N'DJAMENA, 8 avril 2008 (PlusNews) - Quand un patient séropositif démuni des alentours de Danamadji, dans le sud du
Tchad, doit aller à l'hôpital, il n'a parfois pas d'autre choix que d'y aller en charrette à boeufs. Mieux vaut ne pas être trop faible : il faut jusqu'à un jour et demi pour y arriver, à
condition de ne pas être attaqué en route par des éléphants.
Grâce à l'engagement des bailleurs de fonds et du gouvernement tchadien ces dernières
années, la décentralisation des services VIH/SIDA a pu être initiée, mais dans de nombreuses zones isolées de cet immense territoire de près de 1,3 million de kilomètres carrés peuplé de moins de
10 millions d'habitants, elle n'est pas encore devenue une réalité, pas plus que la gratuité.
A Danamadji, une localité située au sud-est de Sahr, près de la frontière avec le
République centrafricaine (RCA), effectuer un test de dépistage du VIH, en principe gratuit, est déjà un acte hors de portée des plus pauvres, a noté Randjita Beoudoum, coordonnateur de
l'association Union pour la persévérance et l'action de vie positive (UPAV+).
« Il n'y a pas d'électricité, donc quand quelqu'un veut faire un test, on lui demande de
payer 150 francs CFA (0,36 dollar) parce qu'il faut du carburant pour démarrer le groupe électrogène », a dit cet homme de 42 ans, marié et père de sept enfants, qui vit avec le VIH depuis 21
ans. « On a crié à la radio jusqu'à (en être) fatigué, au moins pour avoir un centre de dépistage mobile, mais on ne nous aide pas ».
Son association, qui revendique environ 400 membres infectés ou affectés par le VIH/SIDA
dans quatre sous-préfectures de la région, doit donc faire avec les moyens du bord pour venir en aide aux personnes séropositives, dont la plupart habitent des villages de
brousse.
« Nous faisons des visites à domicile dans chaque village avec notre charrette à boeufs,
et là où on arrive et que (le patient) ne tient pas debout... on l'emmène », a raconté à IRIN/PlusNews M. Beoudoum, qui est sous ARV depuis 2003. « Quand on a deux ou trois personnes, on part
pour l'hôpital de Sahr ».
Il faut une journée et demi pour parcourir en charrette les 125 kilomètres qui séparent
Danamadji de Sahr, la seule ville de la zone où les antirétroviraux (ARV) sont disponibles. « On perd des gens sur le chemin, ils meurent parce qu'ils sont trop (faibles) », a-t-il regretté,
précisant que son association déplorait cinq décès en 2007.
Et un danger inattendu les guette. « Il y a beaucoup d'éléphants dans la région, et ils
peuvent nous attaquer. Pour leur échapper, on a une sono sur la charrette et on met la musique très fort pour les effrayer et traverser les forêts », a-t-il raconté. « Une fois, on n'avait pas
mis la musique, des éléphants nous ont attaqués, on a abandonné les boeufs et on s'est enfui. Ensuite, les villageois sont venus à notre secours ».
Dans le sud, l'« axe de la mort
»
Avec des pics d'infection au VIH jusqu'à 9,8 pour cent, contre 3,3 pour cent à l'échelle
nationale, le sud est l'une des régions du Tchad les plus touchées par l'épidémie. La zone est traversé par ce que de nombreux Tchadiens surnomment l'« axe de la mort », une route venant de la
RCA et menant à N'Djamena, la capitale tchadienne, à des centaines de kilomètres plus au nord, en passant par les zones pétrolifères de Doba.
L'argent qui circule dans cette zone de forte activité économique attire les commerçants,
populations locales ou originaires d'autres pays de la région, et constitue en même temps un risque de propagation de l'épidémie dans un secteur où les services VIH/SIDA sont encore peu
disponibles, selon les acteurs de la lutte contre le sida.
« Des filles viennent du Tchad et aussi de la RCA et de la RDC (République démocratique du
Congo) pour 'faire leur marché' dans la zone du pétrole, elles se font (belles), et quand elles ont trouvé (un homme), elles repartent et d'autres viennent », a dit à IRIN/PlusNews une femme
membre de l'association de personnes séropositives SOS++ à Bébédjia, dans la zone pétrolifère.
Dans d'autres régions, le déni et
l'ignorance
La situation n'est pas plus aisée pour les patients d'Oum-Hadjer, dans le département du
Batha-est, dans le centre du Tchad. Les patients qui résident dans ce chef-lieu de département et ont besoin d'ARV ou de test CD4 (pour évaluer la résistance du système immunitaire) doivent se
rendre à Abéché, quelque 150 kilomètres plus à l'est. La majorité de ces patients est démunie.
« Les ARV sont gratuits maintenant (depuis 2007) mais pour nous cette gratuité est
théorique, parce que se rendre à Abéché coûte 5 000 francs CFA (12 dollars) aller-retour », a dit Giscard Sirrobe Ignabaï, président de la jeune association de personnes vivant avec le VIH
Annidal (le combat, en arabe), créée en mars 2007. « Et après, il reste encore à payer le logement, la nourriture, la prise en charge des infections opportunistes. Peu de (patients) font le
trajet ».
« Quand on trouve un malade (faible) et qu'il reste un peu d'argent dans la caisse de
l'association, on l'aide pour son suivi médical, mais on s'épuise et on réduit forcément notre espérance de vie », a regretté M. Sirrobe Ignabaï, dont trois des 20 membres fondateurs de
l'association sont déjà décédés.
Dans ces régions de la partie est et nord du Tchad, peuplées majoritairement de
populations musulmanes, les acteurs de la lutte contre le sida ont noté qu'il était beaucoup plus difficile de sensibiliser les communautés sur les questions liées à la sexualité et au sida, un
obstacle supplémentaire à surmonter.
« Les populations font semblant d'ignorer l'existence du mal », a dit M. Sirrobe Ignabaï.
« Pour beaucoup de gens ici, c'est un blasphème de parler de sexualité et de sida. On essaye de lancer un cri d'alarme, mais les gens refusent de nous écouter ».
Sur les 16 415 personnes dépistées au VIH en 2006 dans tout le pays, seuls trois pour cent
ont fait le test dans l'est et le nord, contre 66 pour cent dans le sud et 31 pour cent dans la capitale, selon les statistiques officielles.
...Quand on trouve un malade (faible) et qu'il reste un peu d'argent dans la caisse de
l'association, on l'aide pour son suivi médical, mais on s'épuise et on réduit forcément notre espérance de vie...
Des difficultés
reconnues
Toutes ces difficultés, les autorités en charge de la lutte contre le sida les
connaissent, mais le gouvernement a souligné être confronté à un certain nombre d'obstacles dans la décentralisation des soins.
Outre les problèmes de gestion du financement VIH/SIDA de la Banque mondiale, puis de
celui du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui ont mené à la suspension pendant plusieurs mois de ces financements en 2006 et 2007 et retardé l'expansion des
services VIH/SIDA dans les provinces, le Tchad fait face à une pénurie de personnels de santé, qui touche surtout les provinces.
« Nous n'avons pas plus de 300 médecins sur tout le territoire, et moins de 200 d'entre
eux ont reçu une formation à la prescription d'ARV », a noté le docteur Djouater Barou, coordonnateur du Programme national de lutte contre le sida (PNLS). « Et ils ne sont pas partout : à
l'hôpital général de N'Djamena, il y a en a une trentaine, mais dans certains districts (de province), il n'y en a qu'un ».
Par manque de données statistiques, les acteurs de la lutte contre le sida éprouvent
également des difficultés à évaluer les besoins des différentes régions, ce qui, ajouté au manque de formation de certains gestionnaires des ARV dans les provinces, a mené à des ruptures
d'approvisionnement de ces médicaments dans certains centres.
Pour pallier ce déficit en praticiens et en formation dans les provinces, le PNLS et ses
partenaires, notamment les agences des Nations Unies, ont initié la formation d'infirmiers capables au minimum de prescrire le renouvellement des ordonnances d'ARV, tandis que des responsables de
la gestion des stocks d'ARV doivent aussi être formés en 2008.
Il tentent en même temps de combattre les idées fausses sur la maladie et de développer
des programmes de prévention de l'infection dans les zones à risque du sud et dans les régions isolées de l'est et du nord, les régions les plus exposées à l'insécurité due aux tensions avec le
Soudan voisin.
En attendant, de nombreuses personnes infectées continuent à mettre leur vie en danger par
ignorance de leur statut, même lorsqu'elles ont fait le test, ont noté des personnes vivant avec le VIH et des acteurs de la lutte contre le sida.
« Comme il n'y avait pas de traitements (dans ma région), le médecin a voulu me cacher
(mon) résultat (du test de dépistage du VIH) », a raconté une veuve de 37 ans, mère de cinq filles. « Il m'a caché que j'étais séropositive, il m'a menti, mais j'ai insisté parce que je me
doutais de quelque chose. Heureusement que j'ai insisté, parce que c'est grâce à cela que je viens de fêter mes (10 ans) de vie avec le VIH ».