impératifs de sécurité, droit coutumier, force du droit positif et droit de la force.
« Quand la politique entre dans le prétoire, le droit s'échappe par la fenêtre »
La République centrafricaine, de part son histoire politique et institutionnelle, a toujours connu des moments de crise, de remise en question, voire de négation de son existence (P. GOURDIN, « République centrafricaine ; géopolitique d'un pays oublié », La Revue géopolitique, mars 2013)
. Le Droit qui régit le fonctionnement de cet Etat se trouve à la croisée des chemins. La vie quotidienne est tiraillée entre la « force du droit » et le « droit de la force ».
La République centrafricaine doit-elle élaborer un droit positif ?Quel est le contenu de ce droit qui doit avoir une force et pérenniser la vie publique en République centrafricaine ? Par quel mécanisme garantir le force de ce droit ?
Il va sans doute évoquer la dialectique entre la justice et de la force telle qu'elle a été, dès le XVIIème siècle, énoncée par B. PASCAL dans une de ses « Pensées » en ces termes : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans la force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste » (B. PASCAL, Pensées, 298, 299). Cette pensée du grand philosophe français est une assertion qui s'applique parfaitement à la situation de la République centrafricaine, pays englué année après année dans un cercle vicieux d'instabilité politique, d'insécurité, de corruption et de pauvreté extrême. La République centrafricaine se trouve dans une aporie où tout problème politique, économique et social est insoluble. La faillite du système centrafricain réside depuis longtemps, et à longueur des années, dans :
- l'emprunt à la législation française du droit positif : le droit positif, selon Jacques Vanderlin, a une définition qui comprend huit éléments : il « est unique (il n'y en a qu'un dans le ressort qui est le sien), étatique (ce ressort est celui de l'Etat, seul producteur de droit) formé de règles abstraites tendant à l'objectivité dans une hiérarchie donnée par la loi dont les procédés déductifs ( du général au particulier) permettent de dégager la manière de résoudre des cas concrets » (VANDERLINDEN Jacques, « Les droits africains entre positivisme et pluralisme », Bulletin des séances de l’Académie royale des sciences d’outre-mer, 46 (2000) p.279-292. Si le Droit est l'élément le plus important d'une société, à l'instar de l'adage romain Ubi societas, Ubi jus, il convient de remarquer que l'histoire du droit centrafricain fait ressortir une constante : le législateur centrafricain est confiné à son rôle de voter que la loi des finances. Le juge centrafricain n'applique que le droit français. Les avocats ne plaident que pour l'indemnisation des victimes d'accident de route en application de l'article 1382 du Code civil français. Si en France, pays où le Droit est florissant et en constante évolution en référence au devenir de la société, en République centrafricaine, une grande confusion existe, le plus souvent, entre droit et politique.
Autour de cette relation ambiguë entre droit et politique en République centrafricaine où la politique a tendance à gouverner le droit, gravite toute une série de problème à asseoir un Etat de droit. L'effectivité du droit positif est confrontée à une situation particulière à la République centrafricaine : lacune, ineffectivité, efficacité, etc. L'état du droit doit donc être retravaillé à plusieurs niveaux : la production des normes, leur réception, leurs modalités de mises en œuvre, des incompréhensions qu'elles peuvent susciter, des insuffisances qu'elles peuvent comporter et enfin leur intégration dans les structures socio-politiques.
Alors, l'objectif à atteindre est de voir comment le droit positif français emprunté par la République centrafricaine parvient à s'emboîter dans tout un ensemble hétéroclites en tenant compte de la langue, des institutions, des concepts, des valeurs, des habitudes et des pratiques.
- la difficile quête d'un équilibre entre impératif de sécurité et protection des droits : le système politique en République centrafricaine peine à trouver un ensemble de voies et mesures qui permettront d'assurer à la fois la sécurité des personnes et de leurs biens et de garantir les libertés individuelles. Le contexte est particulièrement marqué par la dialectique entre la défense des intérêts nationaux et l'imposition des mesures sécuritaires « draconiennes » qui débouchent sur une atteinte « grave » aux droits fondamentaux. Les droits de l'homme sont donc traités avec un « mépris total » au nom de la « menace » contre la sécurité. Les impératifs de sécurité incitent donc à non seulement élaborer toute une floraison des dispositifs juridiques exceptionnels visant à restreindre la jouissance de certains droits mais surtout à adopter des méthodes peu efficaces qui débouches à des dérives sécuritaires. Bien évidemment, l'insécurité est une atteinte grave à l'ordre public. L'Etat peine à l'éradiquer parce qu'il lui manque les moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. La réforme du secteur de sécurité dans son ensemble est un défi politique, juridique, économique et social à relever en République centrafricaine ; raison de plus pour chercher à trouver un équilibre entre l'impératif de sécurité et la protection des droits humains telle qu'elle a été dégagée par la Charte internationale des droits de l'homme.
- la prégnance du droit coutumier : Aucun droit d'un Etat ne peut faire abstraction de ses us et coutumes. Mais si un Etat vit constamment sous l'empire de la coutume, il y a un fort risque que le Droit et la justice soient négligés dans leur mission d'ordonner la société. Le recours à la coutume soulève un énorme problème épistémologique en République centrafricaine dans la mesure où le droit, la loi et la justice sont fréquemment défiés. En l'absence de contrôle effectif de l'Etat centrafricain sur l'ensemble de son territoire, certains recoins sont administrés par les « chefs de terres » qui se considèrent à la fois comme « législateurs » et « juges ». Ils ont leurs lois, qu'ils exécutent ; et ils rendent justice à leur guise dont la sentence, souvent très lourde, est « incontestable ». Alors, on se rend compte qu'il y a la loi de l'Etat et celle du « village ». Mais, en l'absence de l'autorité de l'Etat, c'est la loi du village qui l'emporte appliquant systématiquement la coutume. La République centrafricaine doit donc parvenir à articuler la législation nationale et droits locaux.
- la persistance du droit de la force : C'est quand même absurde qu'au XXIème siècle que dans un coin du monde, les Hommes usent de la violence pour se rendre maîtres de leur personne, de leur femme, de leurs enfants ou de leurs biens ou encore pour s'accaparer du pouvoir. La République centrafricaine est tombée dans cette condition que le Léviathan de Th. HOBBES nomme « guerre » ; et cette guerre est une guerre de chacun contre chacun. La lutte effrénée du pouvoir par les armes fait que la République centrafricaine apparaît comme un pays « sans loi ». On y trouve des autorités de fait qui impose leur volonté contre la Loi. Une article de la Constitution pèse peu devant une « baïonnette ». la Constitutionnalisation de la République centrafricaine ne sert à rien. En 2016 la République centrafricaine en est à sa sixième Constitution. Leur application et leur respect ont toujours été un échec. Le non respect d'un seul article seulement contribue à ruiner la République centrafricaine. La mise en place du Droit par la force étatique sera un travail de longue haleine.
Augustin Jérémie DOUI-WAWAYE