A Bangassou, sous la coupe des miliciens antibalaka
"Si la guerre doit durer 15 ans, on se battra. Et si on doit détruire Bangassou, on détruira Bangassou!" Dans la bouche de "BéréBéré", un des "généraux" autoproclamés des milices antibalaka qui règnent en maître sur cette ville du sud-est de la Centrafrique, l'avertissement n'est pas à prendre à la légère.
A plus de 700 km à l'est de Bangui, Bangassou, ville de 35.000 habitants à majorité chrétienne, longtemps épargnée par les violences qui secouent depuis 2013 le reste du pays, n'est plus que l'ombre d'elle-même.
C'est dans cette zone où six Casques bleus de la Minusca ont été tués en mai et trois autres en juillet, que le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, se rend mercredi pour quelques heures, moment fort de sa visite en RCA, sa première à une opération de maintien de la paix de l'ONU depuis sa prise de fonctions en janvier.
Bangassou a été prise d'assaut le 13 mai par les antibalaka (antimachettes), milices dites "d'autodéfense" qui affrontent dans les localités environnantes des groupes armés rivaux, peuls ou promusulmans. La cité vit depuis lors au rythme des violences, des caprices de la soldatesque et des rivalités entre ses chefs.
Déjà moribonde, l'administration a littéralement disparu. Palais de justice, préfecture, gendarmerie, douanes... sont déserts. Les herbes folles ont envahi les bâtiments publics. Toutefois mardi, veille de l'arrivée d'Antonio Guterres à Bangassou, le préfet fraîchement nommé a pris ses fonctions dans la ville.
L'accès à la rivière Mbomou, qui marque la frontière avec la RDC voisine, est contrôlé par des jeunes en armes, souvent ivres. Les "autodéfense", pour beaucoup des enfants du pays, sont "partout, dans chaque famille de Bangassou", glisse un habitant.
Des tirs, d'origine indéterminée, claquent à intervalles réguliers. Les rues, larges allées de terre orange taillées dans la forêt, sont très peu fréquentées. L'activité est au point mort. Seuls les véhicules des Casques bleus, de l'évêché et de Médecins sans frontières (MSF) circulent.
'La mort par la suite'
Quelques taxis-motos font bien leur route, évitant les quartiers "compliqués". Tout le monde se claquemure chez soi à la nuit tombée. "C'est vraiment difficile de bosser dans ces conditions", lâche un employé de MSF, seule organisation humanitaire encore présente en ville.
La tension, palpable, s'est accrue ces derniers jours, à mesure que s'est intensifiée la "guerre" dans la région entre antibalaka, pilotés depuis Bangassou par le "général BéréBéré" et ses acolytes, et le groupe armé à dominante peul Union pour la paix en Centrafrique (UPC).
Avec au milieu les Casques bleus, impuissants à faire cesser violences et massacres à répétition de civils dans les campagnes.
La radio locale a baissé le rideau il y a quelques jours, alors que les antibalaka ordonnaient la fermeture du grand marché local de Tokoyo. Quiconque voudrait continuer d'y faire des affaires "aura la mort par la suite", ont-ils prévenu.
Quand ils ont pris la ville d'assaut en mai (76 morts selon l'ONU), les antibalaka ont traqué les civils musulmans, qui ont couru se réfugier dans la mosquée.
Encerclée, celle-ci fut un temps protégée par des Casques bleus qui, selon des sources concordantes, se sont ensuite retirés, laissant les réfugiés à leur triste sort. L'imam a bien essayé de sortir, mais il a été abattu sur place.
Ont suivi deux jours de médiation, sous les balles et sans succès, de l'évêque de la ville et du cardinal Dieudonné Nzapalainga.
Des forces de l'ONU (forces spéciales portugaises) sont finalement intervenues pour escorter les déplacés vers le petit séminaire de l'Eglise catholique.
Quelque 2.000 personnes y sont toujours, bloquées, sous la menace permanente des antibalaka.
La déchirure est profonde, à l'image de l'hôpital, tenu par MSF, auquel "une partie des blessés (les musulmans, NDLR) n'a toujours pas accès", selon Ernest Lualuali Ibongu, responsable médical. A l'entrée du bâtiment, des antibalaka contrôlent les allées et venues.
'Désespérés'
Le statu-quo est fragile, la ville semble sur le point de s'embraser. Les provocations des antibalaka - souvent des tirs - envers les Casques bleus en position autour du petit séminaire se multiplient.
Les militaires marocains, accusés de parti pris, sont particulièrement visés. "Comme les Marocains veulent combattre contre nous, nous allons aller jusqu'au bout avec eux", tonne le "général BéréBéré".
"Maintenant, c'est trop tard (pour les musulmans), il faut qu'ils partent", clame-t-il, "c'est trop fort ce que les musulmans nous ont fait!".
"Nous sommes désespérés. Si les milliers d'antibalaka attaquent le site, cela va être grave", lance en soupirant l'évêque de la ville, Mgr Juan José Aguirre.
Au camp, les déplacés attendent dans l'inquiétude, protégés par les Casques bleus, où ils écoutent le bruit des tirs avec effroi, souvent très près du camp.
"Nous sommes encerclés ici, nous n'avons presque rien à manger. Mais qu'ils ne se trompent pas: la terre est à nous tous, chrétiens et musulmans, ils ne pourront pas nous chasser", veut croire l'un d'eux.
Le 17 octobre, le président Faustin-Archange Touadéra s'est rendu à Bangassou, et a visité les déplacés.
Il a également rencontré le "général BéréBéré". "Il nous a demandé de rester calmes", raconte ce dernier. Peine perdue: des tirs ont résonné autour de l'enclave dès le décollage de l'avion présidentiel. Et le lendemain, les antibalaka attaquaient Pombolo, où au moins une vingtaine de civils ont été tués.
Avec AFP
Le secrétaire général de l'ONU au cœur du chaos centrafricain
Temps fort de sa visite en Centrafrique, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a rencontré mercredi Casques bleus et populations déplacées à Bangassou (sud-est), ville mise en coupe réglée par les miliciens et où il a fustigé ces groupes armés "criminels" qui veulent faire du pays "un enfer".
"On voit la tragédie, et le sacrifice héroïque des soldats de la paix", a déclaré Antonio Guterres, "je veux faire un appel très fort a la communauté internationale, il faut renforcer la force onusienne pour mieux protéger les Centrafricains".
Arrivé à la mi-journée à Bangassou, à 700 km à l'est de la capitale, où il a été accueilli avec sa délégation par le préfet fraichement nommé, le patron de l'ONU s'est rendu au camp de la force onusienne, la Minusca, où il a déposé une gerbe et observé une minute de silence en hommage aux Casques bleus tués dans l'exercice de leur mission.
M. Guterres a déclaré être venu "ici pour exprimer (sa) gratitude, (sa) solidarité et (son) admiration. Vous faites un travail d'un courage extraordinaire, je suis fier d'être votre collègue", a-t-il lancé aux soldats de la paix, se disant "conscient des difficultés d'une opération de maintien de la paix avec des ressources limitées".
C'est à Bangassou que neuf Casques bleus ont été tués entre mai et juillet, et où ces mêmes Casques bleus - gabonais, marocains et sénégalais notamment - tentent aujourd'hui de prévenir l'attaque par les antibalaka (antimachettes) d'un peu moins de 2.000 déplacés musulmans qui ont trouvé refuge dans un séminaire catholique local.
Les 35.000 habitants de cette ville à majorité chrétienne, frontalière de la RD Congo, vivent depuis mai sous le joug des miliciens antibalaka, prétendant défendre la minorité chrétienne, contre les groupes armés peuls et musulmans actifs dans les localités environnantes.
Sous la protection des Casques bleus et un soleil de plomb, le secrétaire général a visité le camp des déplacés, dialoguant avec quelques-uns.
La RCA est un pays "qu'un groupe de criminels essaie de transformer en enfer", a lancé M. Guterres. "Je sais que c'est difficile de parler de réconciliation quand on a souffert. Mais la seule solution, c'est la réconciliation, avec notamment la justice (...). On ne va pas faire des miracles, tout ça va prendre du temps. Je vous demande de la résilience", a-t-il ajouté, sous les applaudissements des déplacés.
Plus de Casques bleus
Arrivé la veille à Bangui, pour sa première visite à une mission de paix de l'ONU depuis sa prise de fonction en janvier, M. Guterres a appelé le soir même la communauté internationale à mobiliser davantage de "ressources et de capacités pour aider la République centrafricaine".
Il a plaidé pour un renforcement de 900 Casques bleus de la mission de l'ONU dans le pays, la Minusca, forte actuellement d'un peu plus de 12.500 hommes. Cette demande doit encore être actée par le Conseil de sécurité de l'ONU, qui renouvelle en novembre le mandat de la mission.
"Il nous faut renforcer la dimension et les capacités" de la Minusca et oeuvrer à une "solidarité active" avec Bangui, a-t-il inlassablement répété mercredi matin, après un entretien avec le président centrafricain Faustin Archange Touadéra.
La visite du secrétaire général intervient dans un contexte sécuritaire tendu en Centrafrique: si la capitale reste épargnée par les violences, groupes armés et autre milices "d'autodéfense" ont repris leurs affrontements et commettent des massacres à grande échelle dans le sud-est, dans le centre et dans le nord-ouest, faisant des centaines de morts parmi les populations civiles, invariablement prises pour cibles.
Mercredi, le patron de l'ONU est attendu à Bangassou (sud-est), à 700 km à l'est de la capitale, dans une de ces villes de province mises en coupe réglée par les groupes armés.
Les 35.000 habitants de cette ville à majorité chrétienne, frontalière de la RD Congo, vivent depuis mai sous le joug des miliciens antibalaka, prétendant défendre la minorité chrétienne, contre les groupes armés peuls et musulmans actifs dans les localités environnantes.
C'est dans cette zone où neuf Casques bleus ont été tués entre mai et juillet, et où ces mêmes Casques bleus tentent aujourd'hui de prévenir l'attaque par les antibalaka d'environ 2.000 déplacés musulmans qui ont trouvé refuge dans un séminaire local sous la protection l'église.
Rencontre avec les contingents
Durant les trois heures de sa visite, M. Guterres doit visiter ces déplacés, rendre un hommage officiel aux Casques bleus tués et s'entretenir avec des éléments des contingents gabonais, marocains et sénégalais déployés sur place.
La tension s'est notablement accrue ces derniers jours dans la ville, à mesure que s'est intensifiée la "guerre" dans la région entre antibalaka, pilotés depuis Bangassou, et l'Union pour la paix en Centrafrique (UPC), un groupe peul. Des affrontements ont eu lieu à Kembé et Pombolo notamment ces dernières semaines, qui ont fait des dizaines de victimes, selon des sources onusiennes.
La visite de M. Guterres en République centrafricaine est un message politique fort, à un moment où les critiques pleuvent sur la mission de l'ONU.
Accusés par leurs détracteurs de "passivité" et parfois même de "parti-pris" (cette accusation visant plus particulièrement les militaires marocains à Bangassou), les contingents onusiens font aussi face à une avalanche d'accusations d'agressions sexuelles (renvoi du contingent congolais en juin, plus de 600 soldats).
A son retour de Bangassou, le secrétaire général devrait rencontrer des victimes d'abus sexuels et leurs familles. Il sera accompagné de Jane Connors, avocate des droits des victimes de l'ONU.
A Bangui, il rencontrera également des ONG opérant sur le territoire. La Centrafrique est en 2017 le pays le plus dangereux au monde pour les humanitaires, de plus en plus cibles d'attaques.
Le secrétaire général doit aussi rencontrer les membres de la plateforme inter-religieuse centrafricaine, qui tente avec difficulté de prévenir les violences inrtercommunautaires et n'ont de cesse de dénoncer l'instrumentalisation de la religion par les belligérants.
Enfin, M. Guterres se rendra au quartier musulman de Bangui, le PK5, poumon économique de la capitale et vivier de violences par le passé.
La Centrafrique est en proie depuis 2013 à des violences intercommunautaires, après le renversement de l'ex-président François Bozizé par les milices de la Séléka prétendant défendre la minorité musulmane, ce qui avait entraîné une contre-offensive des milices antibalaka.
Les groupes armés se battent aujourd'hui essentiellement pour le contrôle de territoires et de ressources naturelles, dans un pays où près de 1,1 des 4,5 millions d'habitants ont dû fuir leur foyer.
Avec AFP