Par Louis Mesplé | Consultant
photo | 30/10/2008 | 12H11
Avec sa dernière série "African Spirit", le photographe centrafricain Samuel
Fosso atteint, dans ses derniers autoportraits en portraits célèbres d'africains ou d'afro-américains, le cœur de sa cible. Il quitte le registre de la dérision du modèle pour sa valorisation,
ses clichés vivement colorés pour des photos en grave noir et blanc.
Un peu de son histoire...
Né en 1962 au Cameroun, il vit d'abord au Nigéria. Membre de l'ethnie ibo, pris
dans l'enfer de la guerre du Biafra, il rejoint de la famille à Bangui. En 1975, à 13 ans, il ouvre un studio photo baptisé "Nationale" dans la capitale de la République
centrafricaine.
En marge de ses travaux tournés vers une clientèle de voisinage pour laquelle il
inscrit sur son comptoir "Vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître", Fosso débute ses autoportraits avec un peu de sape et beaucoup de narcissisme.
D'après lui, c'est sa solitude et son face à face quasi exclusif avec l'objectif
qui produit ces autoportraits répétés et différents. Les studios changent de noms : "Studio Gentil", "Hobereau", "Convenance", et chaque modification de noms correspond, à peu près, à des phases
d'identifications ou d'étapes symboliques de son travail personnel.
En 1994, grâce au photographe français Bernard Descamp, les autoportraits de
Samuel Fosso sont dévoilés lors des premières Rencontres de Bamako. Il cède à la mode culturelle tiers mondaine, qui l'a vite saisi, des images en couleurs vives de
travestissement.
Il résiste dans ces séries où la mise en scène est très étudiée, glisse des
caricatures sur "l'honnête homme des temps modernes" : l'homme d'affaires, le joueur de golf…
Les décors qu'il construit et devant lesquels il se produit sont inspirés du
traditionnel studio africain. Sa maîtrise de plasticien à se représenter dans d'autres rôles culmine avec « Le Chef » (ci-dessus), image fort prisée du milieu de l'art
contemporain.
... beaucoup de notre histoire
Cette photographie est sous-titrée: "Celui qui a vendu l'Afrique aux colons".
Elle vise précisément Mobutu Sese Seko, homme lige de l'Occident en général, du gouvernement belge en particulier, ex-dictateur du Zaïre, responsable, entre autres, de l'assassinat de Patrice
Lumumba (1961).
Cette œuvre est le repère frontalier de l'infléchissement d'une photographie de
dérision critique, ludique vers des thématiques plus identitaires et politiques.
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écran
La série "African Spirit" est de cette veine. Samuel Fosso se transforme en ces
hommes cultes du peuple noir, en doublure réaliste de ces héros africains ou nord américains. Cette quinzaine de grands tirages sont des répliques véridiques des portraits de ces personnages tels
qu'ils demeurent dans l'imaginaire et la mémoire historique, dans leur voie iconique et légendaire :
Patrice Lumumba avant son
meurtre, chemise blanche et fines lunettes
Mandela avant son
emprisonnement
Aimé Césaire jeune
intellectuel, au faite de sa protestation anticoloniale
Angela Davis et chevelure
afro année 60
Martin Luther King orateur
Kwame Nkrumah le
panafricaniste
Malcom X, copie de la
fameuse photo d'Eve Arnold (1961)
Tommie Smith, le vainqueur
du 200 mètres au JO de Mexico poing ganté, levé, sur le podium
Cassius Clay (Mohammed Ali) of course
Seydou Keita, le
photographe, au temps où son studio de Bamako était célèbre, dans les années 70)
Toutes les photos, dans la galerie Jean Marc Patras
(où il les a réalisées) sont légendées uniquement en ces termes : "Autoportraits African Spirits", suivi d'un numéro de
code. Une mention nécessaire pour placer cette photographie dans le camp de l'art contemporain ? Faut ce qu'il faut...
On préférera voir dans ces portraits aux cartels laconiques la prédominance
d'une histoire collective à des caractères individuels. De l'esclavage au "Soleil des Indépendances" :
- "Et Obama ?", s'enquiert naïvement un visiteur.
- "On verra plus tard", répond Samuel Fosso.
Photos reproduites avec l'aimable autorisation de la galerie Jean-Marc
Patras
► Samuel Fosso, African Spirits exposition à la galerie Jean-Marc
Patras, 8, rue Sainte Anastase, Paris IIIe - jusqu'au 28 mars 2009 - Rens.: 01-42-72-23-88 - plan.