Par Maître ZARAMBAUD
Assingambi
Dans un Pays de droit comme la RCA s'enorgueillit de l'être, les violations de la Constitution et de la loi perpétrées par l'Etat
doivent être portées devant les juridictions et autres institutions prévues à cet effet. Le combat politique doit s'appuyer fermement sur le droit.
Ainsi, récemment, en France, l'opposition a saisi le conseil constitutionnel en inconstitutionnalité de la loi portant « taxe
carbone » et elle a obtenu satisfaction. De même, en Argentine, le Directeur de la Banque Centrale, limogé par la Présidente de la République, a été rétabli dans ses fonctions par la
Justice.
En Centrafrique, l'opposition semble avoir choisi de mener le combat politique sans s'appuyer constamment sur le droit. Lorsque la
Constitution, les lois et les règlements sont violés, elle se contente généralement de publier des communiqués qui ne peuvent être lus que par une poignée de personnes, dans ce Pays où 95% de la
population est analphabète.
Dans ces communiqués, l'opposition « exige» que les dispositions prises en violation de la Constitution, des lois et règlements
soient annulées par - - - le Pouvoir lui-même. Elle sait pourtant pertinemment que le Pouvoir n'en fera rien et rira sous cape en se disant que « les chiens aboient, la caravane passe». Au mieux,
le Pouvoir traînera les pieds et finira par obtenir que la poire soit coupée en deux.
Ainsi, alors que les élections présidentielle et législatives approchent à grands (ou petits) pas, l'opposition n'a toujours pas accès
aux médias d'Etat, en violation de la loi sur le libre accès des Partis politiques aux médias d'Etat. Elle est par contre brocardée et insultée à longueur de journées par les animateurs des
émissions KNK « yé so é lingbi ti inga» et « A cœur ouvert », sans qu'elle ne tente d'obtenir en justice d1exercer son légitime droit de réponse. « A
cœur ouvert» rétorquera peut être qu’elle nia jamais insulté personne, comme si traiter ceux qui formulent des critiques de « sioni moléngués ti kodro so
a yé ti bi woussou-woussou » n’est pas une injure.
Dès lors, comment l'opposition peut-elle faire connaître ses propositions d'alternance à tout le peuple, auquel seule la Radio
Centrafrique permet d'accéder sur toute l'étendue du territoire, dans la seule langue que l'ensemble de ce Peuple comprend, à savoir le sango ? Certes l'opposition; notamment le MLPC ZIGUELE,
ratisse le terrain, mais cela ne saurait exclure la propagande sur les ondes, ni d'ailleurs les grandes marches pacifiques et les grands meetings, qui galvanisaient le Peuple de Bangui
naguère.
Ainsi encore, après l'installation illégale des Comités locaux de la CEI (Commission électorale indépendante) et la nomination tout
aussi illégale et même inconstitutionnelle de délégations Spéciales monocolores KNK en vue de verrouiller les élections, l'opposition s'est limitée à suspendre sa participation à la CEI et à «
exiger» du Pouvoir la dissolution de tous les Comités locaux, d'Ambassades et de Consulats, de même que « la dissolution des Délégations spéciales nommées en violation des recommandations du
Dialogue Politique Inclusif ». Cette réaction est politiquement correcte, mais elle risque de ne pas atteindre intégralement son but si elle n'est pas accompagnée d'une action en justice.
A la limite, cette prise de position pourrait arranger le Président de la République et son écrasante majorité à l'Assemblée
Nationale; ils trouveront sans doute là une occasion inespérée de garder le Pouvoir sans élections, à la GBAGBO, qui plus est, avec la bénédiction de l'opposition. D'ailleurs l'opposition semble
se résigner ~ subir ce scénario catastrophe, si l'on en croit sa déclaration selon laquelle la date des élections peut être prorogée. Si tel est le cas, y aura - t - il une Présidence de la
République collective comme' à l'issue du mandat de l'ex-Président KOLINGBA?
Il n'en n'aurait pas été ainsi si l'opposition avait saisi en son temps le Tribunal Administratif pour obliger le Ministre de
l'Intérieur à procéder à la révision et à l'affichage des listes électorales chaque année, du 1 er Décembre au 31 Mars comme prescrit par le Code électoral. Il en résulte qu'à ce jour, le
recensement électoral n'a 'pas encore été effectué et que, subséquemment, les listes électorales n'ont pas été établies et affichées, ni les cartes électorales imprimées et distribuées. Combien
de temps faudra-t-il pour que toutes ces opérations soient achevées? Nul ne le sait, Combien de temps faudra-t-il pour que le contentieux des inscriptions sur les listes électorales et le
contentieux des candidatures soient purgés? Nul ne le sait non plus.
Autant dire, comme je le craignais dans des articles publiés dans ces colonnes, que le futur Président de la République ne sera pas
proclamé élu ou réélu à l'issue d'un probable deuxième tour du scrutin quarante cinq (45) jours au moins avant la fin du mandat de l'actuel Président de la République, soit au plus tard le 27
Avril 2010, comme prescrit par l'article 24 alinéa 4 de la Constitution. Le Président BOZIZE a en effet prêté serment le 11 Juin 2005, de sorte que son mandat expire le 10 Juin 2010 à minuit.
'
Cependant, comme les Députés ont été installés le 3 Juin 2005 et que leur prochaine élection doit avoir lieu en même temps que celle
du nouveau Président de la République et quarante cinq (45) jours avant le 3 Juin 2010, le nouveau Président de la République et les nouveaux Députés doivent avoir été proclamés élus ou réélus à
l'issue d'un probable deuxième tour au plus tard le 19 Avril 2010.
En ce qui concerne l'élection des conseils municipaux, elle ne relève pas seulement d'une simple recommandation politique et non
juridiquement contraignante du Dialogue Politique Inclusif. Elle est prévue tant par la Constitution que par l'ordonnance n° 88. 006 du 12 Février 1988 et par la loi n° 92. 007 du 26 Mai 1992 qui
a modifié certaines dispositions de cette ordonnance.
Article 102 de la Constitution: « Les collectivités territoriales de la République Centrafricaine sont les régions et les communes.
Elles ne peuvent être créées et modifiées que par la loi - - - Les collectivités territoriales s'administrent librement par des organes élus - - - ».
Article 111 de la Constitution: «Les institutions prévues par la présente Constitution seront mises en place dans les douze (12) mois
qui suivent l'entrée en vigueur de celle-ci».
Article 21 de l'Ordonnance: « En cas de dissolution d'un Conseil Municipal ou de démission de tous ses membres en exercice, une
délégation spéciale en remplit les fonctions.
Dans les huit jours qui suivent la dissolution ou l'acceptation de la démission, cette délégation est nommée par Décret du Président
de la République sur proposition du Ministre de l'Intérieur.
- (Alinéa 3 nouveau) : Le nombre des membres qui la composent est fixé à trois (3) dans les communes ne dépassant pas 15.000
habitants. Ce nombre peut être porté dans les villes de 15 001 habitants à quatre (4) membres par tranches de 100 000 habitants jusqu'à une population de 400 000 habitants, et dans les Communes
de plus de 400 000 habitants, cinq (5) par tranche de 100 000 habitants.
En aucun cas, il ne lui est permis d'engager les finances municipales au delà des ressources disponibles de l'exercice courant. Elle
ne peut ni préparer le budget communal, ni recevoir les comptes du maire ou de Receveur »
Article 22 modifié par la loi du 25/5/92: «Toutes les fois que le Conseil Municipal a été dissout ou que, par application de l'Article
précédent, une Délégation Spéciale a été nommée, il est procédé à la réélection du Conseil Municipal dans les trois mois à dater de la dissolution ou de la dernière démission, à moins que l'on ne
se trouve dans les six mois qui précèdent le renouvellement général des Conseils Municipaux, ou que le Décret nommant la délégation Spéciale n'en dispose autrement ».
Il s'ensuit que les décrets n°s 09.427 du 28 Décembre 2009 et 09.433 du 31 Décembre 2009 portant nomination des Présidents et membres
des Délégations Spéciales auprès des Communes «en attendant les élections municipales}) sont nuls et de nul effet. Ils le sont d'une part parce que les mandats des précédentes Délégations ont
expiré depuis plusieurs années, d'autre part parce que certaines Délégations comportent plus de membres que prévu, et enfin et surtout parce que la Constitution du 27 Décembre 2004 a prévu la
mise en place de toutes les institutions dans le délai d'un an à compter de sa date. Les collectivités territoriales, à savoir les régions et les communes, font partie de ces institutions.
Plus de 4 ans après l'entrée en vigueur de la Constitution, l'argument selon lequel les élections municipales n'ont pas été organisées
parce qu'il manquerait des fonds est inopérant. Respecter scrupuleusement la Constitution est une obligation de résultat, un impératif catégorique, pour reprendre le mot du philosophe allemand
KANT.
En effet, avant d'entrer en fonction, le Président de la République prête serment devant la Cour Constitutionnelle et «jure devant
Dieu et devant la Nation d'observer scrupuleusement la Constitution - - - ». Or, aux termes de l'article 96 de ladite constitution, «Le Président de la République n'est responsable des actes
accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Sont notamment considérés comme crimes de haute trahison: la violation du serment, les homicides politiques, l'affairisme,
toute action contraire aux intérêts supérieurs de la Nation ».
Ne pas mettre en place des institutions dans le délai prévu par la Constitution, c'est ne pas respecter scrupuleusement la
constitution; c'est donc se rendre coupable du crime de haute trahison.
Il n'est pas inutile de relever que ces décrets constituent un record
négatif en matière de phallocratie; ils ne comportent qu'un nombre insignifiant de femmes (137 sur 925, soit 14,81 % seulement) ; leur record est cependant pulvérisé par la CEI, dont les
commissions ne comportent strictement aucune femme. Qu'en pensent Madame la Première Dame, Mesdames les Ministres, "Madame la Présidente de l'OFCA; les femmes juristes et autres?
Les Partis politiques de l'opposition et les associations de défense des droits humains (terme préférable à celui de droits de
l'homme, pour combattre la .phallocratie), ces Partis et associations auraient-ils décidé une fois de plus de laisser un simple citoyen saisir la justice en leur lieu et place, sans lui apporter
aucun soutien?
Espérons que non. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.
En ce qui me concerne, comme je l'avais annoncé, j'ai fait assigner le Directeur de Radio Centrafrique et les deux animateurs de
l'émission « yé so é lingbi ti inga » à l'audience des référés du tribunal de BANGUI du 15 Janvier 2010. ils ont demandé et obtenu un renvoi au 29
Janvier 2010 pour constituer avocat. Le référé est une procédure d'urgence. J'espère vivement que le juge des référés leur enjoindra sous astreinte de m'autoriser à exercer de vive voix mon droit
de réponse dans leur émission.
Une décision favorable du juge des référés aurait 3 importantes conséquences: renforcer l'Etat de droit en réaffirmant la nécessité de
débats contradictoires en lieu et place des monologues ronronnants flagornants et injurieux, contraindre les animateurs de l'émission « yé so é lingbi ti inga » et de toutes autres émissions à ne
plus s'en prendre impunément aux citoyennes et citoyens sans fondement, encourager les Partis politiques à saisir la justice lorsqu'ils sont mis en cause et le Haut Conseil de la Communication à
sortir de son hibernation pour enfin faire son travail de régulation, de moralisation et de respect de la déontologie.
Il est donc à souhaiter que le juge des référés ne botte pas en touche par une décision d'irrecevabilité ou d'incompétence. Au cas où
les adversaires soulèveraient une irrecevabilité, la procédure serait régularisée avant que le juge ne statue, conformément à l'article 114 du code de procédure civile. Si c'est l'incompétence
qui est soulevée, les adversaires devront indiquer la juridiction qui est compétente selon eux, conformément à l'article S2 du code de procédure civile; cette juridiction serait saisie si, ce
qu'à Dieu ne plaise, le juge des référés accueille l'exception. En d'autres termes, tout sera légalement mis en œuvre pour qu'il y ait une décision de justice sur le droit de réponse.
Dieu merci, le juge des référés est un juge qui rend des décisions dans des délais raisonnables lorsqu'il est saisi. Ce n'est
malheureusement pas le cas pour le Tribunal Administratif qui, malgré de nombreuses lettres de relance, n'a rendu aucune décision à ce jour sur la requête du Journal Le Citoyen en date du 14
Janvier 2009 en annulation de la décision de sa suspension illégale par le Haut Conseil de la Communication.
Pourtant il y avait extrême urgence et conclusions expresses afin de sursis à exécution. Le Journal a donc entièrement subi la
suspension; de sorte qu'une décision du tribunal administratif favorable serait sans effets en ce qui concerne la suspension, sauf pour le Journal à demander des dommages-intérêts par une autre
procédure qui durerait on ne sait combien de temps.
C'est aussi le cas et c'est pire pour le Général Guillaume Lucien NDJENGBOT qui, après sa
libération, a saisi le Tribunal Administratif par requête en date du 8 Novembre 2006 en paiement de la valeur de ses effets saisis et détournés, dont un véhicule, sans obtenir aucune décision à
ce jour.
La lenteur est certes une qualité de la justice, mais elle ne doit pas se muer en enlisement, voire en déni de Justice.
S’agissant des décrets de nominations des Présidents et membres des délégations Spéciales des Communes, ainsi que des décisions
unilatérales et illégales du Président de la CEI, si les Partis politiques de l'opposition ne se décident pas à saisir la justice, un simple citoyen le fera.
La liberté ne se donne ou ne se quémande pas. Elle s'arrache. Légalement et pacifiquement. La démocratie n'est pas un long fleuve
tranquille. C'est un combat pacifique, mais acharné et quotidien. La victoire, qui ne doit plus être au bout du fusil comme du temps du Président MAO, n'est jamais définitive.
Les démocrates sincères doivent donc être patients, toujours vigilants, ne jamais baisser la garde ni dormir sur leurs lauriers, et
user systématiquement de toutes les voies légales pour préserver leurs acquis et engranger de nouvelles conquêtes démocratiques.
En particulier, lorsque la Constitution, les lois et règlements sont violés, en sus du légitime combat politique, les démocrates
sincères doivent oser saisir le Pouvoir judiciaire et le mettre devant ses responsabilités, en vertu de l'article 81 de la Constitution qui dispose : "Le Pouvoir Judiciaire, gardien des libertés
et de la propriété, est tenu d'assurer le respect des principes consacrés comme bases fondamentales de la société par la présente Constitution ».
L'avenir de notre jeune et balbutiante démocratie..
Maître ZARAMBAUD Assingambi.
Bangui, le 15 Janvier 2010