Le bon président tchadien s’est légèrement fait gruger en voulant rénover son armée. Les
vendeurs d’armes ne sont plus ce qu’ils étaient. Misère !
Entre deux verres de château cheval blanc et deux verres de whisky hors d’âge, Idriss Déby
pense. Bien sûr, alimenter ce Saint Idriss Bouche d’Or a un prix : 1456,67 euros la bouteille de 2000 et 1809,25 euros celle de 1990. En Afrique il n’y a pas que la famine, il y a aussi la soif.
Quant au prix du whisky, mystère. Au palais présidentiel de Ndjamena, c’est comme dans les catalogues ultras chics où on peut lire « prix non communiqué ». En ce moment le cheval blanc et le très
vieux malt ont du mal à calmer les colères d’Idriss.
Le président en rage a bien raison d’être ivre. Il a dépensé des tonnes d’argent pour
acheter des engins de morts. Et ses outils ne sont pas aussi mortels que prévu. Par le truchement d’une petite troupe d’intermédiaires empressés, des « lords of war » qu’on rencontre dans toutes
les salles d’attente des dictateurs, Idriss a acheté beaucoup d’armes. Mais surtout des hélicoptères. Ces machines de guerre, « made in Russia » ont été récupérées sur le marché de l’occasion en
Egypte. Et ces gros balourds ont du mal à voler selon les critères décrits dans le mode d’emploi.
Idriss en veut un peu à un homme d’affaires libanais, à l’origine de ce marché d’hélicos
tapis plus que volants. L’heureux commerçant, lui, s’en fout : il a touché son argent et commence à le dépenser en achetant un très bel appart à Paris. Là où les hélicos volent haut sans aller à
vau-l’eau. Instruit par sa mésaventure commerciale, Déby ne veut plus entendre parler que d’un commerce conduit désormais « d’état à état ». Ainsi il a pris langue (non pas Jack) avec les «
autorités » ukrainiennes afin d’entretenir, et si possible restaurer, les hélicos russes. De supers mécanos sont donc installés à Ndjamena.
Des bienfaits de
l’ouverture
Si la remise à niveau de l’armée est en très bonne voie, la rénovation politique, elle, est au zénith. Depuis qu’Idriss,
façon Sarko, a offert quatre postes de ministres aux « opposants » de la Coordination Pour la Défense de la Constitution (CDPC), c’est l’amour fou. Ces farouches membres du CDPC ont même oublié
la disparition de leur porte parole, Ibni Oumar Mahamat Saleh, par ailleurs président du Parti pour les Libertés et le Développement (PLD). Celui-ci a été raflé début février quand les « rebelles
» ont attaqué la capitale. Le bruit a couru qu’Idriss Déby liquidé, Saleh allait prendre la tête d’un « Comité de transition ». Dans un pays où les larmes de crocodiles s’achètent à l’épicerie du
coin, les héros du CDPC ont déjà tourné la page Saleh. Pourtant, toujours ferme sur les principes, Sarkozy vient de nous rappeler son « engagement à obtenir des informations » sur le sort du
porte parole du CDPC. Parle à mon crocodile…
La modernisation de la vie politique a vraiment du bon. Un lot de Range Rover a été
généreusement distribué à des généraux qui friment en ville. Et une loi sur la presse interdit de publier toutes les nouvelles sauf l’horoscope et la météo. Le ministre de l’Intérieur a déclaré
que cette loi était un outil pour « casser les plumes qui allaient trop loin. » Encore du boulot pour Ménard qui préfère tailler les plumes que les casser. Pendant ce temps, à l’Est, tout baigne
pour l’Eufor, la force « européenne » qui veille sur le Darfour dans le désert des Tartares. La vraie difficulté de la mission est de savoir si c’est mieux de faire le barbecue à midi ou bien le
soir. Faut voir…
Pour les pilotes, ce n’est pas terrible non plus. Ce n’est pas que l’escadrille de
Brésiliens pilote mal, c’est qu’ils pilotent beaucoup. Et comme ils sont payés à l’heure, le taximètre tourne et, au bout du compte, ça fait du cheval blanc en moins. Idriss reproche aussi à ses
amateurs de samba de bombarder « bêtement ». Il a raison puisqu’il existe, Bush nous l’a dit, des missiles intelligents. Pour faire la guerre, ces Brésiliens montent trop haut et bombardent à
l’aveugle une colonne qui se sait bien plus à l’abri là où on la vise que là où l’on tire.
Les chevaliers de l’Apocalypse d’Idriss – ça c’est bien brésilien – font plus de bruit que
de mal… à peine née, la nouvelle armée de Déby a donc besoin d’un sévère recadrage. Et, en ville, on a aperçu de nouveaux conseillers qui ressemblent fortement à des rescapés de la bande à
Denard. En 1983, pour défendre (contre Kadhafi) le grand démocrate criminel de guerre Hissène Habré (alors président), et défendre aussi son chef d’état major, Idriss Déby, François Mitterrand
avait expédié des mercenaires. Vingt cinq ans plus tard, certains d’entre eux n’ont pas oublié le chemin de Ndjamena, terre de barbouzeries.
© Bakchich : Jacques-Marie Bourget
Paru le 08-05-2008 14:03:46