30/11/15 (AFP)
Le pape François a quitté lundi Bangui pour Rome, au terme d'une tournée africaine au Kenya, en Ouganda et en Centrafrique, dernière étape dans un pays déchiré par les violences intercommunautaires, a constaté un journaliste de l'AFP.
Au cours de sa visite à Bangui placée sous haute sécurité de la force onusienne (Minusca), le pape s'est notamment rendu dans la matinée à la grande mosquée du PK5, l'enclave des musulmans de la capitale, quotidiennement harcelés par les miliciens chrétiens et animistes anti-balakas.
"Chrétiens et musulmans sont frères", et il faut dire "non à la vengeance, à la violence et à la haine, a-t-il lancé à son arrivée à la mosquée où il a été reçu par le grand imam Nehedi Tidjani, en présence de délégations catholiques et protestantes.
Le pape s'est adressé aux centaines de personnes, dont des déplacés, venues l'accueillir dans l'enceinte de la mosquée, dans une ambiance détendue placée cependant sous haute sécurité avec des Casques bleus postés sur les minarets.
Sujette avant son arrivée à une éventuelle annulation ou modification de programme en raison des risques représentés par le climat ambiant de violences depuis deux ans en Centrafrique, la visite du Pape a été suivie par des dizaines de milliers d'habitants enthousiastes, dans les camps de déplacés, à la cathédrale catholique, à la grande mosquée comme au stade "20.000 places" dans lequel il a participé à une dernière messe, avant de partir pour Rome.
Centrafrique: le pape ouvre la "porte sainte" de la cathédrale de Bangui, en prélude au Jubilé
30/11/15 (AFP)
Le pape François a ouvert dimanche la "porte sainte" de la cathédrale de Bangui, dans un geste solennel pour la paix et le pardon des fautes en Centrafrique, à dix jours de l'ouverture à Rome du Jubilé de la Miséricorde qu'il a proclamé.
"Ouvre-nous la porte de Ta miséricorde", a prié le pape François, avant d'ouvrir les deux battants de la porte. "Nous demandons la paix pour la Centrafrique et tous les peuples qui souffrent de la guerre", a-t-il proclamé.
François avait tenu à accomplir à Bangui ce geste exceptionnel, qui permet lors des Jubilés aux fidèles pénitents de franchir la porte d'une cathédrale et de recevoir le pardon de leurs péchés.
Le pape, le jour du deuxième anniversaire de son élection, le 13 mars 2015, avait annoncé ce "Jubilé de la miséricorde" à partir du 8 décembre, qui débutera officiellement par l'ouverture de la basilique Saint-Pierre à Rome et durera douze mois.
"Aujourd'hui, Bangui devient la capitale spirituelle du monde. L'Année de la miséricorde est proclamée à l'avance à Bangui. Elle est pour cette terre qui souffre du manque de paix, et tous les autres pays qui, dans le monde, passent par l'épreuve de la guerre", a souligné François.
"Tous, nous demandons paix, miséricorde, réconciliation, pardon, amour", a-t-il dit d'un ton très grave sur le parvis de la cathédrale de l'Immaculée Conception, avant d'ouvrir cette porte décorée de fleurs et de feuilles.
"Dieu a guidé mes pas vers vous. Je suis particulièrement heureux que ma visite pastorale coïncide avec l'ouverture dans votre pays de cette Année jubilaire", a-t-il ajouté au début de la messe dans la cathédrale de la capitale centrafricaine, ville qui porte toujours les stigmates des violences entre ex-rebelles majoritairement musulmans et miliciens essentiellement chrétiens qui ont ensanglanté le pays depuis 2013.
Centrafrique : le pape appelle à "déposer les instruments de mort"
29/11/15 (AFP)
Le pape François a appelé tous ceux qui "utilisent injustement" des armes à "déposer ces instruments de mort", dimanche à Bangui, capitale de la Centrafrique déchirée depuis deux ans par des violences intercommunautaires.
"Même quand les forces du mal se déchaînent, les chrétiens doivent répondre présents, la tête relevée, prêts à recevoir des coups dans cette bataille où Dieu aura le dernier mot. Et ce mot sera d'amour. A tous ceux qui utilisent injustement les armes de ce monde, je lance un appel: déposez ces instruments de mort", a-t-il lancé dans la cathédrale de Bangui.
Le pape François a aussi recommandé dans son homélie "l'amour des ennemis, qui prémunit contre la tentation de la vengeance et contre la spirale de représailles sans fin", alors même que le conflit en Centrafrique est caractérisé par des représailles quasi-quotidiennes entre musulmans assimilés à l'ex-rébellion Séléka et milices anti-balaka, chrétiennes et animistes.
Faisant allusion aux divisions ethniques fréquemment instrumentalisées en Afrique par les politiciens, le chef de l'Eglise catholique a aussi affirmé qu'il était nécessaire de savoir "se libérer des conceptions de la famille et du sang qui divisent", pour "passer sur l'autre rive" de la paix.
"Passer sur l'autre rive" est la devise (d'après une formule de l'Evangile) que le pape a retenu pour sa visite en Centrafrique.
Ceux qui évangélisent sont "des artisans du pardon, des spécialistes de la réconciliation, des experts de la miséricorde", a-t-il enfin recommandé dans un plaidoyer fervent pour une religion de non-violence.
Au chevet des musulmans de Bangui, le pape redonne "espoir"
30/11/15 (AFP)
"Fierté", "espoir", "soulagement": retranchés dans leur enclave isolée du PK5, sous la menace constante des milices armées chrétiennes, les musulmans de Bangui ont accueilli triomphalement lundi le pape venu à leur rencontre.
"Nous pensions que tout le monde nous avait abandonnés, mais pas lui. Il nous aime nous aussi les musulmans. Je suis très heureux", confie Idi Bohari, un vieil homme vêtu d'un boubou blanc éclatant malgré la poussière soulevée au passage des blindés de l'ONU.
Ils étaient des milliers massés le long de la route, certains brandissant le drapeau jaune et blanc du Vatican dans une main, leur chapelet dans l'autre, sous le regard vigilant des dizaines de Casques bleus de la Minusca chargés de quadriller la zone.
Soldats postés au sommet de chaque minaret pour surveiller les environs, hélicoptère omniprésent dans le ciel... Cette étape était particulièrement sensible en raison des affrontements qui opposent régulièrement de jeunes musulmans proches de l'ex-rébellion Séléka à des milices chrétiennes anti-balaka et qui ont fait plus de 100 morts à Bangui depuis fin septembre.
- 'faire la paix pour de bon' -
Ousmane Abakar, porte-parole de la communauté musulmane de Bangui, est bien du même avis: "le moment est venu de faire la paix pour de bon", après deux années de chaos qui ont ravagé la Centrafrique.
"Nous ne devons pas accepter d'être manipulés, prévient-il, car il ne s'agit pas d'un conflit confessionnel, ce sont des politiciens qui instrumentalisent nos compatriotes et au final, le peuple centrafricain est perdant".
Presque chaque jour, des histoires de jeunes musulmans ou chrétiens "tués" par le camp d'en face font le tour de la ville. Faits avérés ou simples rumeurs? Toujours est-il que la tension monte aussitôt et que dans les quartiers concernés, des barricades bricolées avec des pneus et des palettes en bois entravent toute circulation, paralysant la capitale.
Sur l'avenue Barthélémy Boganda qui mène au PK5, une portion de route déserte longeant des maisons calcinées aux toitures arrachées sépare les quartiers chrétiens des positions des groupes d'auto-défense musulmans. La plupart âgés d'à peine 20 ans, ils surveillent l'entrée de chaque ruelle de terre rouge.
"Nous devons protéger les habitants, musulmans et chrétiens. Ici au moins on vit bien ensemble alors qu'aucun musulman ne peut vivre là-bas (en zone chrétienne), même sortir du PK5 c'est un problème", assure Faiçal Amadou, l'un des responsables des comités d'auto-défense.
- 'Condamnés à vivre ensemble'
Quelques centaines de catholiques et protestants - entre 300 et 500 selon les sources - cohabitent en effet avec les musulmans du PK5. C'est le cas de Lazare Ndjadder, la soixantaine. "Il y a toujours des moments de frayeur, surtout à cause des petits bandits ou des braqueurs mais je ne me suis jamais vraiment senti en insécurité ici, je suis chez moi", dit-il avec un grand sourire.
"Nous sommes d'ailleurs beaucoup de +métisses+: ma mère est chrétienne et mon père musulman", renchérit Amadou Kolingba, qui porte le patronyme de l'ancien président - chrétien - André Kolingba (1981-1993). Quant à Ibrahim Paulin, porte-parole des déplacés installés dans la cour de la mosquée, il explique qu'il s'est "islamisé" (converti) après différentes expériences religieuses.
Rebecca Tounsou, qui fréquente une église évangéliste, nuance. "Les jeunes (chrétiens) ne sont pas en sécurité. Mes fils ont fui le quartier, ils étaient pris à partie, c'était dangereux, car il y a trop d'armes qui circulent" malgré le mandat des forces internationales Minusca (10.900 hommes) et française Sangaris (900) pour les désarmer.
Chrétiens et musulmans sont pourtant "condamnés à vivre ensemble", a une nouvelle fois affirmé lundi le grand imam Nahib Tidjani devant le pape François. Et ce n'est pas un hasard si le souverain pontife a décidé une escale imprévue à l'école primaire de Koudougou rouverte il y a seulement deux semaines, où apprennent ensemble enfants chrétiens et musulmans.
A Bangui, le pape dénonce « la haine aveugle que le démon déchaîne »
Par Cécile Chambraud (Bangui, envoyée spéciale)
LE MONDE Le 30.11.2015 à 06h42 • Mis à jour le 30.11.2015 à 13h33
La visite du pape François en Afrique a pris un tour poignant à sa troisième étape, en République centrafricaine, où il est arrivé dimanche 29 novembre en fin de matinée. Le long de la piste d’atterrissage d’un aéroport supposé sous haute protection, des enfants du camp de réfugiés voisin couraient, saluant l’avion, son passager et l’espoir d’une amélioration de la situation politique très tendue que certains Centrafricains ont placé en sa venue à Bangui.
C’est le cas de Catherine Samba-Panza, la présidente de transition du pays, que le chef de l’Eglise catholique a rejointe en effectuant 5 des 9 km du trajet entre l’aéroport et le palais présidentiel dans une papamobile découverte, passant devant de très nombreux habitants massés sur les bas-côtés. L’exécutif de Mme Samba-Panza s’efforce d’éviter l’enlisement du processus politique destiné à sortir le pays de trois ans de violences entre les milices ex-Séléka, à majorité musulmane, et les anti-Balaka, à majorité chrétienne. Des élections présidentielles et législatives sont prévues le 27 décembre.
« Un peuple tenaillé par la haine »
La présence à Bangui du pontife argentin, que « les menaces sécuritaires réelles ou amplifiées » n’ont pas découragé, a-t-elle affirmé d’emblée, est « une victoire de la foi sur la peur, sur l’incrédulité ». Dans la capitale centrafricaine, des voitures blindées des Nations unies, des policiers et des soldats supplémentaires étaient déployés sur le parcours de François, sans que leur présence ne soit trop pesante.
Mme Samba-Panza a dépeint à son visiteur « un pays détruit dans ses fondements par plusieurs décennies de crises à répétition », laissant « un peuple tenaillé par la haine et l’esprit de vengeance ». Dans un discours tout imprégné de références à Dieu et à la foi, elle a déclaré devant le pape qu’il« revient aux filles et aux fils de ce pays de reconnaître leurs fautes ». « Au nom de toute la classe dirigeante de ce pays mais aussi au nom de tous ceux qui ont contribué de quelque manière que ce soit à sa descente aux enfers, je confesse tout le mal qui a été fait ici au cours de l’histoire et demande pardon du fond de mon cœur », a-t-elle ajouté.
Changement de décor, continuité du discours : après avoir mis en garde les Kényans contre « le tribalisme qui détruit une nation », le 27 novembre, le pape François a exhorté les dirigeants centrafricains à « l’unité ». S’exprimant pour la première fois en français, il leur a demandé d’éviter « la tentation de la peur de l’autre, de ce qui ne nous est pas familier, de ce qui n’appartient pas à notre ethnie, à nos options politiques ou à notre confession religieuse ».
Puis, d’un lieu de pouvoir le pape est passé sans transition à un lieu de relégation. Dans le camp de déplacés abrité par la paroisse Saint-Sauveur, qui accueille quelque 3 700 réfugiés, des enfants tendaient de modestes morceaux de tissus sur lesquels avaient été tracés au feutre les mots « paix », « amour », « réconciliation ». Sous les manifestations de joie, François s’est promené, très détendu, au milieu d’eux, embrassant les enfants, serrant les mains des femmes, bénissant des têtes, riant avec ses hôtes. « La paix sans amour, sans tolérance, sans pardon, n’est pas possible. Il faut vivre en paix les uns avec les autres quels que soient son ethnie, sa culture, sa religion, son statut social », leur a-t-il lancé. Puis il leur a fait répéter en chœur : « Nous sommes tous frères ! » Dans le même temps, quelques femmes avisaient des journalistes : « Ici, il n’y a pas de problème de sécurité, soyez tranquilles ! » D’autres faisaient observer que la venue du pape, en dépit des mises en garde sur la sécurité venues du gouvernement français, est un pied de nez à la France.
« Contre la tentation de la vengeance »
Le marathon entrepris par le pontife avec un sentiment d’urgence et une grande énergie s’est ensuite orienté vers les communautés religieuses. Même si les affrontements entre factions ont d’abord des motifs politiques, ils ont mis face à face chrétiens et musulmans, malgré l’engagement de certains de leurs représentants dans une coopération interreligieuse. En quelques heures, répétant sans relâche les mêmes mots – unité, paix, pardon, réconciliation –, il s’est successivement adressé aux évangéliques et aux catholiques. Lundi matin, il s’est rendu dans la mosquée du quartier musulman du PK5, aujourd’hui en situation de quasi-blocus, lançant :« Chrétiens et musulmans sont frères. » « Toutes nos communautés souffrent indistinctement de l’injustice et de la haine aveugle que le démon déchaîne », a-t-il affirmé à la faculté de théologie évangélique.
Au milieu des catholiques, à la cathédrale de Bangui, François a vanté la vertu du « pardon » envers ses ennemis, qui « prémunit contre la tentation de la vengeance et contre la spirale des représailles sans fin ». « A tous ceux qui utilisent injustement les armes de ce monde, a-t-il déclaré pendant son homélie, je lance un appel : déposez ces instruments de mort ; armez-vous plutôt de la justice, de l’amour et de la miséricorde, vrais gages de paix. » Le pape a symboliquement ouvert dans la cathédrale de Bangui une « porte sainte », anticipant le début de l’année jubilaire qui commencera le 8 décembre.
D’ordinaire, c’est l’ouverture de la porte sainte de Saint-Pierre qui marque l’ouverture d’une année sainte. « Aujourd’hui, Bangui devient la capitale spirituelle du monde », a lancé François, qui a quitté le pays, lundi en début d’après-midi.
Sous haute sécurité, le pape appelle à la paix en Centrafrique
30/11/15 (Reuters)
Le pape François, sous protection inédite, a prêché dimanche en faveur de la paix et de la réconciliation en République centrafricaine, déchirée par des violences entre chrétiens et musulmans.
Le chef de l'Eglise catholique, qui achevait à Bangui une visite en Afrique qui l'a également conduit au Kenya puis en Ouganda, a exprimé l'espoir que tous les Centrafricains pourraient voir l'avènement de la paix.
Jamais depuis son élection, en mars 2013, sur le trône de Saint-Pierre, un déplacement du pape n'avait donné lieu à un dispositif de sécurité aussi serré. Car ce déplacement était à haut risque. Depuis le mois de septembre, la capitale centrafricaine, Bangui, a connu un regain de tension qui a provoqué la mort d'au moins 100 personnes, selon l'organisation Human Rights Watch.
Alors que l'avion de la compagnie Alitalia dans lequel voyagent le pape et sa délégation atterrissait en provenance d'Ouganda, des hélicoptères d'attaque patrouillaient dans le ciel et des transports de troupes blindés de la force française et des casques bleus de l'Onu déployés en Centrafrique étaient stationnés devant l'aéroport de Bangui.
Des éléments des forces spéciales portant un brassard aux couleurs jaune et blanc du Vatican ont apporté leur concours aux agents habituellement chargés de la protection du pape. Et un soldat de l'Onu en arme a également pris place dans chacun des minibus affrétés pour transporter la presse accréditée auprès du Vatican.
Au début du mois, la France, dont 900 soldats environ sont toujours déployés en Centrafrique, avait prévenu le Vatican que ce déplacement présentait des risques et l'agenda du pape pour cette troisième et dernière étape de son périple africain n'avait pas été précisé à l'avance.
"NOUS SOMMES TOUS DES FRÈRES"
A sa descente d'avion, le pape a été conduit au palais présidentiel de Bangui où il s'est entretenu avec la présidente par intérim, Catherine Samba-Panza, et des diplomates et a appelé à "l'unité dans la diversité".
Il est ensuite allé aux devants de 4.000 réfugiés déplacés par les violences et regroupés dans un camp de la capitale. "Travaillez, priez, faites tout votre possible pour la paix mais souvenez-vous que la paix n'est rien sans amour, sans amitié, sans tolérance", leur a-t-il dit, avant d'appeler son auditoire à scander "Nous sommes tous des frères" en langue sango.
François a ensuite célébré la messe dans la cathédrale Notre-Dame de Bangui, là même où des miliciens islamistes armés ont fait 15 morts dans une attaque en mai 2014.
"Déposez ces instruments de mort, armez-vous de la justice", a-t-il dit lors de son homélie, appelant les fidèles à la "réconciliation, au pardon, à l'amour et à la paix".
Le pape a ensuite ouvert une "porte sainte" de la cathédrale Notre-Dame de Bangui, marquant ainsi l'ouverture symbolique de l'année sainte de la miséricorde qui démarrera officiellement le 8 décembre au Vatican.
Centrafrique : ce que les leaders religieux espèrent de la visite du pape François
27 novembre 2015 à 17h55 Par Margaux Benn - à Bangui Jeune Afrique
Après le Kenya et l’Ouganda, le pape François doit se rendre en Centrafrique, dimanche et lundi. Alors que le pays est plongé dans un conflit inter-communautaire qui a revêtu une dimension confessionnelle, les leaders religieux voient la venue du pontife comme un geste d'espoir, tant politique que spirituel.
Dans la cour de la mosquée centrale, l’imam Tidjani Moussa Nahibi dit s’être « personnellement assuré que tout se passera bien lors de la visite du pape. » Après tout, poursuit-il, « ce ne sont pas seulement les chrétiens que le pape est venu rencontrer, mais les Centrafricains. »
Pour préparer cette visite pontificale, l’imam et l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, se sont rencontrés plusieurs fois dans la mosquée centrale, située au cœur du quartier PK5, enclave à majorité musulmane encerclée par des miliciens anti-balaka. Depuis fin octobre, la situation est si précaire que l’accès humanitaire a dû y être limité.
Là et dans d’autres quartiers de Bangui, les risques sont tels que le ministère français des Affaires étrangères a plusieurs fois déconseillé au pape de s’y rendre. Et, si son arrivée est a priori maintenue, le Vatican maintient la possibilité d’annuler ou d’écourter son voyage à la dernière minute.
Médiateur de dernier recours ?
Mais le révérend Nicolas Guerekoyame-Gbangou, président de l’alliance des évangéliques en Centrafrique, refuse de croire à une éventuelle annulation, attendant le pape comme un médiateur de dernier recours pour un conflit qui semble oublié par la communauté internationale. « Si le Saint-Père lui-même ne vient pas, qui pourra nous réconcilier ? », lance-t-il, attablé à la Faculté théologique des évangéliques de Bangui, où le pape se rendra dimanche. « Les diplomates se diraient que ce n’est même plus la peine d’essayer… »
Centrafrique : lettre ouverte de 18 ONG au pape François
L’archevêque de Bangui tient un discours plus mitigé : « Cette visite est un honneur, mais le pape n’est pas un magicien », prévient-il. « Si nous ne nous attelons pas à nous unir et à faire la paix, ses mots auront été vains. »
Une influence sur le déclin
Selon la plupart des observateurs, le pape est attendu avec impatience par les Centrafricains de toutes confessions, otages d’un conflit dont les racines puisent davantage dans les tensions inter-communautaires que les dissensions religieuses. Le danger vient plutôt des groupes armés et des bandits qui pourraient exploiter la visite du pape pour semer le trouble dans la capitale, alors que celle-ci reçoit des milliers de fidèles venus des provinces centrafricaines voire de pays alentours.
Les mots d’apaisement des leaders religieux suffiront-ils à assurer la tranquillité de la capitale pendant la visite du pape ? Selon Thierry Vircoulon, chef du programme Afrique centrale de l’International Crisis Group, « après deux ans de violences, leur influence décline. Les médiateurs naturels de la crise centrafricaine ont de moins en moins d’emprise. »
Margaux Benn
Centrafrique: le pape François en pompier
Par Jean-Jacques Louarn RFI le 27-11-2015 à 23:24
Contre l'avis de certains de ses conseillers et d'une partie de la communauté internationale, le pape François se rend en Centrafrique dimanche 29 et lundi 30 novembre 2015, sauf incident grave de dernière minute à Bangui. Une visite placée sous très haute sécurité.
Quelques rues fraîchement bitumées autour de la Nonciature, quelques lampadaires installés, l'électricité revenue ici et là, une cathédrale « requinquée », selon l'expression d'un habitant qui ajoute : « le pape devrait venir plus souvent ». Au coeur de la visite de François les 29 et 30 novembre 2015 à Bangui : le dialogue entre chrétiens et musulmans.
Depuis les combats de fin septembre et fin octobre entre les musulmans retranchés au PK5 et les milices anti-Balaka le dialogue est au point mort. Et la confiance entre la population et la force internationale sur place est rompue, une force internationale accusée notamment de rester les bras croisés et de compter les morts.
Scénario d'épuration
« Que vient faire le pape dans ce chaudron, dans cette galère ? », s'interroge le jeune Moussa qui salue le courage de François. « On l'attend lui et son message de paix. Lorsqu'il ne sera plus là, lorsqu'il sera parti il faudra se dire : ressaisissons-nous, le passé c'est le passé ». Le lundi 30 au matin, le pape doit se rendre à la grande mosquée de Bangui, au PK5. Des religieux chrétiens et musulmans préparent cette visite depuis plusieurs semaines.
« Bangui, explique Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale à International Crisis Group, pourrait ainsi se décrire : c'est un quartier, le PK5, où se retranchent depuis près de deux ans ce qui reste de musulmans, entouré par une ville qui leur est hostile, avec à la manoeuvre les anti-balaka appuyés par des éléments des FACA, c'est-à-dire l'armée régulière qui n'existe plus. Ces FACA ne sont plus neutres aujourd'hui comme ils l'ont été un temps. Le PK5, c'est l'abcès de fixation majeur de la crise centrafricaine. Les évènements des 26 septembre et 26 octobre marquent un grand recul du processus de dialogue. La solution aujourd'hui est à 80% sécuritaire et à 20% elle passe par le dialogue, c'est dire si la situation s'est dégradée ».
D'autres chercheurs craignent un scénario d'épuration de la capitale : les habitants musulmans du PK5 quittent tous leur quartier. « Personne ne veut ce scénario, explique un de ces experts, mais c'est ce qui peut se passer : une capitale sans musulmans, sans Seleka. Mais toujours avec des troubles, car on ne se sera pas débarrassé des anti-balaka dont une bonne partie s'est criminalisée. On s'inscrit aujourd'hui, poursuit-il, dans une dynamique qui est celle-là. Heureusement qu'il reste toujours des musulmans dans Bangui pour donner l'illusion que la RCA est encore un pays, mais le jour où ils partiront, forcés ? »
Selon le HCR en Centrafrique, le PK5 c'est 26 000 habitants dont une majorité de musulmans. Le nombre de réfugiés musulmans dans les pays voisins (Tchad, Cameroun, RDC, Congo Brazzaville) s'élève à 470 000 et celui des déplacés, donc à l'intérieur même de la RCA, 447 000. « Depuis l'année dernière, nous n'avons enregistré, explique un responsable du Haut Commissariat aux réfugiés, que 4 300 retours. 4 300 sur 470 000, c'est très peu ! »
Un discours ferme du pape ?
« Le pays s'est vidé d'une partie de sa population, commente un journaliste centrafricain qui préfère garder l'anonymat. Les musulmans c'est historiquement 10 à 12% de la population totale. Mais aujourd'hui ? Quelle famille n'a pas un parent proche ou lointain musulman ? A quoi ressemblerait la Centrafrique sans une de ses composantes ? Je connais bon nombre d'entre nous qui font l'autruche. D'où ces discours qui tiennent à affirmer haut et fort que nous sommes tous des Centrafricains, qu'il n'y pas de différence entre musulmans et chrétiens, que le pays est à 99% croyant, etc., bref on se dédouane de nos propres torts par ce type de discours “tout le monde il est beau tout le monde il est gentil” et on ne pointe pas les vraies responsabilités, celle du gouvernement, de la France que suit la communauté internationale dans ses décisions, la France qui est présente ici depuis deux ans ! »
« Nous rejetons cet oecuménisme qui ne pointe pas les vrais responsables de la crise, poursuit ce confrère. Je ne souhaite pas que François assène un discours qui contentera tout un chacun, où tout le monde pourrait seulement, disons se retrouver. Le pape doit être politique et nous dire nos quatre vérités à nous Centrafricains, mais aussi à la communauté internationale ! »
Enfin pour cet instituteur « laïque », comme il tient à le préciser, « on dirait que les Centrafricains attendent tout du pape François comme ils attendent tout de Dieu. Bref un miracle ! Résultat, nous pouvons encore tomber plus bas. La maison Centrafrique brûle et nous la regardons ».
Et la sécurité du pape ? Maître Roddy Madouzekeko, le rapporteur de la commission liturgie créée à l'occasion de la visite papale, a ce mot : « La sécurité de François vient d'abord de Dieu. Quand Dieu le décide, vous partez au pays du grand repos ».
Nous sommes musulmans, nous sommes des Centrafricains aussi. Nous voulons la paix pendant son séjour à Bangui, et après sa visite. Et pour toujours.
Reportage dans le PK5, à Bangui
27-11-2015 - Par Pierre Pinto