Linternationalmagazine.com - Emile FIDIECK, publié le
15/06/2009
Feutrée mais féroce, la guerre de succession qui s’est engagée bien avant le dernier soupir du patriarche Bongo fait actuellement rage au Gabon. Si les généraux, et vieux
caciques du pouvoir se déchirent, c’est surtout au sein de la famille que cette guerre risque de causer, à son terme, le plus de dégât entre Ali Bongo, Pascaline Bongo, Paul Toungui...et Jean
Ping.
Le 7 mai 2009 au soir, la panique s’empare des "réseaux
Françafrique". De sources officieuses viennent de faire état du décès d’Omar Bongo, Président du Gabon. De De Gaulle à Sarkozy, en passant par Mitterrand ou Chirac, "le Vieux" a connu tous les Présidents de la Ve République française et partagé avec eux de petits et grands secrets, que les héritiers
menacent de faire émerger. "Une seule déclarations non assumée pourrait faire sauter le baraque", affirme un diplomate français.
Le même vent de panique souffle sur le Gabon, où pendant
quarante-deux ans, le doyen des Chefs d’Etat d’Afrique a, plutôt que d’éliminer ses adversaires comme tant d’autres dictateurs, instauré un "consensus gabonais", les achetant à coup de
pétrodollars et de maroquins ministériels.
...tu as tué ma fille
Malgré les nombreux démentis du Gouvernement, la rumeur sur le
décès de Bongo reste persistante pendant tout le mois de mai, d’autant plus que "Le vieux", épuisé par les conflits de famille et les veillées funèbres, ne s’alimente plus et n’apparait
plus en public depuis le décès de sa femme Edith Lucie Bongo.
Au quotidien français "Le Monde",
Robert Bourgi affirme que lors de l’une de leurs dernières
conversations, le Président gabonais lui avait expliqué : "Je suis malheureux depuis la mort de "maman Edith" (sa femme). Mais ce qui me fait le plus de mal, c’est
que je n’ai même plus envie d’aller en France, qui est pourtant mon deuxième pays, à cause de tous vos médias qui me harcèlent avec ces histoires que l’on me fait".
Le Président Bongo est aussi abattu par les conflits de
familles. Son fils Ali Bongo qui rêve de le succéder, et sa
mère Patience Marie Joséphine Kama, - l’ex-femme de Bongo devenue chanteuse (...elle a commis un tube raillant sa remplaçante intitulé « Le mari est à nous tous »), - sont accusés par les
congolais d’être à l’origine du "mal mystérieux" qui a frappé Edith Lucie Bongo première Dame du Gabon et la fille du Président congolais Denis
Sassou-Nguesso. Un soupçon, en tout cas, partagé par le chef de l’Etat congolais qui, lors des obsèques de sa fille a lancé
à Ali Ben : « Tu as tué ma
fille ! ».
Ali Ben Bongo : le mal
élu.. ?
C’est dans ce contexte tendu
qu’intervient la mort d’Omar Bongo (officiellement le 7 juin). A l’annonce du décès de son père, Ali Ben Bongo, actuellement ministre de la défense reste presque seul aux
commandes.
Né Alain Bernard Bongo avant de
prendre le prénom d’Ali Ben lors de la conversion de la famille à l’islam en 1973, il est le fruit du mariage célébré en octobre 1959 entre Albert Bernard Bongo et Patience Marie Joséphine Kama.
Il effectue ses études secondaires au collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, banlieue huppée de la capitale française, puis choisit d’étudier le droit à
l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. À son retour au pays, dans les années 1980, son père l’intègre à son cabinet.
A l’annonce du décès de son père,
alors que toute la famille a accouru a Barcelone, le ministre de la défense lui préfère rester à Libreville pour verrouiller l’avenir et décide la fermeture des frontières terrestres, maritimes
et aériennes, déploie ses troupes autour de tous les sites sensibles : administrations, banques, radios, télévision publique...
Quelques mois avant, celui qu’on
surnomme à Libreville " Baby Zeus" fait le ménage à l’état-major où il place ses hommes. Il compte sur l’appui du ministre de l’Intérieur, André Mba
Ogame, un ami d’enfance et de surcroît Fang, la plus importante communauté ethnique du Gabon. Ensemble, ils animent le courant des « réformateurs » au sein du Parti
démocratique gabonais (PDG) au pouvoir. Il peut aussi tabler sur les conseils de Guy Nzouba Ndama, le président de l’Assemblée nationale. En France, il a
l’appui Robert Bourgi, un brillant avocat "dauphin" de Jacques Foccart, dont il a en partie repris les réseaux
africains.
Mais, la plupart des
collaborateurs du Président, sa fille Pascaline en tête, sont contre "Baby Zeus" a qui ils reprochent son manque de charisme et de sérieux, sa passion pour les Ferrari et les parties de Nintendo. Faute de parler la langue des Batékés, sa propre ethnie,
sa candidature aux législatives de 2001 dans le berceau familial, rebaptisé Bongoville, se révèle un désastre.
De méchantes rumeurs l’accusent
aussi de ne pas être le fils de Bongo mais un « bâtard », pis, un étranger trouvé dans un camp de réfugiés lors de la guerre du Biafra.
Ainsi, quand Ali Ben Bongo sera hospitalisé à son tour à Neuilly-sur- Seine, le 23 mai, le bruit court aussitôt qu’il a été empoisonné, ensorceler ou victime d’une attaque cardiaque à l’issue
d’un conseil de famille houleux. Mais selon des sources médias, Ali Ben tente de perdre son embonpoint et son anneau gastrique s’est
déplacé.
Parmi ses ennemis, il y a tous
ceux qu’il a évincés au sein de l’armée. A commencer par l’ex-chef d’état-major et actuel ministre de la Santé, le général Idriss Ngari, autre prétendant
potentiel, membre de l’ethnie fang et qui dirige une association très influente d’anciens gradés. Tenus à la lisière du pouvoir, les Fangs pourraient sentir l’heure de la revanche arriver, avec
le risque d’affrontements interethniques.
Pascaline, le "Totem" de
Bongo
Pascaline Bongo, 52 ans, est présentée comme la fille préférée du Président, son « totem », comme on l’affirme à
Libreville. Elle vit avec l’actuel ministre des Affaires étrangères - Paul Toungui, un autre prétendant à la succession de Bongo - et est farouchement opposée aux ambitions présidentielles de son
frère. A Barcelone, c’est elle qui veille sur Omar Bongo et filtre les visites. Elle aurait, selon les derniers rumeurs interdit l’accès à la clinique à son frère Ali Ben
Bongo.
Diplômée de l’ENA, elle assure la direction du
cabinet de son Père et est surtout la gestionnaire de sa fortune, au risque de confondre les caisses de l’Etat et son compte courant personnel. Dans l’enquête parisienne sur
"les biens mal acquis", il est apparu que l’une de ses Mercedes classe E55 avait été en partie
payée par un chèque de 37 320 euros de la paierie générale du Gabon. L’actuel trésorier payeur général est un de ses proches. Et son concubin actuel,
Paul Toungui, a longtemps détenu le portefeuille des Finances.
Si Pascaline n’est pas directement déclarée partante pour la succession de son
Père, elle compte bien peser sur le choix du prochain Président et agite ses réseaux parisiens dans ce sens, notamment dans les milieux d’affaires où elle bénéficie du soutien de Vincent Bolloré, son partenaire dans différents projets.
Fortement opposée à la prise du pouvoir par son frère Ali Ben Bongo, elle laisse
entendre que « les entreprises françaises auraient beaucoup à perdre » si son frère prenait la tête du pays. « Ali ? Ses adversaires essaient de nous le vendre
comme un agent vendu aux Américains », dit-on dans l’entourage de Sarkozy. Dans le contexte actuel, "une chose est sur : Pascaline ne roulera ni pour elle, ni pour son
Frère" nous affirme un diplomate français. Reste donc une inconnue : tranchera t-elle pour son compagnon actuel Paul Toungui ? ou pour son ex-mari Jean Ping avec qui elle a eu plusieurs enfants.. ?
Paul Toungui : le sérieux prétendant
Connu pour être un homme discret, Paul
Toungui, l’actuel mari de Pascaline Bongo, lui aussi issu du sud-est du Gabon, ne cache plus ses ambitions présidentielles. A 60 ans, celui qui est aussi ministre d’État chargé des
Affaires étrangères, rêve de s’emparer des clés du Palais du bord de mer .
Pour cela, il a entre ses mains une carte majeure : son appartenance au
clan Bongo par son mariage en 1995 avec Pascaline, la fille aînée du président.
Le couple peut compter sur d’importantes ressources. Pascaline Bongo,
inébranlable chef de cabinet de son père et gestionnaire des avoirs de la famille, n’ignore rien des méandres financiers du régime. Quant à Paul
Toungui, 60 ans, considéré comme l’Homme du Président, il fut longtemps ministre des Mines, puis des Finances.
Jean Ping : le distant aspirant
Dans les couloirs diplomatiques parisiens, on parle beaucoup de Jean Ping, - l’ex-mari de Pascaline Bongo - pour le fauteuil présidentiel. Né en novembre 1942 à Omboué, au sud de Port-Gentil, ce diplomate Gabonais est considéré
comme un des collaborateurs les plus écoutés de Bongo (qui l’avait surnommé "Mao" du fait de ses origines asiatiques). Il est depuis février
2008 à la tête de la Commission de l’Union Africaine.
Aujourd’hui marié à une Italiano-Ivoirienne,
Jeanne-Thérèse, l’ex-mari de Pascaline entre réellement en politique au Gabon en 1984, lorsqu’il devient le directeur de cabinet du Président Bongo. Ministre sans discontinuer pendant
16 ans, et vice-Premier ministre en 2007, Jean Ping, 65 ans, devient le chef de la diplomatie gabonaise en 1999.
Distingué, brillant et très ouvert, le Président de la Commission de l’UA est
surtout doté d’un important carnet d’adresses dans les cercles diplomatiques internationaux où il inspire confiance. Il faut rappeler qu’il a dirigé avec brio selon plusieurs diplomates, la 59e
session de l’Assemblée générale de l’ONU en 2004-2005, préparant le sommet sur la réforme de l’institution mondiale.
De part sa longévité aux côtés de Bongo qui le considérait comme de sa famille,
il connaît son pays comme sa poche. Seule entorse, on lui reproche de ne pas posséder une base électorale forte au Gabon, ayant lui-même longtemps évolué sous l’ombre du
Président.
Selon le communiqué de la Commission de l’UA parvenu à la rédaction de
International magazine, il n’a regagné son pays que samedi dernier pour assister aux obsèques du défunt Président. "Ne vous en faite pas, il suit la situation de près" nous
confirme une de nos sources à la Commission de l’UA. "le moment venu, si la nécessité s’impose, il entrera en action" précise la même source.
Les "outsiders"
Dans la famille, il faut aussi compter avec Christian Bongo, un fils du Président âgé d’une trentaine d’années, qui dirige l’une des principales banques du pays, la Banque
gabonaise de développement. Il y a aussi son frère, Anicet Bongo, était à la tête du groupe de communication TVSat, dont la Présidente du conseil d’administration n’était autre que Pascaline Bongo. Et puis il y a Jeff Bongo, haut
fonctionnaire du ministère de l’économie et des finances.
La "famille Bongo" compte aussi d’autres cartes, des seconds couteaux
installés à des postes d’importance à l’exemple d’Hervé Ossamy, un gendre d’Omar Bongo, patron d’entreprises d’Etat, ou encore Marie-Madeleine Mborantsuo, ancienne compagne du chef de l’Etat, et bien d’autres, et bien d’autres...
Mais la rivalité entre les deux enfants Bongo (Ali Ben et Pascaline) et ses
beaux-fils (Toungui et Ping) pourrait être compliquée par le jeu du général Idriss Ngari, qui disposerait de plusieurs soutiens dans l’armée. Les
caciques du PDG, l’ancien parti unique, pourraient faire entendre leur voix, de même que les opposants modérés tels Pierre Mamboundou, chef de l’Union
du peuple gabonais (UPG), et Zacharie Myboto, un ancien proche d’Omar Bongo qui connait très bien "la maison".
Avec AP, Xinhua, Reuters et Pana
Des centaines de couronnes mortuaires
pour Bongo
LE MONDE | 15.06.09 | 18h13 • Mis à jour le 15.06.09 |
20h40
Libreville. Envoyé spécial
Si ce n'est pas l'enterrement de la Françafrique, cela y ressemble. Sur la
terrasse du palais présidentiel, à Libreville, des centaines de couronnes mortuaires sont empilées sous des tentes face à l'océan. Axa, Bolloré ou Air France y adressent leurs condoléances et leurs "regrets éternels" après la mort du président Omar Bongo. L'une
d'elles a été déposée, dimanche 14 juin, par l'ancien patron d'Elf, Loïk Le Floch-Prigent en personne, au nom de sa société pétrolière Pilatus Group.
Devant le cercueil, le défilé des Gabonais se poursuit depuis trois jours.
Bougies parfumées, cantiques ou chants patriotiques scandés par les annonces d'un aboyeur, complètent l'ambiance de requiem. Les notables ne sont pas les seuls à s'engouffrer dans l'immense salle
des banquets tapissée de marbre. Le peuple des fonctionnaires et des employés s'incline, précédé par ses chefs et ses patrons.
Des curieux aussi, dans une procession de chemises à fleurs, de costumes sombres
et de tee-shirts aux formules boursouflées : "Merci, grand camarade pour votre oeuvre immense" ; "Le vide est si grand qu'il ne sera jamais comblé". Des femmes en boubou succèdent à des
"Françafricains" au visage buriné, des sportifs en survêtement bleu nuit et des professeurs en toge pourpre. La télévision diffuse en direct les cérémonies, offices religieux compris, plus de
quinze heures par jour.
L'ordonnancement parfait des cérémonies, auxquelles Nicolas Sarkozy doit participer mardi, masque une inquiétude diffuse sur l'après-Bongo. Dimanche, le secrétaire général du Parti démocratique gabonais (PDG, au
pouvoir) n'a pas caché son inquiétude : la cohésion du PDG est menacée depuis la disparition de son fondateur. La perspective de la prochaine élection présidentielle exacerbe les rivalités.
Pendant que s'empilent les couronnes de fleurs, le "Bongoland" se prépare à vider ses querelles d'héritage.
Philippe
Bernard
Article paru dans l'édition du 16.06.09