LE MONDE | 08.08.09 | 13h37 • Mis à jour le 08.08.09 | 13h37
L'élection du successeur d'Omar Bongo, le 30 août, s'annonce plus incertaine que les scrutins truqués qui
avaient permis au président gabonais, décédé le 8 juin, de se maintenir au pouvoir pendant quarante et un ans.
Les affrontements violents qui ont opposé, vendredi 7 août à Libreville, la capitale, plusieurs milliers de
manifestants aux forces de l'ordre confirment à la fois la volonté de nombreux Gabonais d'une rupture avec ces anciennes habitudes, et le choix de nombreux dirigeants politiques de mener la vie
dure à celui qui souhaiterait apparaître comme le successeur naturel du président défunt et le garant de la stabilité politique : son fils, Ali Ben Bongo, l'actuel ministre de la
défense.
C'est précisément pour dénoncer le maintien de ce dernier à ce poste clé depuis l'annonce de sa candidature que la
manifestation de vendredi avait été organisée. Jeudi soir, les autorités l'avaient interdite.
Sur les 23 candidats déclarés à la présidentielle, une dizaine réclament la démission du gouvernement de M. Ben
Bongo. Ces personnalités n'étaient pas présentes au début du rassemblement, vendredi matin, dans le quartier populaire de Rio, lorsque les policiers ont tenté de disperser quelques centaines
de manifestants à coups de matraque et de gaz lacrymogène.
Pendant plus de deux heures, de petits groupes ont affronté les forces de l'ordre à coups de pierres, de
bouteilles et autres projectiles. "Le Gabon n'est pas une monarchie. C'est le peuple qui doit décider. Ali va t'en !", lançait un étudiant cité par l'AFP.
"On a supporté le père, on ne veut pas du fils", déclarait un autre, selon l'agence, qui dénombre "au moins six blessés".
Plusieurs milliers de personnes ont progressivement rejoint les opposants.
Arrivés plus tard sur les lieux, des candidats à l'élection présidentielle semblent avoir négocié avec le pouvoir la possibilité d'une manifestation pacifique qui a eu lieu ensuite sur quatre
kilomètres. Quelque 10 000 personnes ont ainsi marché avant d'être à nouveau stoppées par les policiers et les gendarmes au... rond-point de la Démocratie.
Dans ce cortège, criant "On veut le changement !", "Ali démission ! " ou "Ali dictateur
!", se sont retrouvés les concurrents d'Ali Ben Bongo qui sont aussi les principales figures politiques du Gabon, comme Paul Mba Abessole, ancien prêtre et opposant de choc
rallié à Omar Bongo dont il était ministre, et Pierre Mamboundou, jadis exilé et menacé, qui n'a jamais participé à un gouvernement mais s'était récemment rapproché du pouvoir.
Zacharie Myboto, ancien compagnon et ministre d'Omar Bongo, passé dans l'opposition en 2005, côtoyait Bruno Ben Moubamba, opposant franco-gabonais contempteur des "biens mal
acquis". Ont défilé également l'ancien premier ministre et ministre Casimir Oyé Mba et l'ex-ministre de l'intérieur André Mba Obame.
La situation de MM. Mba Abessole, Oyé Mba et Mba Obame symbolise l'injustice qu'entendaient dénoncer
les manifestants. Ces trois personnalités ont été exclues du gouvernement le 22 juillet après avoir annoncé leur candidature à la présidentielle, alors que M. Ben Bongo, lui aussi en course, a
été reconduit dans ses fonctions.
De passage à Paris le 29 juillet, Casimir Oyé Mba, ancien chef du gouvernement et ministre du pétrole dans
le gouvernement sortant, a estimé que le Gabon se trouvait "dans une situation extrêmement délicate et dangereuse". Il a estimé que "le
maintien (de M. Ben Bongo) au ministère de la défense (...) entame la crédibilité du scrutin". M. Oyé Mba a aussi fait état d'un "énorme
problème" avec les listes électorales, où figurent, selon lui, des électeurs décédés.
Principale cible de ces attaques, la formation de M. Ben Bongo, le Parti démocratique gabonais (PDG), fondé par son père, a estimé que la question de son maintien au gouvernement était un
"faux débat". Le PDG s'est défendu en rappelant qu'"aucune disposition ne disqualifie les candidats à l'élection présidentielle pour siéger au
gouvernement".
Il est vrai que pendant les quarante et un ans de règne de Bongo père, pareille question ne se posait pas, le président sortant étant d'office le candidat naturel du PDG et, finalement, l'éternel
élu.
"Nous voulons la transparence électorale. Cette fois-ci, les Gabonais ne veulent pas qu'on leur vole leurs
urnes", déclarait ainsi Yolande Bazegue, l'organisatrice d'un rassemblement qui s'est tenu, vendredi, devant l'ambassade à Paris.
Toute la question posée par le scrutin du 30 août est précisément de savoir dans quelle mesure il va rompre avec les traditions totalitaires ancrées au Gabon avec la bénédiction de la France
depuis près d'un demi-siècle, autrement dit depuis l'indépendance de 1960.
Philippe Bernard
Article paru dans l'édition du 09.08.09
Gabon : Les premiers faux-pas de l'«après Bongo»
Deux mois après le décès du président Bongo Ondimba, les premiers signes de déstabilisation sociale sont
apparus le 7 août dernier à Libreville, avec les violents affrontements entre les forces de l'ordre et les manifestants qui réclamaient la démission du gouvernement du candidat du parti au
pouvoir, le ministre de la Défense nationale Ali Bongo Ondimba. L'intervention sur le terrain des leaders politiques de l'opposition aura permis d'apaiser la tension, et la marche pacifique aura
finalement eu lieu.
«La paix et la cohésion nationale» sont-elles en danger ? Au lendemain de la mort d'Omar Bongo
Ondimba le 8 juin dernier, la Nation entière s'unissait autour de ce précieux héritage, chacun allant de sa profession de foi pour préserver ces valeurs. C'était il y a tout juste deux
mois.
Depuis quelques semaines, à mesure que grandit l'opacité du processus électoral, la cohésion nationale semble s'effriter inexorablement avec l'apparition de nouvelles frontières régionales,
certes virtuelles, qui épousent les zones d'influences des différents candidats. Des frontières tracées avec les marqueurs ethniques qui soulignent le repli identitaire, à la fois comme norme de
sociabilité et puissant combustible pour la course au fauteuil présidentiel.
La paix quant à elle a eu les premiers coups de boutoir le 7 août dernier, avec les violents affrontements qui ont opposés les forces de l'ordre et des manifestants au quartier Rio, à Libreville
qui ont répondu à l'appel de la coalition de 8 candidats à l'élection présidentielle qui demandent le départ du gouvernement du ministre de la Défense, Ali Bongo Ondimba, candidat du parti
au pouvoir.
La foule a été dispersée, dans la matinée, par une violente répression policière qui a attiré les foudres des manifestants dont le nombre grandissait à mesure que les grenades lacrymogène
explosaient. Un des émeutiers roué de coups par les forces de l'ordre se serait évanoui, le visage en sang. Les policiers l’auraient placé dans leur camion, provoquant un sursaut de colère de la
foule qui l'aurait pris pour mort.
L'arrivée sur le terrain des candidats de l'opposition Pierre Mamboundou (ACR/UPG), Zacharie Myboto
(UGDD), Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé (CDJ), Luc Bengone Nsi (Morena),Robert Marcel Tchorere(Cercle Omega), ainsi que les indépendants Casimir Oyé
Mba (ex-PDG), André Mba Obame (ex-PDG), Claudine Ayo Assayi, Bruno Ben Moubamba, et Paul Mba Abessole (RPG, majorité), a finalement permis d'apaiser la
tension et d'obtenir le feu vert pour la marche. On peut tout de même se demander pourquoi les organisateurs de cette manifestation n'ont pas fait l'effort de l'encadrer dès le début, ni prévu de
service d'ordre compétent.
«La réaction de la police a été très violente, démesurée», s'est insurgé monsieur Bourdès
Ogouliguendé, porte-parole des candidats présents, qui sont parvenus à négocier avec les forces de l'ordre le transport à l'hôpital des blessés et l'escorte de la marche jusqu'au
rond-point de la Démocratie.
«Nous avons calmé la situation mais nous continuons à demander la démission d'Ali Bongo, il ne peut être
ministre et candidat. Nous réclamons aussi le nettoyage des listes électorales afin que nous ayons des élections justes et transparentes», poursuit le porte parole des
candidats.
Entre 5 000 et 6 000 personnes ont finalement suivi la procession d'où fusaient de virulents slogans : «On
a supporté le père, on ne veut pas du fils. Si on ne nous écoute pas, on va tout brûler !» ; «On veut le changement !» ; «Ali démissionne !» ; «Ali dictateur
!», scandait le cortège.
Le ministre de la Communication, Laure Olga Gondjout, avait rappelé la veille dans une déclaration spéciale
que «l’organisation de toutes les réunions publiques est assujetties à l’autorisation préalable du ministre de l’Intérieur et non à une simple information».
Jusqu'ici, aucune réaction concrète n'a été donnée par les autorités, qui brandissent dans leur mutisme l'absence de dispositions légales quant au statut d'un ministre-candidat. Mais dans une
période où les équilibres sont aussi fragiles, on pourrait espérer que les autorités privilégient le dialogue social pour préserver la paix et surtout mener la transition à bon port.
A trois semaines de l'élection présidentielle du 30 août, les autorités chargées de la transition doivent lancer des signaux forts à la population pour panser la cohésion nationale et préserver
la paix, comme elles l'avaient si solennellement promis il y a tout juste deux mois.
08-08-2009 Source : Gaboneco.com