompétence de l'ONU dans l'organisation d'élections. On voit bien qu'il y a eu beaucoup de fraudes. On me dit qu'il y en a eu des deux côtés. Probablement, mais
je vois les cinq régions dans lesquelles certains bureaux de vote sont quasiment à 95% pour Monsieur Ouattara... Il y a eu des empêchements
de voter, des violences, des viols et on m'a même raconté que dans certains villages, les amis de Messieurs Ouattara et Soro y allaient à l’arme pour intimider les gens et même parfois les tuer. Les Nations Unies ne peuvent pas fermer les yeux sur de telles affaires.
Monsieur Choi n'a pas fait son travail dans le nord… Est-ce que cela exonère pour autant le président Gbagbo et son équipe de tous les défauts ? Sûrement pas, mais ce n'est pas à nous, gens de l'extérieur et prétendument de la communauté internationale, de
nous ingérer dans les affaires de la Côte d'Ivoire… La Côte d'Ivoire n'est pas un pays qui est appelé à vivre en guerre civile. C'est un pays que je connais depuis 1969, c'est un pays gaulliste
et houphouëtiste dans son cœur et dans ses tripes, c'est un pays uni et rassemblé avec de nombreuses ethnies et des étrangers. Et voilà que les Nations Unies, au lieu d'installer et de préserver
la paix, viennent de sécréter la guerre. Je dis que Monsieur Ban Ki-Moon et Monsieur Choi vont avoir très mauvaise conscience et du sang sur les mains.
Pourquoi l’ONU a-t-elle fermé les yeux sur les fraudes dans le nord et pourquoi soutient-on Monsieur
Ouattara à Washington en lui attribuant cette victoire ?
Avant de parler des États-Unis, de Monsieur Obama, de Washington
et de la CIA, finissons de parler des Nations Unies et de leur rôle. Je crois qu'il y a beaucoup de soldats dans les chars marqués UN. Il y a beaucoup de fonctionnaires et de bureaucrates et,
d'après des témoins sur le terrain, on n'a pas vu beaucoup d'observateurs dans les bureaux de vote des cinq régions du nord où il y a eu toutes ces fraudes. Là où l'ONU a encore un rôle encore
plus critiquable, c'est que le président de cette fameuse commission électorale indépendante - qui, en réalité, n'avait d’indépendante que le nom - Monsieur Bakayoko, à peine avait-il quelques résultats partiels, s’est enfui à l'Hôtel du Golf… Tout cela est une farce ! Les Nations Unies couvrent cette
ouattaresque pantalonnade et c'est très grave ! Cela s'apparente à un vol et un cambriolage de voix d’Ivoiriens par Monsieur Ouattara,
malheureusement téléguidé par l'extérieur…
Vous avez évoqué la CIA…
De mon point de vue, et du point de vue de certains observateurs avertis et connaissant bien les affaires ivoiriennes,
il est évident que depuis longtemps la CIA téléguide avec quelques longues cornes, et assez facilement semble-t-il, le couple Alassane et Dominique
Ouattara… Les rebelles du nord sont manipulés de l'extérieur, et pas seulement par l'islam avec Al Qaïda, des islamistes du nord de l'Afrique qui voudraient bien pousser jusqu'au
sud.
Tout cela est un imbroglio dans lequel les États-Unis nagent comme d'habitude à contre-courant. Ils ont engendré
beaucoup de guerres et beaucoup de conflits civils, avec de nombreux morts dans de nombreux pays où il y a du diamant, de l'uranium, de l’or, du pétrole et d'autres richesses… Tout le monde fait
la danse du ventre autour de la Côte d'Ivoire, mais les États-Unis, avec leurs manières lourdingues et obamesques, un peu comme Bush le faisait en Irak, arrivent à entraîner derrière eux des
petits satellites ou des vassaux. Malheureusement pour mon beau pays de France, que le général De Gaulle avait fait sortir du commandement intégré de l'OTAN, le président Sarkozy a réintégré l'OTAN. Le président Sarkozy est à la traîne des États-Unis et la France est un
wagon de queue de la grosse locomotive américaine… Les USA voudraient le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée, le Mali, le Niger et cette Haute-Volta, devenue Burkinabè, qui veut percer
vers le sud jusqu’à Yamoussokro pour, disent-ils, transformer la basilique Houphouët-Boigny de Yamoussoukro en mosquée. Obama, comme
Sarkozy, c'est un peu une marionnette entre les mains du complexe militaro-industriel américain et des grandes multinationales de
l'agroalimentaire qui font ces barres chocolatées qui rendent obèses tous les enfants du monde. Cette action américaine me fait retourner un peu en arrière, au moment de la mort du président
Houphouët-Boigny.
La France avait déjà cette espèce de difficulté à être ensemble de façon gaullienne pour reconnaître les bienfaits et
les défauts de la politique d'Houphouët. Mais Houphouët a dû gérer un pays après
l'indépendance, il a commis sûrement des erreurs. Il a sûrement commis celle de mettre dans le même marigot Henri Konan Bédié et
Alassane Ouattara, qu'il a nommé premier ministre pendant que sa femme, Dominique,
jouait un rôle semble-t-il bizarre à Abidjan et à Yamoussoukro. À la mort d'Houphouët, dans l'avion qui emmenait les autorités,
Chirac ne parlait quasiment plus à Balladur... Messmer l'Africain représentait un peu l'autrefois. Il était difficile pour ces gens-là de se parler, même pour Mitterrand qui était carrément attaché aux années 40-50, pour ne pas dire à Vichy puisqu'il y avait carrément reçu la francisque... Le seul en France,
socialiste d'ailleurs, qui avait une vision de l'avenir, c'était Gaston Defferre. Aujourd'hui, le président Sarkozy n'a aucune compétence dans le domaine de l'Afrique. Il l’a d'ailleurs démontré par deux stupides discours : celui de Dakar, qui était à la fois
raciste et précolonial, et celui de Pretoria, que je viens de relire, dans lequel il annonçait que la France retirait toutes ses bases et tous ses militaires…
Aujourd'hui, ce qu'il reste à faire à Monsieur Alain Juppé et à
Madame Alliot-Marie, c'est conseiller au président Sarkozy de tenir son engagement :
retirer les troupes françaises et pas à cause des élections cafouilleuses de Côte d'Ivoire, mais parce que nous allons vers un monde nouveau, vers la communauté de destin de 53 pays d'Afrique : 1
milliard d'habitants et pas seulement le petit Gabon, dont ne s’occupent que les Balkany, les Bourgi ou les Guéant... Nicolas Sarkozy
pourra de façon grossière et indécente s'agiter, vociférer, s'ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire, mais il n'aura que des réponses cinglantes des Ivoiriens qui lui
répondront que la Côte d'Ivoire n'est pas une sous-préfecture française. Donc, de grâce, que les Américains, que la France de Monsieur Sarkozy, que l'Europe de Messieurs Barroso et Van
Rompuy, se calment et s'abstiennent de commentaires vasouilleux et menaçants… Pendant ce temps, Monsieur Netanyahou n'a que faire
des recommandations des Nations Unies et Monsieur Ahmadinejad s'assoit sur les recommandations des Nations Unies et de Monsieur
Obama…
Sommes-nous en train de vivre un cas de manipulation médiatique mondiale comme ce fut le cas avec l’Irak
?
Incontestablement. Il y a intoxication des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs sur la situation qui prévaut à Abidjan
et en Côte d'Ivoire. Bien sûr, il y a la responsabilité des journalistes, dont certains ne connaissent rien à la réalité ivoirienne : c'est le cas de Monsieur Jean-Michel Apathie qui s'est fait moucher par un artiste africain… Mon cher Yannick Urrien, je suis né en 1949, j'ai travaillé dans la politique, et des manipulations, il y en a eu plus d'une... D'abord, il y a un grand nombre de
monopoles de journaux qui sont tenus par des marchands de canons, des marchands d'avions, des marchands de caleçons ou de béton… Mais c'est aussi vieux que le monde, la manipulation,
l'intoxication, c'est aussi vieux que la politique étrangère… Mais cela n'a jamais été aussi accéléré qu'aujourd'hui, parce qu'il y a les médias et surtout Internet, avec les révélations de
Wikileaks qui sont tout-à-fait extraordinaires ! Donc, on peut mentir à la population mondiale une fois, comme disait Abraham Lincoln, mais
on ne peut pas mentir à tout le monde tout le temps. Par conséquent, les États-Unis, qui sont un géant aux pieds d'argile, feraient mieux de réfléchir plusieurs fois avant d'installer la guerre
dans des endroits où ils finiront, comme partout, par être rejetés…
Ce qui se passe en Côte d'Ivoire, ce n'est pas seulement de l'intoxication et de la désinformation, ce n'est pas
simplement l'instrumentalisation d'un gars comme Ouattara pour mettre le pied dans la porte des richesses. La nouvelle guerre qui se tient
maintenant dans tous les coins du monde, c'est celle entre les États-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine. L'Afrique de l'Ouest sera l'eldorado des vingt prochaines années dans le
monde et, si nous ne comprenons pas que nous avons le devoir, même cynique, d'un rapport Nord-Sud intelligent, il vaut mieux que nous allions nous coucher et la France deviendra un espèce de
vaste musée où l'on viendra voir les statues de cire de Monsieur Sarkozy, de Madame Dati ou de Monsieur Delanoë au musée Grévin… Il faut aussi que les journalistes, comme Monsieur
Elkabbach, arrêtent de prendre les élites africaines pour des petits «négros Banania»… Cela dépasse l'entendement !
Je viens de réécouter l'interview par Monsieur Elkabbach de
Monsieur Pierre Kipré, brillant ambassadeur de la République de Côte d'Ivoire en France, et je me demande s'il ne serait pas temps que les
Duhamel, Apathie et Elkabbach aillent directement à la maison des vieux artistes de
Ris-Orangis ! On sent l’incompétence, l'arrogance et presque l'injure. Cela rejoint ce que pensent de nombreux Français de Nicolas Sarkozy.
Ce garçon a trop tété le biberon de Charles Pasqua et il est le roi de la rodomontade. La politique étrangère, cela nécessite du calme, de
la hauteur de vue et de la discussion. Je recommande aussi à nos reporters de France Info et d'ailleurs, d'arrêter de camper dans des halls d'hôtel et de lire des papiers qui leur sont confiés
par je ne sais qui à l'ambassade de France ou par d'autres officines… Je suis très peiné pour mon pays, parce que l'on disait la France fille aînée de l'église et la Côte d'Ivoire petite sœur de
la France. Les Ivoiriens et nous, nous étions faits pour nous aimer et nous entendre. À Abidjan, il y a quelque chose d'un peu marseillais et en France il y a quelque chose de très ivoirien, ce
goût de l'indépendance, de la liberté de la souveraineté et de la rébellion. Ne négligeons pas le fait que 60% des Ivoiriens ont moins de 20 ans. Ne négligeons pas que, comme les gaullistes de la
Résistance, ils ont envie de s'opposer aux colonisateurs et au totalitarisme… Seulement, les Chinois ont une diplomatie un peu plus intelligente que la nôtre… Actuellement, ce n'est pas
difficile, parce que des crétins gèrent notre approche française de l'Afrique… L’ONU n’a pas été capable de préparer et de contrôler convenablement ces élections et je les entends dire, dans le
camp Ouattara de l’Hôtel du Golf, que le Conseil constitutionnel est à la solde du président Gbagbo. Mais ils sont injurieux ! Est-ce que Monsieur Louis Joxe était à la solde de De Gaulle ?
Est-ce que Monsieur Roger Frey était à la solde de Pompidou ? Est-ce que Monsieur
Roland Dumas était à la solde de Mitterrand ? Est-ce que Monsieur Jean-Louis Debré était à la solde de Chirac ou à la solde du président Sarkozy ? Les journalistes, prétendus spécialistes de l'Afrique, qui essaient de faire passer Gbagbo pour Mugabe se trompent : je crois que Gbagbo est plus proche de Mandela que de Mugabe.
Les intérêts économiques français menacés en Côte d’Ivoire : les
explications de Philippe Evanno
Les médias français ne disent pas toute la vérité sur la situation en
Côte d’Ivoire
Plusieurs pays, comme la Russie, le Brésil, la Chine ou le Mexique soutiennent Laurent Gbagbo, alors que les Etats-Unis ou la France demandent son départ. A Abidjan, le président sortant n’a pas l’intention de céder sa place. Or, ce sont les
intérêts économiques français, dont ceux du groupe Bolloré en première ligne, qui sont menacés. Philippe Evanno est chercheur à la Sorbonne, directeur de l’Institut de Prospective Africaine et il connait parfaitement l’Afrique. Il a notamment été
formé par Jacques Foccart et a collaboré avec lui jusqu’au décès de ce dernier. Il était l’invité de Yannick Urrien mercredi 8 décembre dans le magazine de 8h10.
D’abord, Philippe Evanno souligne que cette affaire traduit
«une opposition entre l'ONU et une nation. Plus généralement, on peut se demander si nous ne sommes pas en
train d'assister à un renversement de situation concernant la gestion des dossiers africains et leur domination actuelle par les organisations internationales contrôlées par les
États-Unis». En réalité, «cette crise a eu pour mérite de manifester au grand jour le fait que
les organisations africaines étaient sous contrôle américain. Aujourd'hui, c'est la place et la domination des États-Unis sur le continent africain qui sont en jeu. La divulgation des notes
diplomatiques américaines par Wikileaks et leur analyse permettent de démontrer que les Américains étaient très heureux de l'effacement français, puisque cela leur laisse le champ libre sur la
totalité du continent».
Selon Philippe Evanno, «le bouclage de cette domination se joue sur la présidentielle ivoirienne, puisque c'est sur cette présidentielle que l'on
joue l’annulation pure et simple de la souveraineté des Etats africains». Alors, pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il adopté la
position américaine ? Réponse de l’expert : «Je crois que c'est tout simplement la sienne. Nous avons, pour
la première fois sous la Vème République, un président de la République qui est totalement acquis aux objectifs américains et cela revient à faire de la France un pays supplétif des États-Unis,
notamment en Afrique. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas avoir des accords avec les Américains : c'était le cas à l'époque du général De Gaulle lorsqu'il y a eu un accord de partage de
responsabilités, la France étant chargée de la lutte contre le bloc soviétique dans ses anciennes colonies. Cela a très bien fonctionné pendant plusieurs dizaines d'années, jusqu'à la chute du
mur de Berlin. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation totalement différente. Nous sommes dans la situation où, après la chute du mur de Berlin, on a cru qu'il n’y avait qu'une seule grande
puissance. Or, depuis la dernière réunion du G20 en Corée du Sud, on se rend compte que l'on assiste à l'émergence d'une deuxième superpuissance et à une nouvelle forme de confrontation où la
Chine et ses alliés, notamment la Russie, ce qui est aussi une nouveauté, cherchent à prendre pied sur le continent africain».
La responsabilité de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin.
Pour Philippe Evanno, «cette crise ivoirienne est directement liée à l’incapacité de Jacques Chirac à comprendre l'Afrique et à réagir
correctement sur les dossiers africains. N'oublions pas que le coup d'Etat de décembre 1999 pouvait être enrayé en appliquant simplement les accords de défense avec la Côte d'Ivoire. Il suffisait
de faire sortir une patrouille du 43e BIMA, basé à Port-Bouët. Les mutins, qui étaient des braves garçons dont les soldes n'avaient pas été payées et qui étaient manipulés pour faire tomber
Bédié, seraient tout simplement rentrés dans leur caserne». Or, explique Philippe Evanno, «Jacques Chirac n'a pas eu le courage d'appliquer les accords de défense et cette seule absence de décision a détruit la
totalité de la présence française en Afrique. À partir de cet instant, tous les chefs d'état africains disposant d'accords de défense avec la France ont su que la parole de la France ne valait
plus rien». Après le coup d'état de 1999, les autorités françaises, avec Alassane Ouattara, ont organisé le partage du pays en
deux : «C'est Dominique de Villepin qui est à l'origine de cette partition. En pleine paix, on a coupé un
pays en deux pour des intérêts assez difficiles à expliquer. On a imposé à la Côte d'Ivoire une succession d'accords internationaux qui ont cherché à limiter sa souveraineté, notamment une
commission électorale dite indépendante, qui est constituée quasi exclusivement d'opposants au pouvoir en place». Alors, Laurent
Gbagbo est-il fondé à contester le résultat de cette élection présidentielle ? Philippe Evanno rappelle qu’au second tour,
«Laurent Gbagbo n'avait que deux représentants sur une douzaine de commissaires centraux ! Cette commission
avait trois jours pour rendre sa décision. La commission électorale s'est retrouvée dans l'incapacité de proclamer les résultats et la Constitution ivoirienne prévoyait qu'à ce moment-là, le rôle
de proclamer les résultats revenait au Conseil constitutionnel. Il y a donc eu l'organisation d'une conférence de presse à l'Hôtel du Golf, le siège de campagne d’Alassane Ouattara, avec
l'ex-président de la commission électorale, pour annoncer des résultats non certifiés et qui ont été évidemment inversés par le Conseil constitutionnel». Ainsi, «cette commission indépendante ne l'était pas réellement, puisque composée essentiellement d'adversaires à Laurent Gbagbo.
Mais cela ne veut pas dire que cette commission n'ait pas fait un très gros travail. L'ONU a été incapable de respecter ses engagements et d'assurer le désarmement des forces de la rébellion au
nord. L'élection a eu lieu sous le contrôle des forces armées de la rébellion. Ce sont des seigneurs de la guerre, qui détournent les taxes et les impôts à leur profit, qui ont pris le contrôle
du diamant et de différents minerais et contrôlent une partie du commerce du cacao. Cette rébellion au nord est une organisation politique, économique et militaire et elle est restée en place
alors que différentes résolutions de l'ONU et différents accords internationaux prévoyaient que l'élection ne pourrait pas avoir lieu tant que le désarmement ne serait pas
effectif». Dans ce contexte, il faut bien comprendre, souligne Philippe Evanno, que l’on a organisé des élections
«dans un pays dont une partie du territoire était aux mains de milices armées».