Ouest-France mercredi 02 septembre 2009
A Libreville, la Commission électorale (CENAP) vient de commencer la réunion de synthèse au terme de laquelle elle
devrait proclamer les résultats officiels de l’élection présidentielle de dimanche dernier.
« Nous sommes rassemblés autour du siège de la Commission pour éviter que la Commission ne soit investie
par la force et qu’on l’oblige à donner des résultats falsifiés », a expliqué, au téléphone, Pierre Mamboundou, l’opposant qui revendique la victoire avec 39,8 % des voix, devant
Ali Bongo (28 %) et André Mba Obame (27 %). « Les soldats sont tout autour, dans toutes les rues adjacentes »
Ces militaires, qu’on avait vu un peu plus tôt quitter les artères principales de la ville, se sont donc massés
autour du siège de la CENAP. S’agit-il de le protéger en assurant une mission de maintien de l’ordre ? S’agit, comme l’affirment les opposants, de tenter un coup de force ?
Si cette deuxième hypothèse devait se vérifier, il est clair que des affrontements avec les manifestants seront inévitables.
"Il y aura des mauvais perdants"
« Quel que soit le nom du nouveau chef de l’Etat, il y aura des mauvais perdants, expliquait, hier après-midi, un fonctionnaire gabonais. Si c’est Ali Bongo qui est élu, les militants de l’UPG ou
les jeunes Fang qui soutiennent André Mba Obame vont descendre dans la rue. Si Ali ne l’emporte pas, son camp risque de tenter un coup de force ».
Les plus virulents des militants anti-Bongo ont d’ailleurs appelé à une paralysie du pays en cas d’annonce d’une victoire d’Ali Bongo. Coupure des lignes électriques, mise en place de barrages
dans les rues, préparation de cocktails Molotov pour riposter aux forces de l’ordre : le spectre des actions envisagées était à la mesure de la détermination des opposants à rompre avec 42 années
de règne Bongo.
Est-ce que le Gabon peut s’embraser ce soir ?
France24.com
Les résultats de la présidentielle gabonaise devraient être annoncés tard dans la soirée. L'un de nos Observateurs
dans le pays nous explique que les trois jours qui ont séparé le vote de l'annonce des résultats ont pu donner l'occasion de commettre des fraudes. Il s'inquiète par ailleurs des violences qui
pourraient surgir après l'annonce de ce soir.
Nicaise Moulombi est le président de l'ONG Croissance saine environnement. Il vit à Libreville.
Il est vrai qu'il aurait été difficile d'annoncer les résultats de l'élection plus rapidement. Le Gabon est un pays assez vaste, avec neuf provinces, et où les infrastructures de transports ne
sont pas bonnes. Il faut donc du temps pour que les résultats arrivent à Libreville. Et puis il y avait 18 candidats et 4 000 bureaux de vote : le dépouillement est forcément
long.
Mais trois jours avant d'annoncer les résultats, cela laisse le temps de distribuer des 'sandwichs chargés'.
C'est-à-dire de verser des pots-de-vin à ceux qui transmettent les procès-verbaux. Pourquoi n'a-t-on pas communiqué les tendances par province pour rassurer les citoyens sur le fait que
l'élection se déroule sans fraude ? Mon inquiétude, c'est que des fraudes soient commises lors de la transmission des résultats au niveau national. Mais il est vrai que, cette fois, les
candidats avaient anticipé les tripatouillages possibles. Ils avaient demandé à leurs équipes de leur faire parvenir les photos des PV de dépouillement en province. Il sera donc plus difficile de
falsifier les résultats à Libreville.
La situation est très tendue ici et il va falloir que les trois principaux candidats contrôlent leurs militants au
moment de l'annonce des résultats. Je pense qu'ils devraient se parler dès maintenant et qu'ils adoptent une position commune pour éviter l'embrasement. J'espère qu'ils ne feront pas passer leurs
intérêts individuels avant l'intérêt du peuple gabonais.
Marc Ona, héros de la société civile, fustige la "mascarade" électorale au Gabon
LE MONDE | 02.09.09 | 14h29 • Mis à jour le 02.09.09 | 16h30
Libreville Envoyé spécial
A quelques heures de la publication des résultats de l'élection présidentielle gabonaise, Marc Ona est en alerte.
"Si on proclame la victoire d'Ali Bongo, ce sera un mensonge. Le clan Bongo est prêt à tout pour conserver ses privilèges, et ça risque de se passer mal", lançait, mardi 1er septembre,
cette figure de proue de la société civile – militant de la transparence des revenus pétroliers, défenseur de la forêt tropicale et pourfendeur des "biens mal acquis".
L'"homme de paix" qu'il dit être ne masque pas son inquiétude. Dans une ville livrée à d'incessantes
rumeurs aussi alarmantes qu'invérifiables, où les Cassandre ressemblent souvent à des pyromanes stipendiés, l'avertissement serait à négliger s'il ne venait pas d'une des rares personnalités dont
les proclamations d'indépendance ne prêtent pas à sourire.
Alors que le pays s'est mobilisé dimanche pour participer au premier scrutin ouvert de son histoire, ce père de
famille de 46 ans, qui dit se battre pour la démocratie, n'a pas été voter. "Je n'ai pas voulu jeter ma voix dans cette mascarade", explique-t-il, en stigmatisant l'organisation
précipitée du scrutin, les listes électorales gonflées, l'énorme déséquilibre financier et médiatique, ainsi que la fraude.
"CONSCIENCES ENDORMIES"
Aucun des trois principaux candidats ne trouve grâce aux yeux de Marc Ona. Ni André Mba Obame, ancien ministre de
l'intérieur, "un fin démagogue qui ose demander pardon dans ses meetings pour ce qu'il a fait sous Bongo". Ni Pierre Mamboundou, "un homme à l'ego surdimensionné, pris en otage par
les Eglises pentecôtistes". Ni surtout Ali Bongo, "cet arrogant qui croit avoir tous les droits sous prétexte qu'il est le fils d'Omar Bongo".
Un rejet général qui reflète la difficulté, pour un pays sortant de quatre décennies d'un régime expert en débauchage d'opposants, à générer des hommes politiques intègres. "Pendant quarante-deux
ans le "bongoïsme" a pillé le pays, confisqué les libertés, endormi les consciences, résume-t-il. Nos dirigeants sont incapables de choisir entre les affaires et la politique."
L'homme qui joue ainsi les procureurs n'a rien d'un provocateur. Mais il entend tenir le rôle de "trouble-fête".
En l'écoutant et en le regardant, on est tenté de relier sa défense des libertés au combat d'un homme qui a perdu l'usage de ses jambes à la suite d'une polio contractée à l'âge de 6 ans, et se
trouve cloué dans un fauteuil roulant. Mais qui, à force de dextérité, relève le défi qu'il s'est donné : "Faire oublier à mes interlocuteurs qu'ils ont un handicapé en face d'eux."
Le handicap, lui, ne l'a pas oublié, marquant chaque étape de sa vie. Son enfance, avec un père, petit cultivateur
de cacao, qui le portait pour l'emmener en classe. Sa scolarité d'élève méritant dans une des meilleures écoles de Libreville. Son renoncement au métier d'avocat, la faculté de droit n'étant pas
accessible à son fauteuil. "Je passe ma vie à relever des défis", glisse ce chrétien non pratiquant en souriant derrière d'épaisses lunettes.
Dès la fin des années 1990, Marc Ona comprend le rôle que va jouer Internet dans le débat politique. Employé par l'ONU, il anime un forum sur la gouvernance qui déplaît aux autorités gabonaises.
Alors que les organisations non gouvernementales (ONG) peinent à trouver à Libreville des relais fiables et indépendants, il multiplie les engagements. Président de l'ONG environnementale
Brainforest, Marc Ona a mis sur la place publique en 2007 le contrat léonin accordé à un consortium chinois pour l'exploitation de la mine de fer de Bélinga, et obtenu la révision de ce projet,
aujourd'hui suspendu.
Avec la coalition "Publiez ce que vous payez", il a révélé le montant des recettes que le Gabon tire de
l'exploitation pétrolière. Et soutenu la plainte en cours d'examen à Paris, destinée à obtenir la restitution à l'Etat gabonais des appartements parisiens dont plusieurs membres de la famille
Bongo - dont Ali - sont propriétaires.
Philippe Bernard