
Le Conseil de sécurité a été exhorté à rejeter la demande du président visant à
interrompre les enquêtes de la Cour dans son pays.
Par Katy Glassborow à La Haye et Mélanie Gouby à Londres (AR No. 197, 16-Jan-09)
Il est probable que le président de la République centrafricaine, RCA, François Bozizé ait suivi l’audience de confirmation des charges contre Jean-Pierre Bemba qui a eu lieu cette semaine à la
Cour pénale internationale, CPI, avec un sentiment de réussite – mais aussi d’anxiété.
Bozizé a eu ce qu’il voulait – un de ses anciens ennemis est en procès à La
Haye, accusé de crimes présumés à l’époque du renversement par Bozizé de l’ancien président du pays Ange-Félix Patassé.
Cependant, l’été dernier, Bozizé, craignant apparemment que la CPI puisse aussi
lancer une procédure contre lui, a demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies, CSNU, d’interrompre les enquêtes de la Cour qui avaient lieu dans le pays.
Dans une lettre datée d’août 2008, Bozizé, autrefois chef des armées, appelait le CSNU à déclarer les tribunaux de RCA compétents pour juger tout
crime de guerre commis sur le territoire du pays depuis la fin du coup de 2003 au cours duquel il avait pris le pouvoir. La CPI est capable d’intervenir uniquement pour poursuivre les violations
du droit international si un pays est dans l’incapacité ou n’a pas la volonté de le faire lui-même.
Mais des groupes locaux de défense des droits de l’Homme ont indiqué que le pays n’a pas la capacité de juger des crimes de guerre ou crimes contre l’humanité. Ils avertissent que la requête de
Bozizé semble être ni plus ni moins qu’une tentative d’échapper à la justice pour les crimes commis par des troupes sous son commandement.
“Bozizé…a ce qu’il voulait – Jean-Pierre Bemba devant la Cour – et il pense qu’il pourrait peut-être avoir Patassé. Mais il ne veut pas que lui-même ou ses alliés soient
jugés,” a indiqué Marceau Sivieude de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, FIDH.
En 2004, Bozizé avait demandé à la CPI d’enquêter sur des crimes prétendument commis par les alliés de Bemba et Patassé avant et pendant le
renversement.
Son renvoi fut approuvé par la Cour de Cassation, la plus haute instance
judiciaire du pays, qui a indiqué que le système judiciaire national était incapable de mener les procédures complexes nécessaires pour enquêter sur les crimes de guerre et les poursuivre.
En mai de l’année dernière, Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo, RDC, a été inculpé pour des crimes commis en RCA voisine entre 2002 et 2003. Les Procureurs de la
CPI indiquent que son Mouvement pour la libération du Congo, MLC, aurait aidé Patassé à essayer d’étouffer le soulèvement contre lui – et aurait eu recours au viol, à la torture et semé la
terreur parmi les civils pour ce faire.
Jusqu’à présent, Bemba est la seule personne inculpée pour des atrocités dans le
pays, mais les enquêtes de la Cour continuent et d’autres actes d’accusation sont attendus.
LES ENQUÊTES DE LA COUR CONTINUENT EN RCA
Bien que les Procureurs de la CPI ne soient pas désireux de donner des détails
au sujet des enquêtes en cours, les experts pensent qu’ils sont actuellement en train d’étudier des rapports faisant état d’atrocités qui auraient été commises par les troupes gouvernementales
qui luttent contre un mouvement de révolte dans le nord du pays depuis 2005. Le conflit a éclaté parce que des rebelles ont accusé le gouvernement de négliger cette région tombée dans l’anarchie,
qui manque de routes, d’écoles et de centres de soins.
“Nous savons qu’un grand nombre de violations des droits de l’Homme ont été commises par l’armée contre les rebelles, ou des gens perçus comme rebelles, dans des prisons ou centres de détention.
Nombreux sont ceux qui sont détenus de manière arbitraire, torturés et maltraités,” a indiqué Sivieude à l’IWPR.
“Il y a de nombreuses autres violations commises par l’armée qui ont été documentées dans des rapports par le BONUCA [mission de l’ONU en
RCA].”
Godfrey Byaruhanga d’Amnesty International, AI, a indiqué que le gouvernement craint d’être tenu responsable de ces crimes si les enquêtes de la
CPI continuent.
“Nombre des personnes susceptibles d’être poursuivies sont des dirigeants au
sein du gouvernement et des forces de sécurité,” a-t-il dit.
Erick Kpakpo, coordinateur de l’Organisation pour la compassion et le développement des familles en détresse, OCODEFAD, a indiqué que Bozizé avait réalisé qu’il s’était exposé en invitant la CPI à enquêter sur les crimes commis en RCA.
“Il a pris une tronçonneuse, et il a coupé la branche sur laquelle il était assis. Il pourrait tomber maintenant,” a-t-il dit.
L’appel de Bozizé au CSNU visant à mettre fin aux activités de la CPI dans le pays est intervenu juste deux mois après que le chef de la CPI Luis Moreno-Ocampo lui ait écrit, demandant que les
actes de violence continus dans le nord de la RCA fassent l’objet d’une attention particulière.
Le CSNU peut suspendre les procédures de la CPI en lien avec une situation
particulière pour une durée d’un an maximum.
Le président du Soudan Omar al-Bashir – le premier chef d’État a avoir été accusé de crimes de guerre par les Procureurs de la CPI – a cherché à obtenir ce délai par rapport à la région agitée du
Darfour, réclamant qu’une chance soit donnée aux efforts de paix avant qu’un mandat d’arrêt contre lui ne soit délivré.
Des avocats de RCA, activistes des droits de l’homme et journalistes indiquent que l’annonce par Moreno-Ocampo en juillet 2008 qu’il avait prévu de
demander aux juges de la CPI d’inculper Al-Bashir a fait peur à Bozizé, dans la mesure où cela a clairement démontré qu’un président n’était pas à
l’abri de poursuites.
Dans sa lettre envoyée au CSNU le mois suivant, Bozizé a indiqué qu’en 2004, il avait demandé à la CPI d’étudier les crimes commis à l’époque du
changement de régime et souligné que les tribunaux de RCA avaient été déclarés inaptes à juger des évènements qui avaient eu lieu par la suite.
Employant des arguments utilisés par Al-Bashir, Bozizé a soutenu que les appels de Moreno-Ocampo à ce qu’une attention particulière
soit portée à la violence en cours allaient mettre en danger l’Accord de paix global, APG – signé en juin 2008 entre le gouvernement et les mouvements rebelles – si les combattants étaient par la
suite arrêtés.
Il a également dit que les lois d’amnistie mises en place par l’APG avaient mis fin à des différends entre le gouvernement et les rebelles, permettant aux autorités de tourner
“une nouvelle page dans l’intérêt de la réconciliation nationale et de la
paix”.
LES AMNISTIES DU GOUVERNEMENT IGNORENT LES DROITS DES VICTIMES
Alors que des amnisties ont été prévues pour Patassé et les chefs rebelles pour des crimes commis pendant et après le
coup, des experts indiquent qu’elles ne s’étendent pas aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Les activistes des droits de l’Homme indiquent qu’en délivrant des amnisties, le
gouvernement n’a pas abordé la question du droit des victimes à obtenir justice pour les crimes commis contre elles.
“Les
amnisties ont déroulé le tapis rouge pour les criminels,” a indiqué l’avocat des droits de l’Homme de RCA, Mathias Morouba, qui travaille avec des victimes du conflit.
Renner Onana, chef de la section des droits de l’Homme au sein du BONUCA, a indiqué que les lois d’amnistie n’avaient pas permis d’aborder la question
de la justice pour les crimes de guerre.
“Soit vous allez devant la CPI pour poursuivre ces crimes, ou vous construisez un système de justice transitionnelle. Vous ne pouvez pas dire que l’amnistie couvre
tout. Elle doit être soutenue par un mécanisme de justice – soit un mécanisme de justice internationale comme la CPI ou un mécanisme de justice nationale,” a indiqué Onana.
Morouba doute également de la volonté affichée de Bozizé de juger les suspects en RCA, indiquant que s’il voulait convaincre le CSNU que les tribunaux de ce pays sont capable de
le faire, les enquêtes et les poursuites auraient déjà du commencer à le démontrer.
“A ma connaissance, rien n’a encore été initié,” a-t-il dit.
“Je crains que [la lettre de Bozizé] n’ait pour objectif de satisfaire les criminels et de promouvoir l’impunité. Je crains qu’il ne s’agisse alors d’un travesti
de justice – nous allons prétendre poursuivre et juger les gens, mais ils seront de retour dans les rangs des milices le jour suivant.”
TRIBUNAUX MILITAIRES
INADAPTÉS
Actuellement, les soldats suspectés d’avoir commis des atrocités peuvent être jugés par les tribunaux militaires.
Au fil des années, Bozizé a
déclaré que ceux qui étaient responsables des crimes dans le nord – y compris les troupes de l’armée – seraient soumis à cette forme de justice.
Mais la FIDH indique que le tribunal – qui, en raison d’un manque de moyens, siège uniquement quelques fois par an – a principalement jugé des délits, tels que le vol, plutôt que des crimes
graves.
Lorsque vous envisagez les crimes qui sont prétendument encore en train d’être
commis par l’armée dans le nord – y compris les exécutions sommaires et les pillages – les poursuites qui ont eu lieu jusqu’à présent sont mineures en comparaison, a indiqué Sivieude.
Lors d’un récent voyage en RCA, un représentant de la FIDH a demandé au Procureur du tribunal militaire pourquoi les membres de la garde présidentielle n’avaient pas été inculpés pour les crimes
présumés.
“Le Procureur a indiqué qu’il avait fait des annonces à la radio appelant les victimes à témoigner pour qu’il puisse ouvrir une enquête, mais aucune victime ne s’est
manifestée ….alors le Procureur n’a jamais ouvert d’enquête,” a indiqué Sivieude.
PAS DE CAPACITÉ POUR JUGER LES CRIMES DE GUERRE
Entre temps, certains observateurs indiquent que les tribunaux nationaux du pays
ne sont pas capables de poursuivre les personnes suspectées d’avoir commis des atrocités, parce que le gouvernement n’a toujours pas passé de loi relativement aux crimes de guerre.
“Etant donné que [ces] lois ne sont pas intégrées dans notre législation nationale, comment le système judiciaire
peut-il avoir la compétence pour juger de tels crimes du jour au lendemain? Ce n’est pas possible,” a indiqué Marie-Edith Douzima-Lawson, qui
coordonne un réseau d’ONG de défense des droits de l’Homme en RCA et représente aussi les victimes dans le procès Bemba à la CPI.
En raison d’un manque apparent de volonté politique, un projet de loi relative aux crimes de guerre qui est en attente devant le ministère de la justice depuis 2006, n’a pas encore été discuté
par le cabinet.
Jean-Serge
Bokassa, membre du Parlement de RCA et fils de l’ancien dictateur Jean-Bedel Bokassa, a indiqué qu’il reconnaissait l’importance d’insérer la
législation sur les crimes de guerre dans les codes.
Un obstacle supplémentaire à la poursuite des crimes de guerre sur le plan
national qui a été cité est l’état du système judiciaire national, particulièrement dans le nord agité où l’infrastructure est en ruines.
“Dans le nord, les tribunaux ne peuvent pas fonctionner parce qu’ils ont été mal entretenus. Même à la meilleure époque,
ils ne marchaient pas bien de toute façon, et plusieurs années de conflit ont détruit le peu qu’il restait,” a indiqué
Byaruhanga.
“Les magistrats ont été mutés ou écartés ou ont fui ces zones pour leur propre sécurité.”
SYSTEME JUDICIAIRE RONGÉ PAR LA CORRUPTION
Le BONUCA, qui travaille avec le projet de développement de l’ONU, PNUD, à l’amélioration du système judiciaire de la RCA, cite la corruption endémique comme un autre problème frappant les
tribunaux du pays.
Selon la mission de l’ONU, les politiciens interviennent dans le système
judiciaire du pays, et il est de notoriété publique que le ministre de la justice interfère dans les procédures, en arrêtant des gens et en demandant expressément à ce que certains jugement ne
soient pas passés.
“Le système judiciaire…est indépendant sur le papier mais en pratique, [il] doit souffrir des souhaits de
l’exécutif. Il y a des gens au pouvoir qui ont commis des crimes et ne sont pas inquiétés. Ils ont un parapluie, ils sont protégés,” a indiqué Kpakpo.
Lambert Zokoezo, qui a travaillé comme juge pendant 12 ans, et est maintenant président de l’Organisation centrafricaine
des droits de l’Homme, OCDH, a déclaré que les juges font souvent l’objet d’intimidations, “Si un juge regarde une affaire de trop près, il peut être menacé.”
Prospert Yaka Maide, journaliste de l’Agence Centrafrique Presse, pense également que l’intimidation est un sérieux problème dans le système
judiciaire de la RCA.
Il explique que les avocats sont menacés par la garde présidentielle – qui est
prétendument là pour protéger à la fois le président et les juges du pays – et sont aussi menacés de perdre leur emploi.
“[Les juges et les groupes d’avocats] envoient régulièrement des déclarations à la presse dénonçant de tels abus,” a-t-il dit.
Le BONUCA tout comme le PNUD reconnaissent ces problèmes et consacrent des fonds à reconstruire le système judiciaire de la RCA. Dans une initiative lancée ce mois-ci, les organisations vont
surveiller les tribunaux, organiser des formations, et reconstruire les infrastructures qui sont tombées en ruines après des années d’abandon.
Sébastien Gouraud de l’Unité État de droit du PNUD a indiqué que le projet prévoyait la construction de salles d’audience, d’installations pour les archives, et le développement des casiers
judiciaires pour les rendre accessibles à d’autres autorités telles que la police.
LES AUTEURS DE CRIMES DOIVENT ÊTRE TENUS RESPONSABLES
Entre-temps, des avocats et groupes de défense des droits de l’Homme demandent
que la CPI continue ses enquêtes dans leur pays pour traduire les auteurs de crimes de guerre en justice.
“Les victimes marginalisées attendent que la CPI leur rende justice,” a indiqué Morouba.
Goungaye Wanfiyo*, président de la ligue centrafricaine des droits de l’Homme, a déclaré que la communauté internationale devait ignorer l’appel de Bozizé à bloquer les activités de la Cour et a
exhorté la Cour à poursuivre ses enquêtes.
Il a averti que si la CPI se
retirait de RCA, les conséquences pourraient être dévastatrices.
“Si [la Cour] part, les gens vont perdre foi en la paix. Ils voient l’impact de la CPI parce que les dirigeants
ont peur,” a-t-il dit.
“C’est encore une période troublée ici, il y a des tensions et si les gens ne sont pas protégés, si les rebelles et les factions voient qu’elles peuvent agir en
toute impunité, cela va aller vraiment mal.”
L’IWPR a, à plusieurs reprises, approché le ministre de la justice de la RCA Monsieur Thierry Maleyombo, lors de l’audience de confirmation des charges contre Jean-Pierre Bemba à La Haye, pour
des commentaires sur les affirmations faites dans cet article et les motifs ayant poussé Bozizé à demander à la CPI de suspendre les enquêtes dans son pays; la compétence du système judiciaire
national ; et l’indépendance des juges.
Nous nous sommes vus à plusieurs reprises refuser notre demande d’interview, ou
de détails par d’autres personnes au sein du ministère de la justice à Bangui qui auraient pu répondre à nos questions.
Cependant, l’IWPR a pu parler à Abakar Nyakanda, haut commissaire pour les
droits de l’Homme en RCA, une institution soutenue par le gouvernement, au sujet de la requête de Bozizé. Nyakanda a indiqué que cela avait été fait dans l’intérêt du processus de paix.
“Il a demandé à la CPI de suspendre son travail, pour trouver un moyen pour sortir de la violence en cours. Je
pense que la demande du président a du sens et la CPI aurait mis la paix en danger parce que le dialogue était basé sur les amnisties."
Concernant les allégations d’abus commis par les soldats dans le nord du pays, il a indiqué, “Nous sommes en
temps de guerre – les droits de l’Homme sont quelque peu torpillés. Lorsque les gens se révoltent contre
le pouvoir étatique, il doit répondre. Les forces étatiques ne font que se défendre. Ce sont les rebelles qui attaquent."
Katy Glassborow est reporter de
justice internationale à La Haye. Mélanie Gouby est stagiaire auprès de l’IWPR à Londres.
* le 27 décembre, quelques jours à peine après avoir parlé à l’IWPR dans le cadre de ce rapport, Goungaye Wanfiyo a été
tué lorsque la voiture qu’il conduisait a été percutée par un camion.
Goungaye devait représenter les victimes de RCA lors de l’audience de confirmation des charges contre Bemba cette semaine.
La présidence française de l’Union européenne avait alors indiqué que Goungaye
était un “activiste courageux, dont le dévouement tenace pour la défense et la promotion des droits de l’Homme en
République centrafricaine a été reconnu par tous.
“Il a notamment fait campagne en faveur de la justice pénale internationale pour les victimes de la violence par son soutien au travail de la CPI. Ce dévouement
l’a également conduit à participer activement au forum sur le dialogue politique inclusif qui vient juste de se terminer à Bangui [capitale de la RCA].”
En raison de ses activités, Goungaye avait reçu des menaces de mort plusieurs fois, et avait également été arrêté il y a trois mois.
La FIDH, avec laquelle Goungaye était étroitement lié, a exigé une enquête
impartiale et indépendante pour déterminer la cause exacte de sa mort.
“Goungaye Wanfiyo était un avocat d’une grande intégrité, quelqu’un qui travaillait [pour] une justice indépendante et équitable dans ce pays. La communauté des droits de l’Homme pleure la perte
d’un défenseur irremplaçable des droits de l’Homme,” a indiqué Sidiki Kaba de la FIDH.