
LE MONDE | 27.08.09 | 15h38 • Mis à jour le 27.08.09 | 15h53
Pour la première fois de leur histoire, les électeurs gabonais devraient pouvoir désigner, dimanche 30 août, le
président de la République de leur choix. Moins de trois mois après la mort d'Omar Bongo, qui régna sans partage pendant quarante-deux ans avec la bénédiction de la France, les 800 000
électeurs de ce petit pays pétrolier iront aux urnes pour choisir son successeur parmi pas moins de 23 candidats, dont 3 femmes.
Habitués à une série de plébiscites orchestrés par le pouvoir, parfois au prix d'une fraude manifeste, ils avaient
fini par déserter les scrutins.
La ruée sur les listes électorales observée à la mi-juillet, pendant leur courte réouverture, a confirmé
l'engouement pour cette élection présidentielle. "Avant, on payait les gens pour qu'ils aillent se faire inscrire. Cette fois, les gens se sont levés spontanément,
remarque Dieudonné Minlama Mintogo, de l'Observatoire de la démocratie, une association qui se veut l'expression de la société civile. Depuis la mort de Bongo, ils se disent que
c'est le moment de se réveiller."
Cette fois en effet, il s'agit non pas de renouveler le sempiternel mandat d'Omar Bongo, mais de lui
trouver un successeur et, au-delà, de répondre à la question : une élection libre est-elle possible au Gabon ? Le "système Bongo" continuera-t-il de contrôler les richesses du pays (pétrole,
bois, manganèse) et la répartition des revenus qu'elles procurent ? La France, présente notamment avec le groupe pétrolier Total, restera-t-elle neutre ? Autant de questions qui taraudent les
Gabonais.
Le vote de dimanche, ouvert comme aucun ne le fut, est d'autant plus crucial que l'élection, à un seul tour,
autorise la victoire d'un candidat avec un faible score.
Il est encore renforcé par la tournure prise par une campagne électorale où Ali Ben Bongo, 41 ans, le fils
du président disparu, apparaît en majesté, seul contre tous, disposant de leviers politiques et de moyens financiers sans commune mesure avec ses adversaires. Ses affiches dominent largement la
campagne et il est le seul à sillonner le Gabon en hélicoptère, avantage décisif dans un pays largement dénué de routes. Il contrôle une chaîne de télévision privée - Télé Africa - tout comme son
ancien ami aujourd'hui adversaire, André Mba Obame, avec TV+.
Si les candidats sont nombreux, les véritables opposants sont rares. Parmi les deux principaux concurrents
d'Ali Ben Bongo figurent deux anciens premiers ministres de son père (Casimir Oyé Mba et Jean Eyéghe Ndong) et plusieurs de ses anciens ministres : Zacharie
Myboto, Paul Mba Abessole, et surtout André Mba Obame, ministre de l'intérieur jusqu'en juillet, longtemps présenté comme le "frère" d'Ali Bongo en
politique.
Seul Pierre Mamboundou, qui se pose en "alternative à un système néocolonial défaillant et
antidémocratique fondé sur la corruption de prédateurs", présente un itinéraire d'opposant opiniâtre, encore qu'il ait esquissé sur le tard un rapprochement avec Omar Bongo. Quant
à Bruno Ben Moubamba, militant contre les "biens mal acquis" et nouveau venu sur la scène politique, il poursuit une grève de la faim à Libreville depuis le 15 août pour dénoncer
"un coup d'Etat électoral".
Ecoles, hôpitaux, routes, allocations familiales : les candidats rivalisent pour jurer qu'ils réaliseront les
promesses jamais tenues en quatre décennies de régime Bongo. Ali Bongo a choisi trois axes : "paix, partage développement". "Fini avec le favoritisme, fini avec les postes
réservés aux parents ! Place au mérite, place à ceux qui travaillent !", s'est-il exclamé lors d'un récent meeting, en promettant de "punir les corrupteurs et les
corrompus", comme l'avait fait son père en décembre 2007, lorsqu'il avait dénoncé "l'enrichissement illicite" comme principale cause du retard du
Gabon.
MANQUE DE TRANSPARENCE
Si l'ambiance générale est celle d'une campagne électorale populaire animée et sans trop de violence, les
apparences sont trompeuses, dans un pays pauvre où il suffit de distribuer quelques billets de banque et des T-shirts pour remplir un meeting.
D'autres éléments reflètent un manque de transparence et des irrégularités, alimentant des tensions qui pourraient
s'aggraver d'ici au vote et surtout après la proclamation des résultats.
Les adversaires du fils Bongo se retrouvent pour dénoncer les "trucages flagrants" dans la constitution du corps électoral. Ils soulignent l'étrangeté, pour un pays jeune
de 1,3 million d'habitants, étrangers compris, de compter plus de 800 000 électeurs. "Tous les candidats qui ont appartenu au gouvernement disposent d'un énorme avantage : ils avaient mis
à profit les législatives de 2006 pour battre le rappel de leurs partisans et les inscrire sur les listes électorales", indique un responsable politique. De nombreux Gabonais
admettent qu'ils sont inscrits "à la fois au village et en ville".
Le ministre de l'intérieur lui-même a reconnu l'existence de 120 000 "doublons". L'argument de la fraude nourrit
le slogan de l'opposition selon lequel Ali Bongo, impopulaire, "ne peut pas se faire élire à la régulière", comme l'a répété Casimir Oye Mba,
mercredi sur Radio France Internationale (RFI).
Anticipant implicitement l'annonce d'une victoire de M. Bongo, ses adversaires agitent la menace de
manifestations dans cette hypothèse. "Nous saurons défendre notre victoire, y compris dans la rue", prévient Paul Mba Abessole, tandis que Pierre
Mamboundou estime que "toutes les conditions de la contestation des résultats sont réunies".
L'avocat Robert Bourgi, conseiller officieux de Nicolas Sarkozy et chaud partisan de son client Ali Bongo, dont la victoire à ses yeux ne fait aucun doute, pronostique aussi
dans tous les cas de figure "des violences contre les Français et leurs intérêts".
Officiellement, cette stratégie de la tension n'inquiète pas l'Elysée. "Depuis la mort d'Omar
Bongo, tous les Cassandre se sont trompés, souligne-t-on dans l'entourage de Nicolas Sarkozy. La campagne se passe dans un bon climat et la France observe une
stricte neutralité." L'effectif des soldats de la base française de Libreville, prend-on le soin de préciser, n'a pas été renforcé.
Philippe Bernard
Les précédentes élections présidentielles
1961 Léon M'Ba, candidat unique à la présidence du Gabon.
Mars 1967 Alors que M. M'Ba est hospitalisé à Paris, un simulacre d'élection donne 99,5 % des voix à un "ticket" où Omar Bongo (alors prénommé Albert-Bernard) est
candidat à la vice-présidence. Moribond, M. M'Ba prête serment à l'ambassade du Gabon en France avec M. Bongo.
28 novembre 1967 Léon M'Ba meurt ; Omar Bongo est président à 32 ans.
1968 Omar Bongo supprime le multipartisme et crée le Parti démocratique gabonais (PDG).
1993 Première élection présidentielle pluraliste. Omar Bongo est déclaré élu avec 51,07 % des suffrages, contre 27,48 % au Père Paul M'Ba Abessole.
1998 Omar Bongo est proclamé élu avec 66,55 % des voix devant Pierre Mamboundou (16,54 %) et M. M'Ba Abessole (13,41 %).
2005 M. Bongo est proclamé élu avec 79,21 % des suffrages. L'opposant Pierre Mamboundou est crédité de 13,57 % des suffrages et Zacharie Myboto de 6,58 %.
Article paru dans l'édition du 28.08.09
Réaction d’un internaute : « Il suffit de consulter la presse (Jeune Afrique
l’intelligent...) et les chaînes de télévision privées émettant sur le câble en France (télésud notamment) pour réaliser qu’Ali Bongo n’a pas lésiné sur les moyens financiers pour parvenir à ses
fins: perpétuer par la fraude électorale, l’achat des consciences et la terreur policière... le système crapuleux et tyrannique légué par Omar Bongo au Gabon. Y parviendra-t-il? une partie de la
réponse se trouve à l’Elysée. Le pire est à venir au Gabon... »