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Au Tchad, le dialogue national à nouveau suspendu après trois jours de répression de manifestations
Le Monde
Les travaux devaient être lancés samedi mais, à la mi-journée, le président de ce forum de quelque 1 400 personnalités censées représenter toute la société tchadienne a suspendu la séance jusqu’à lundi 5 septembre.
Le dialogue de réconciliation nationale lancé il y a deux semaines par la junte militaire au Tchad a de nouveau été suspendu samedi 3 septembre, après trois jours de siège par les forces de l’ordre d’un parti de l’opposition et de répression brutale de ses rassemblements.
Le jeune général Mahamat Idriss Déby Itno, autoproclamé chef de l’Etat à la tête d’un Conseil militaire de 15 généraux, en avril 2021 à la mort de son père le président Idriss Déby Itno, avait aussitôt promis un Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) devant déboucher sur des élections « libres et démocratiques ».
Plusieurs fois reporté, ce dernier s’est ouvert le 20 août à N’Djamena mais, boycotté par la majorité de l’opposition et deux des plus puissants mouvements rebelles armés, il n’a toujours pas entamé ses travaux sur le fond, eux-mêmes reporté plusieurs fois, à quinze jours de sa clôture prévue.
Ils devaient être lancés samedi mais, à la mi-journée, le président de ce forum de quelque 1 400 personnalités censées représenter toute la société tchadienne a suspendu la séance jusqu’à lundi 5 septembre, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse. Cette suspension doit laisser un peu plus de temps à un comité chargé de rallier ceux qui le boycottent et dénoncent un « monologue » entre la junte et des personnalités proches.
Encerclement
Mais, au troisième jour, samedi, de l’encerclement par la police et l’armée du siège du parti Les Transformateurs et de répression brutale de toute tentative de rassemblement de ce parti, la principale coalition de l’opposition, Wakit Tamma, ainsi que l’un des deux principaux groupes rebelles armés, le Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), ont réitéré leur boycott, en raison notamment de la « répression ».
Jeudi 1er septembre, la police a dispersé à coups de grenades lacrymogènes une caravane des Transformateurs qui appelait les habitants de la capitale à assister samedi à un meeting de leur jeune leader Succès Masra, et arrêté 84 jeunes militants pour « manifestation interdite et troubles à l’ordre public », selon la police. Vendredi 2 septembre, elle a de nouveau dispersé brutalement leurs rassemblements. M. Masra assurait alors que 164 de ses partisans avaient été arrêtés.
Samedi, les policiers ont de nouveau tiré des gaz lacrymogènes sur quelques dizaines de jeunes Transformateurs tentant de rallier leur siège, a témoigné un journaliste de l’AFP. Un impressionnant déploiement de policiers et militaires bloquait l’accès au quartier et empêchait les journalistes de travailler, qui étaient arrêtés s’ils tentaient de sortir du matériel de prise de vue, ont témoigné ceux de l’AFP.
En fin de journée, le quartier était toujours saturé de gaz lacrymogènes et un camion de la police a emmené une dizaine de jeunes gens arrêtés.
« Monologue »
M. Masra, qui réclame un « Dialogue du Peuple » au lieu du « monologue » actuel, dénonce sur sa page Facebook le siège de son mouvement où il assure être retranché. « Vous êtes l’âme de ce Peuple qui se met debout pour la justice et l’égalité. Nous vaincrons ensemble », écrit-il à l’adresse des Tchadiens.
Le 20 avril 2021, à l’annonce de la mort de son père tué en se rendant au front contre la rébellion du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), après trente années d’exercice d’un pouvoir autoritaire et sans partage, le général Mahamat Déby avait dissous le Parlement, limogé le gouvernement, abrogé la Constitution mais aussitôt promis de rendre le pouvoir aux civils par des « élections libres et démocratiques » après une transition de dix-huit mois renouvelable une fois et un Dialogue national.
Article réservé à nos abonnés Au Tchad, Déby fils dans les pas de son père
L’absence d’une grande partie de l’opposition politique, d’une large frange de la société civile et d’une grande partie des rebelles les plus puissants au DNIS risque de ralentir voire de compromettre la réconciliation nationale et de retarder considérablement les élections promises.
Depuis son indépendance de la France en 1960, l’histoire du Tchad a connu plusieurs coups d’Etat, tentatives et d’offensives rebelles. Un très laborieux dialogue entre la junte et une cinquantaine de groupes armés - préalable requis pour le dialogue national - s’est soldé le 8 août par un accord de paix mais il a été signé par une quarantaine de mouvements, deux des trois réellement actifs l’ayant rejeté, dont le FACT.
Tchad: Succès Masra, une épine dans le pied du régime militaire tchadien
https://icilome.com/ By Adjogblé HAKA September 3, 2022
Sa voix résonne tel un stentor. Ses phrasées sont audibles et ses speechs dégagent une cohérence dans le raisonnement. Son parti les Transformateurs mis sous les fonts baptismaux en 2018 est une peau de banane entre les pieds du régime militaire du défunt président Idriss Deby Itno puis de celui de son fils le Général Mahamat Deby Itno qui a pris la succession de son père contre toutes les dispositions constitutionnelles du Tchad.
Les Transformateurs, ce sont des jeunes éparpillés partout dans le pays et qui donnent du fil à retordre au pouvoir militaire de fait adoubé par la France et Emmanuel Macron qui a personnellement assisté au sacre du nouveau dirigeant alors que la rue grondait et réclamait un retour à l’ordre constitutionnel suite au décès du Maréchal.
Né le 30 août 1983, Succès Masra est un économiste en chef à la Banque africaine de développement et avait un bel avenir professionnel devant lui. Contre toute attente et au regard de la dérive totalitaire de Deby père, des souffrances et de la misère dans lesquelles baignaient ses compatriotes, il décida de tout laisser tomber et de se consacrer à la politique intérieure de son pays. En 2018, il rentre et prend la tête de son parti et entre en combat idéologique et pacifique contre les militaires pour transformer la société tchadienne en donnant à chacun sa place dans le débat et dans les redistributions des ressources. Il combat dans le même temps le népotisme, la gabegie, le clientélisme et l’injustice sociale qui ont pignon sur rue. Et la mousse prend.
À la mort du Maréchal, il s’insurge contre la succession dynastique et avec le mouvement Walik Tama un regroupement de partis et de mouvements de la société civile, ils organisent des mouvements de contestation très vite réprimés par les nouveaux maîtres du Tchad. Mais Succès Masra n’en démord pas et organise meeting sur meeting pour faire entendre raison non seulement à la France qui est une caution au nouveau pouvoir mais aussi au Général qui régente le pays.
L’annonce d’un dialogue national par la junte militaire tchadienne ne rassure pas les Transformateurs qui posent des préalables pour leur participation à ce qui s’annonce comme une farce. Ils exigent du Conseil militaire de transition CMT des préalables de confiance notamment un référendum sur la nouvelle constitution, l’interdiction aux militaires du CMT de se représenter à la prochaine élection présidentielle, la réelle séparation des pouvoirs, la nomination d’un Premier ministre consensuel de transition détenant les pleins pouvoirs. Toutes ces revendications sont balayées d’un revers de main par le CMT qui a entamé son dialogue laissant de côté les Transformateurs et la coalition de la société civile Wakit Tama qui réclament toujours des préalables avant toute participation au dialogue.
Depuis lors l’opposition qui conteste la fiabilité et la sincérité du dialogue en cours manifeste et Succès Masra est devenue son leader incontesté. Rien que dans la seule journée d’hier, 84 manifestants de son mouvement ont été arrêtés pour troubles à l’ordre public et ce matin le siège du parti est encerclé par les militaires qui empêchent les militants de se rassembler et de dénoncer le dialogue qui en principe devrait reprendre demain 03 septembre 2022.
Succès Masra au-delà de son jeune âge a un projet politique, social et économique pour son pays et ses propos sur les réseaux sociaux incarnent ce renouveau pour le Tchad. Comme il aime le répéter si souvent sur sa page Facebook, reprenant la célèbre citation de Thomas Sankara, «on peut tuer un homme mais pas ses idées» et ses idées font tâche d’huile au-delà de son Tchad natal.
Anani Sossou