Depuis la rébellion avortée des 2 et 3 février, le président Idriss
Deby, qui veut à tout prix se maintenir au pouvoir, vit retranché dans la capitale tchadienne.
SONIA ROLLEY QUOTIDIEN : mardi 22 avril 2008
«C’est un projet qu’on avait prévu depuis longtemps, pour l’écoulement des eaux de
pluie», tente d’argumenter un responsable du ministère tchadien des Infrastructures. La construction d’une tranchée de plus de 40 km autour de N’Djamena ne pouvait pas passer inaperçue,
surtout après l’attaque avortée des rebelles armés par le Soudan sur la capitale tchadienne des 2 et 3 février. Les arbres de la principale rue commerçante, l’avenue
Charles-de-Gaulle, ont été coupés sans ménagement, au lendemain des combats. «Des arbres centenaires», se désole-t-on à N’Djamena. Les employés municipaux s’activent dans d’autres
quartiers de la ville. «Le président Idriss Deby a demandé à ce que tous les arbres soient coupés pour éviter que les rebelles se cachent derrière», confie l’un d’entre eux. A quelques
pas de là, devant la présidence, des blocs de béton armé, remplis de sable, espacés d’une cinquantaine de centimètres, derrière lesquels les militaires peuvent se réfugier. «Et ils
disent que la situation est sous contrôle !» plaisante Ahmat, un jeune militaire.
Pendant l’attaque sur la capitale, le président Deby, très isolé, était retranché dans son
palais, sous le feu de la rébellion, qui contrôlait la ville. Le régime a cru vivre ses dernières heures. Sauvé grâce à ses chars d’assaut, ses hélicoptères et au soutien français, Deby entend
aujourd’hui se maintenir au pouvoir coûte que coûte. «La tranchée, les postes de garde, les cargaisons d’armes qui arrivent tous les jours, ce n’est pas ça qui va sauver Deby,
poursuit le jeune militaire. Il faut des hommes. Et pendant la bataille de N’Djamena, tout le monde s’est planqué, les ministres, les généraux, ils croyaient tous que le régime était
fini», conclut-il. Deby s’en était lui-même plaint lors de sa première conférence de presse publique après les combats. Il y a ceux qui l’affirment sans honte. «Je ne suis pas un
combattant, je n’avais rien à faire au palais», explique un ministre. D’autres le cachent ou réécrivent l’histoire, en espérant éviter la disgrâce. Ceux qui se sont battus ne parlent que des
«traîtres» ou des «lâches». «On n’était qu’une poignée au palais pendant les deux jours, confie un haut responsable tchadien. Il faut les voir tous ces
ministres, ces conseillers qui se pavanent en tenue militaire, passent leur temps à mentir au Président et hurlent contre les mercenaires à la solde du Soudan [ndlr : les rebelles],
leurs complices ou la population.»
Les groupes rebelles tchadiens, dirigés par d’anciens proches de Deby, y compris ses
propres neveux, ont traversé le pays depuis leurs bases au Darfour soit près d’un millier de kilomètres, sans rencontrer de résistance. Ce n’est qu’aux abords de la capitale que rebelles et armée
régulière se sont affrontés. En trois jours de combats, dont deux en ville, il y aurait eu 700 morts, civils et militaires, selon le gouvernement. Des milliers d’habitants de N’Djamena sont
partis se réfugier au Cameroun voisin.
Des croix rouges et noires
Aujourd’hui, il ne reste que peu de traces des combats en ville. Les carcasses de pick-up
ont été dégagées, les cadavres enterrés, les impacts de tirs sur les façades pour la plupart rebouchés. Pourtant dans plus d’une dizaine de quartiers, maisons et boutiques sont entièrement
détruites. Des stigmates qui ne sont pas ceux de l’attaque, mais bien d’un programme de destruction méthodique, mis en œuvre par les autorités, après l’offensive rebelle. «Deby nous
punit», explique Mahamat, un jeune Tchadien, dont la maison a été détruite du jour au lendemain. «Dans le quartier Ngoudji, les rebelles sont restés longtemps. Il y a des habitants qui
ont même applaudi à leur arrivée. On nous punit aussi parce qu’on est gorans, de la même ethnie que Mahamat Nouri», le principal chef de la rébellion. En plus des destructions, ces habitants
se plaignent d’exactions commises par l’armée régulière et les rebelles soudanais du Darfour, les «toros-boros» (déformation ironique de Tora Bora, la montagne afghane où Ben Laden s’est réfugié
pour échapper à l’offensive américaine en 2001), venus prêter main-forte au régime de Deby. L’un des principaux groupes rebelles soudanais du Darfour, le Mouvement pour la justice et l’égalité,
est majoritairement composé de Zaghawas, l’ethnie du président tchadien.
«Les toros-boros ont attrapé huit femmes le même soir chez moi», explique
Hissène, un Goran d’une cinquantaine d’années. Son visage est entièrement tuméfié, ses yeux gonflés. «Ils voulaient voler mais nous n’avions rien. Ils étaient saouls, ils m’ont frappé et s’en
sont pris aux femmes.» Hissène appelle l’une des plus jeunes filles, Miriam, d’une douzaine d’années à peine. Sa joue est très enflée et ses poignets lacérés. «Ils la tenaient par les
poignets…», se contente-t-il d’expliquer. Le mot de «viol» ne sera jamais prononcé. Mais les quartiers gorans ne sont pas les seuls à faire les frais de cette nouvelle politique de la
municipalité. Presque tous les quartiers de N’Djamena, y compris ceux habités par des Zaghawas, sont touchés par les destructions en cours. «Ici, c’était ma maison, explique Timothée
devant un champ de ruines. J’étais au travail, quand ils sont venus. Toutes mes affaires étaient à l’intérieur, je n’ai pu récupérer qu’une valise.» La maison de Timothée était située
sur une «réserve» de l’Etat tchadien, officiellement interdite à la construction. Des croix rouges ou noires, signes d’une prochaine destruction, sont visibles un peu partout sur les
murs de la capitale. «Ma maison avait une croix depuis un an, je savais qu’elle devait être détruite, reconnaît Timothée. Mais je l’ai achetée, j’ai un titre de propriété et je n’ai
nulle part ailleurs où loger.» «Tous ces terrains ont été vendus illégalement par les services du cadastre, c’est-à-dire l’Etat ou par des responsables de quartiers depuis les années
80, explique un haut responsable de la mairie. Il s’agit d’un énorme réseau de corruption dont pâtissent aujourd’hui des milliers de Tchadiens issus des couches sociales les plus
défavorisées.»
Un pillage ciblé
Au total, plus de deux mille concessions ont déjà été détruites dans la capitale dans
le cadre de ces programmes dits de «déguerpissement», laissant des dizaines de milliers d’habitants, propriétaires ou locataires, à la rue. L’organisation américaine de défense des droits de
l’homme a dénoncé dans un communiqué cette démolition de logements sans dédommagement ni procédure équitable. «Human Rights Watch ment ! Dans certains quartiers où les expulsions ont été
effectuées pour cause d’utilité publique, on a dédommagé les propriétaires ou les occupants de bonne foi, rétorque le porte-parole de la mairie de N’Djamena, Abdelnasser Garboa. Mais les
autres, la grande majorité, occupaient illégalement des terrains appartenant à l’Etat.»
«Ce qui est surprenant avec les déguerpissements, c’est que la municipalité n’a pas
suffisamment de projets ou d’argent pour occuper tous ces terrains libres, commente un diplomate en poste dans la région. Ils détruisent vite. Juste pour détruire», ajoute-t-il. De
son côté, la mairie de N’Djamena promet la construction de maternités, d’hôpitaux, de lycées, d’écoles, de bâtiments publics, d’espaces verts et même d’un parc d’attractions. Malgré
l’exploitation du pétrole dans le sud du pays depuis 2003, le Tchad reste l’un des pays les plus pauvres au monde, 170e sur 177 selon l’indice de développement humain du
programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Durant la bataille de N’Djamena, des habitants ont pillé ou incendié les institutions représentant l’Etat. Ils s’en sont pris aux maisons
de la famille du Président, des hauts dignitaires du régime ou d’expatriés. Un pillage ciblé. «Juste après les combats, c’était difficile de faire la différence entre les pillards et les gens
qui fuyaient la ville,révèle le directeur général de la police tchadienne, le général Idriss Dokony. Mais nous avons fait notre possible pour réinstaurer l’ordre au plus vite.» Le
gouvernement a décrété l’état d’urgence pour un mois et a organisé des fouilles dans tous les quartiers pour retrouver les biens pillés. Là aussi la volonté de bien faire a dégénéré en
exactions.
«Ils demandent des factures et si tu ne les présentes pas, ils t’arrachent tout en disant que tu as pillé, surtout les objets de valeur et même l’argent», explique Issa, un sudiste d’une
vingtaine d’années, ajoutant : «Qui a des factures au Tchad ?» Comme des milliers d’autres, Issa avait fui les combats avec sa famille au Cameroun. «Et quand on rentre, c’est pour
que nos maisons soient détruites ou pillées, et nos femmes violées», s’emporte-t-il. Arrestations, exécutions sommaires, tortures, viols ou vols. Les organisations tchadiennes et
internationales des droits de l’homme ont dénoncé des exactions commises par les forces tchadiennes de l’ordre, les rebelles soudanais ou des hommes en armes. «N’Djamena vit aujourd’hui
encore dans un climat de peur. Les habitants refusent le plus souvent de témoigner, explique Massalbaye Tenebaye, président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme. Les civils n’ont
pas compris qu’après le retrait des rebelles, les forces de l’ordre s’en prennent à eux, comme si c’étaient tous des complices des rebelles ou des pilleurs. Des mois plus tard, le gouvernement ne
fait toujours aucun effort pour les rassurer.» «Ceux qui se plaignent d’exactions devraient porter plainte, rétorque le directeur général de la police, Idriss Dokony. Les
auteurs, quels qu’ils soient, seront sévèrement punis.» Mais très peu osent aller au commissariat.
Une commission d’enquête, contestée, devrait éclaircir les événements qui entourent l’attaque ratée des 2 et 3 février, dont la disparition de l’un des principaux opposants
Ibni Oumar Mahamat Saleh. «Obtenue» lors de sa visite au Tchad le 27 février par Sarkozy, elle devait être «internationale». Mais la commission créée deux jours plus tard par
le président Deby était en majorité composée de proches du régime.
«Observateurs»
En outre, son mandat portait sur «l’agression soudanaise», N’Djamena accusant Khartoum d’en être à l’origine. Après de multiples revirements, le dernier décret présidentiel donne pour
mission à cette commission de faire la lumière sur la disparition d’opposants et les violations des droits de l’homme, mais n’accorde plus que le statut d’«observateurs» aux
étrangers.
«Jusque-là, Idriss Deby était entouré d’extrémistes et s’obstinait dans ses
erreurs», commente un diplomate en poste dans la région. La communauté internationale, qui a apporté un soutien inconditionnel au gouvernement tchadien
après l’attaque sur N’Djamena, attendait depuis un fléchissement du régime. Il pourrait peut-être finalement avoir lieu. Le président Deby vient de nommer un nouveau Premier ministre, chargé de
former un gouvernement d’ouverture. Signe de détente, l’opposition se dit prête à y participer.
Tchad : scepticisme au sujet du nouveau gouvernement
vendredi 25 avril 2008
par Aloys Evina
Le JOURNAL CHRETIEN
Une semaine après sa nomination par le président Idriss Déby Itno, le Premier ministre tchadien Youssouf Saleh Abbas vient de publier la liste de son gouvernement composé de 37 membres. Quatre
opposants, membres de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC) font leur entrée dans ce gouvernement.
C’est ainsi que le ministère de la Défense est confié au général Wadal Abdelkader Kamougué, tandis que le ministère de la Justice est confié à Jean Bawoyeu Alingué, autre figure de l’opposition.
Naimbaye Lossimian à l’Agriculture, et Ahmit Mahamat Dalob à l’aménagement du territoire, Beaucoup de ministres conservent leur poste, nous dit notre correspondant François Djékombé. Saleh
Kebzabo, un des membres de la CPDC, juge insuffisant le nombre des postes attribués à l’opposition.
Interrogé sur la mise en œuvre de l’accord signé le 13 août 2007 entre le gouvernement et la CPDC et qui doit aboutir à des élections démocratiques en 2009, M. Kebzabo a dit que cela ne
serait possible que si le président Idriss Déby Itno en donne la latitude au Premier ministre. Assurant que la coalition de l’opposition n’a pas renoncé à son exigence que le gouvernement fasse
la lumière sur la disparition du porte-parole de la CPDC, Ibni Oumar Mahamat Saleh, Saleh Kebzabo a fait remarquer que la présence de membres de la CPDC au sein du gouvernement « pourrait
donner un coup d’accélérateur » à ce processus.
Ali Golhor, un autre député de l’opposition, juge « inopportune » l’entrée des membres de la CPDC au sein du gouvernement. « C’est comme si nous passions l’éponge sur l’affaire de
Ibni Oumar Saleh ; il a été notre porte-parole, il a dirigé la CPDC avec droiture, il a assumé correctement sa mission », a-t-il déclaré.
Certains Tchadiens estiment que les changements apportés au gouvernement ne vont pas assez loin. D’autres se demandent si l’entrée des opposants dans le gouvernement ne vise pas à diviser
l’opposition, surtout, disent-ils, que « tout est entre les mains du chef de l’Etat. »
Berne sanctionne N'Djamena
La Suisse prend des mesures contre le Tchad pour son utilisation abusive du Pilatus vendu en 2006. Le gouvernement suisse (Conseil fédéral) ne veut pas que la population civile tchadienne en
pâtisse, il a donc décidé de sanctionner des «représentants de l'Etat».
Outre les sanctions, le Conseil fédéral a ordonné une révision des dispositions légales concernant les conditions d'exportations d'avions d'entraînement militaire. Selon un communiqué du
Département fédéral de l'économie (DFE), le gouvernement va proposer au Parlement une modification de la loi sur le contrôle des biens (LCB).
Cette révision fâche le gouvernement du canton de Nidwald qui estime que cette dernière va défavoriser les activités de la société Pilatus de Stans déjà soumise à une rude concurrence
internationale.
Pour mémoire, la Suisse a vendu un PC-9 au Tchad en 2006. Or cet avion a été armé et utilisé à des fins militaires en décembre 2007 ainsi qu'en janvier et février 2008.
Un tel emploi n'est pas conforme à la déclaration de destination finale signée par N'Djamena. L'appareil non armé était en effet destiné uniquement à l'entraînement. Pilatus s'est acquitté
correctement de son contrat.
La Suisse prend des sanctions contre le Tchad qui a utilisé à des fins militaires un
Pilatus
Tsr.ch 25.04.2008 12:31
La Suisse prend des sanctions contre le Tchad, qui a armé et utilisé à des fins militaires fin 07 et début 08 un Pilatus destiné à l'entraînement. Le gouvernement a
décidé de sanctionner des "représentants de l'Etat", a communiqué le département de l'Economie vendredi. En outre, les exportations ne devraient plus être autorisées si un Etat souffre d'un
conflit armé ou s'il y a un risque que les avions soient utilisés contre les civils. Une modification de la loi sur le contrôle des biens sera proposée Le gouvernement de Nidwald, où siège
l'entreprise Pilatus de Stans, s'est dit mécontent, craignant la concurrence. (SWISS TXT)
Le Tchad, coupable idéal
Le Courrier Samedi 26 Avril 2008
SIMON PETITE
Comme dans toute fable, il y a les bons et les méchants. Au
centre de l'histoire, un avion qui fait la fierté de Nidwald, petit canton au milieu des montagnes suisses. Ces vingt dernières années, la firme Pilatus a vendu des centaines d'appareils
militaires dits d'entraînement mais qui ont été utilisés dans presque tous les conflits internes de la planète.
Quand la télévision alémanique a révélé en février dernier que le Tchad avait envoyé un avion PC-9 bombarder le Darfour, cela n'a étonné personne. Personne, sauf la Confédération à qui le
gouvernement d'Idriss Déby avait promis de n'utiliser l'appareil que pour former ses pilotes. On sait ce que valent les assurances d'un dictateur, surtout s'il est acculé par une rébellion, mais
passons.
Furieuse, la Suisse a ouvert une enquête. Comment se fait-il que des bombes se soient retrouvées sous les ailes du PC-9? Les investigations sont aujourd'hui achevées. Nul ne connaît leur teneur
exacte mais leurs conclusions sont sans surprise: les ateliers Pilatus n'ont rien à se reprocher. Peu importe que l'entreprise de Stans vante la robustesse et la maniabilité de ses modèles auprès
des armées du monde entier, pourvu qu'elle respecte la loi.
Quant au Tchad, il a trahi la confiance helvétique et la conseillère fédérale Doris Leuthard a annoncé, hier, des sanctions contre le pays africain. Les dignitaires du régime seront privés de
visa et la coopération suisse ne bénéficiera plus qu'à la société civile.
Il est frappant de constater que ces mesures de rétorsion ont d'abord été annoncées au gouvernement nidwaldien, jeudi, avant même d'être rendues publiques. Mme Leuthard a aussi tenté de rassurer
les autorités de Suisse centrale, inquiètes du maintien des places de travail dans leur canton. Elles n'ont pas trop de souci à se faire.
Car la législation suisse reste très perméable. Le Conseil fédéral se refuse toujours de considérer les Pilatus comme du matériel de guerre –cela rendrait plus difficile leur vente– et l'affaire
tchadienne ne l'a pas fait changer d'avis. D'autant moins qu'une initiative du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) a été déposée en septembre dernier afin d'interdire toutes les exportations
d'armes. Tout au plus, Berne annonce la révision des dispositions réglant l'exportation des fameux avions. Pas de quoi couper l'herbe sous le pied de la gauche et des antimilitaristes.