http://www.itele.fr/ 07 avril à 16:14
La semaine dernière, le ministre de la Défense français confirmait la fin de l'opération Sangaris, en Centrafrique. La situation sécuritaire sur place reste pourtant très incertaine. Des militaires resteront d'ailleurs sur place pour poursuivre l'effort de la France. Mais jusqu'à quand ?
« C'est un jour heureux pour la Centrafrique, annonçait le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian aux militaires français déployés dans ce pays, le 30 mars. Bien sûr, tout n'est pas résolu. Mais nous voyons enfin le pays sortir d'une longue période de troubles et d'incertitudes. (…) C'est donc avec la satisfaction du devoir accompli que je peux vous confirmer la fin de l'opération Sangaris dans le courant de l'année 2016. »
Le ministre confirmait ainsi un retrait déjà annoncé en janvier dernier. Il ajoutait également que l'opération Sangaris allait être remplacée par une autre opération de l'armée française dont les modalités restent à définir. En réalité, Paris assure la sécurité de la Centrafrique depuis près de 50 ans, les opérations militaires se succédant les unes après autres.
Des missions sans fins
Michel Goya, historien et ancien officier de l'armée de terre, insiste sur la différence entre les types d'opérations menées par les militaires français. Dans le cas de Sangaris, plus que d'une guerre, il s'agit de rétablir une forme de normalité dans un pays qui ne l'a jamais vraiment connue depuis son indépendance. Une nuance qui implique tout de même des spécificités dans les modalités permettant de remporter la victoire :
Il y a deux types de missions : la guerre ou la police. La guerre a un objectif politique. Il y a une fin. La mission de police, elle, n'a pas de fin. Il n'y a pas d'ennemis mais des contrevenants qu'il faut empêcher de nuire. En termes militaires, on parle de mission de stabilisation.
Reste à définir le juste niveau de stabilisation pour que la force militaire puisse considérer que l'objectif est atteint. En 2013, lorsque la France s'engage dans l'opération Sangaris pour s'interposer entre les deux communautés qui se battent en Centrafrique, elle décide de ne pas désigner l'un ou l'autre camp comme l'ennemi. Les soldats français vont chercher à désarmer les uns et les autres pour les amener à trouver une solution commune.
La désignation de l'ennemi et des objectifs politiques est particulièrement complexe pour le pouvoir politique qui confie la mission aux militaires. Selon le choix qui sera fait, les missions peuvent être parfois de véritables sacs de nœuds pour les soldats chargés de les mener. Michel Goya note ainsi les spécificités de la guerre engagée contre les mouvements djihadistes :
Reconnaître un ennemi, c'est reconnaître un interlocuteur pour négocier la fin d'une guerre. D'où le problème d'une guerre contre le terrorisme. C'est tout le problème de notre phraséologie : on se retrouve à faire la guerre contre quelqu'un que l'on ne veut pas admettre comme interlocuteur.
Le retrait, faute de victoire
Beaucoup de débats existent sur ce qu'est et ce que n'est pas une guerre. Les universitaires travaillent aux distinctions entre les différents conflits, dont les modalités peuvent impacter la recherche d'une solution. Olivier Schmitt, chercheur en Etudes de la guerre à l'université du Danemark du Sud, revient ainsi aux notions de bases :
Il faut partir de la définition : la guerre, c'est un moyen de résoudre un problème politique. Lorsque la guerre a suffisamment modifié le rapport de force entre les belligérants, il y a une nouvelle réalité politique. Tant que l'un des belligérants pense avoir encore un bénéfice à tirer de la guerre, elle continue.
Dans cet « affrontement des volontés », les acteurs qui participent à la guerre vont chercher par différents moyens à atteindre un objectif. Ce dernier n'est pas toujours évident à définir et peut évoluer en fonction des aléas et des retournements, d'une bataille à l'autre. Jusqu'à ce qu'un parti cède. Pourtant, tous ne sont pas égaux face à cette problématique et ces dernières années, la France s'est régulièrement retrouvée dans une position difficile à assumer, faute d'avoir suffisamment à gagner dans les conflits auxquels elle a participé, comme l'explique Olivier Schmitt :
Quand on intervient dans un pays, nous n'avons pas un intérêt vital mais périphérique : passage de migrants, protection d'un acteur, lutte contre un groupe armé... Cette asymétrie des enjeux fait que la puissance intervenante se retire généralement plus vite que ceux qui mènent directement la guerre, sur leur propre territoire. Pour les puissances occidentales qui interviennent, on reste souvent pour ne pas admettre la défaite, et justifier les vies sacrifiées. Les acteurs locaux, eux, ne peuvent pas détruire les Occidentaux. Donc les conflits s'éternisent, jusqu'à ce que quelque l'un des acteurs se lasse : souvent, c'est nous parce que justement, l'intérêt n'est pas vital.
Maîtrise de la communication
Si les conflits évoluent parfois de manière radicale, le pouvoir politique doit parvenir à maintenir un niveau suffisant de conviction auprès de l'opinion publique. En France, comme dans d'autres démocraties, il faut rendre des comptes au sujet de l'utilisation qui est faite des armées, même si le président dispose d'une importante marge de manœuvre en la matière. Pour Florent de Saint Victor, spécialiste des questions de défense et auteur du blog Mars Attaque, la communication au sujet des interventions militaires est mieux maîtrisée en France depuis l'expérience de l'Afghanistan :
A la fin d'une opération, comme pour Sangaris, il y a une phase de justification des moyens employés. Le politique explique de manière plus ou moins explicite ce qui a été fait. Quelle est la mission qui a été accomplie et est-ce à la hauteur des ambitions du départ ? Dans ce cas, il est fort probable que l'opinion publique n'ait même pas conscience de notre présence en Centrafrique. C'est pour cela que c'est le ministre de la Défense et pas le président, qui fait l'annonce de la fin de mission. C'est aussi un signe de l'importance relative de l'événement.
Ainsi, dans le cas de l'opération Serval au Mali, c'est François Hollande lui-même qui s'était rendu sur place pour annoncer la « mission accomplie ». Une déclaration qui peut être risquée : l'évolution dans le Sahel a montré depuis que la question djihadiste était en réalité loin d'y être réglée. Mais il est de plus en plus nécessaire pour le politique de fixer une date limite de fin de mission, afin d'éviter de s'engager indéfiniment dans des conflits particulièrement complexes. Quitte à ce que les adversaires, informés de cette date fatidique, ne patientent en attendant le départ des soldats.
La France reste cependant assez discrète sur ce qui se passe pendant les opérations militaires. Au moment d'un déploiement, le pouvoir politique fournit un important effort de communication pour convaincre le public, afin d'avoir le temps de manoeuvrer ensuite sans trop se préoccuper d'une opposition populaire à l'action de l'armée, comme l'explique Florent de Saint Victor :
Il y a une vision assez pragmatique et lucide. On pense qu'il faut préparer comme un solide matelas au départ, en terme d'opinion, qui pourra ensuite absorber le risque et les accidents, notamment les pertes, sans que l'opinion ne soit trop défavorable. C'est quelque chose qui reste typiquement français : en ce qui concerne l'action militaire, moins on parle de nous, mieux on se porte.
par Romain Mielcarek