(Bakchich 01/06/2010)
1ère journée du fast-sommet Afrique France à Nice. Des journalistes
parqués, un Sarkozy fessé et des Africains un peu désabusé par les mic-mac français. Récit de notre
envoyé spécial sur la promenade des Anglais.
Attaque d’Israël contre une flottille humanitaire, démission du président
allemand, polémique après les propos de Martine Aubry… Si l’actu avait voulu tuer le 25ème sommet Afrique France de Nice, elle ne s’y serait
pas pris autrement. Et la rencontre, au moins dans son atour officiel n’a rien de franchement engageant.
Après avoir déjà bloqué Nice durant tout le week-end, procédure d’entraînement
oblige, poulets et pandores ont récidivé. Le centre ville bloqué et nettoyé, pas une place sans son lot de CRS et de gendarmes mobiles, pas une artère du Vieux Nice déparé de son cortège de
bleus. Les 38 chefs d’Etat et cinq chefs de gouvernement sont bien escortés. Les flics lâchent rarement les Africains…
Au grand dam des si aimables chauffeurs de taxis, débriefés par des confrères en
ballade. « Franchement accueillir ces noirs qui viennent mendier alors qu’ils ont plein d’argent, on n’avait
pas besoin de ça ». Charmante litanie, comme un écho aux déclarations d’un certain Nicolas Sarkozy en 2006, qui de son fort Intérieur clamait que « la France n’avait pas besoin de l’Afrique ».
Sarko ne connait pas l’Afrique. A croire que le bonhomme a pris quelque hauteur depuis son accession à l’Elysée. Fini le temps des bannis, de l’homme africain qui
« n’est pas assez entré dans l’histoire », ce fainéant ! Désormais « l’Afrique est notre avenir
», s’est même enflammé Sarko Ier dans son discours inaugural du sommet, avant de plaider- si si- pour que l’Afrique ait un
membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU. Voilà une belle empoignade en perspective entre les géants du continent (Afrique du Sud, Algérie, Nigeria), les egos surdimensionnés
(Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville, Abdoulaye Wade du Sénégal, Kagame du Rwanda) et les filous toujours bien placés (Bozizé de Centrafrique, Kabila du Congo-Kinshasa ou Ali Bongo du Gabon).
Zuma fesse
Sarko
Après les accents limite gaulliens, Sarko Ier a tutoyé les bafouilles de Tonton Mitterrand, glosant sur « le déficit de démocratie et
les violations des droits de l’homme ». Satisfecit de Human Rights Watch. L’ONG pond immédiatement un communiqué qui inonde la salle de presse. Fessée publique de la part du président sud
africain Jacob Zuma. Chaleureusement accueilli dans la matinée par Sarkozy, Zumajax
s’émeut dans l’après midi de la présence des juntes militaires nigériennes et guinéennes au conclave niçois. « les inviter signifie une reconnaissance, c’est ainsi que c’est interprété sur le continent », a-t-il tonné sur France 24. Peut-être a-t-il mal
digéré le rapide déjeuner avec Sarko Ier.
Sa déclaration sera le seul piment de la journée pour des journalistes
soigneusement parqués. Du centre de presse à l’Acropolis où se déroulent le discours inaugural, seul accessible aux journalistes, deux passerelles ont été érigées. Histoire de pouvoir admirer
l’impressionnant parc voiturier des officiels de passages ? D’évoquer librement les ponts à jeter entre l’Afrique et la France. Ou de gentiment saucissonner (maitriser) le boulot des
gratte-papiers, étiquetés en pas moins de 7 pools. Comme autant de péchés capitaux ?
Ball-trap
médiatique
Pour 24 heures de sommet l’Elysée joue au ball-trap médiatique. Pool A, Pool B,
Pool C…et jusqu’à l’écoeurement Pool E. Gare à celui qui rate le départ depuis le point presse, interdit d’entrée sans être dument escorté (surveillé) par le Service de protection des hautes
personnalités (SPHP). Au grand étonnement des flics concernés, esbaudi de voir escorter des journalistes. Et au bel amusement des gendarmes mobiles qui tournent sur le Parvis de l’Europe. "Au
moins ils vous considèrent comme des hautes personnalités". Maigre consolation pour le confrère allemand, en retard et bon pour trois allers retours sous le soleil entre les deux passerelles
avant qu’on daigne lui expliquer que le discours est achevé…
« C’est symptomatique de la méthode médiatique Sarkozy. On saucissonne et on décide de l’info qui sort et à
quel moment, témoignent les habitués des rendez-vous françafricains. Pour l’instant c’est black-out ». Et Africa pas encore in…
Les ministres africains rencontrés ne font guère montre d’enthousiasme à l’égard
de ce sommet. « La France n’a pas de ligne, une vision à court terme et ne pense pas, si ce n’est dans les
déclarations, à un partenariat stratégique, peste un ouest-africain. Que l’on parle au Quai d’Orsay, à la cellule Afrique, ou à l’Elysée, le message n’est jamais le même. S’ils veulent laisser le
continent à l’Inde, au Brésil ou à la Chine qu’ils continuent. Mais ce n’est pas vraiment leur intérêt de voir nos ressources exploités par d’autres. »
Si l’homme africain se met à comprendre le sens de
l’histoire…
mardi 1er juin par Xavier
Monnier
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Le dernier président de la
"Françafrique"
(Le Monde 01/06/2010)
IL y a toutes les chances pour que le testament africain de
Jacques Chirac, au final, se limite à une liste de noms. Ceux de dirigeants, d'"amitiés" cultivées avec soin et souvent décriées.
Gnassingbé Eyadéma, El Hadj Omar Bongo Ondimba, Félix Houphouët-Boigny, Mobutu Sese
Seko... La galerie de portraits porte de plus en plus de crêpes, et les derniers aux affaires, le Tchadien Idriss Déby ou le
Camerounais Paul Biya, plus alliés qu'amis, sont assis sur des trônes branlants.
Portée par les relations personnelles mais vieillissantes du président et de ses
émissaires sur le continent, la politique africaine de la France a continué, depuis 1995, de se faire à l'Elysée. Au risque de brouiller le sens de son "amour de l'Afrique", porté en bannière, et
susceptible d'être confondu, pour ses adversaires, avec un opportunisme néocolonial mâtiné d'esprit de bande, au mépris des peuples. Les gages de fidélité donnés jusque dans sa mort au président
togolais Gnassingbé Eyadéma, en entérinant le "coup d'Etat" amenant son fils aux affaires, ont fâché, pour longtemps, la rue togolaise avec
la France et son président.
Il est une amitié africaine qui a compté, de l'avis général, pour M. Chirac, et
celle-ci est morte également. Elle l'unissait à un homme qui fut ministre d'Etat en France avant d'être président de la Côte d'Ivoire, Félix
Houphouët-Boigny. Pour M. Chirac, "le Vieux" constituait un authentique objet d'affection, et le pilier de granit du dispositif
complexe liant la France et ses anciennes colonies, pour lequel il avait du reste forgé un néologisme promis à un bel avenir, la "Françafrique". Dans la Côte d'Ivoire d'Houphouët, M. Chirac, maire de Paris, pouvait, en 1990, déclarer que "le multipartisme est une
sorte de luxe que les pays en voie de développement (...) n'ont pas les moyens de s'offrir".
La dévotion aux "rapports personnels qui, en Afrique, sont tout", comme il le rappelle volontiers, aura été l'un des mauvais génies de sa politique sur le continent,
alors que ses rapports avec le président ivoirien Laurent Gbagbo passaient du médiocre à l'exécrable. Un ambassadeur en poste à Abidjan se
souvient d'une conversation téléphonique entre les deux hommes. "C'était très embarrassant. Chirac le
tutoyait et n'arrêtait pas de lui dire : "Mais qu'est-ce que tu as fait du pays magnifique que le Vieux a laissé, hein, qu'est-ce que tu en as fait ?"."
Jean-Philippe Rémy
Article paru dans l'édition du 13.03.07
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