Charles Massi
est mort. Aucun doute n’est désormais possible : le temps passant, les langues se
délient, des témoins se font connaître, des preuves s’accumulent. L’affaire est grave car ce n’est pas d’un personnage secondaire dans l’histoire de Centrafrique qu’il est question, mais bel et
bien d’un acteur clef de la politique centrafricaine et d’un grand commis de l’État.
Né le 25 juillet 1952 à Baboua, dans la région de Nana-Mambéré, dans l’ouest du pays, non loin de la frontière camerounaise, Charles Massi
était devenu pharmacien-biologiste des armées avec le grade de commandant après ses études à l’École de santé navale de Bordeaux (France). Sa carrière politique commence en 1991, lorsque le
président André Kolingba autorise le multipartisme. Il participe alors à la création du Comité pour l’information et la défense de la
démocratie. En 1993, Ange-Félix Patassé est élu à la présidence et Charles
Massi devient son ministre des Ressources énergétiques et minérales, poste qu’il occupe jusqu’en 1996. En 1997, il est ministre de
l’Agriculture et de l’Élevage.
Il fonde et préside le Forum démocratique pour la modernité (Fodem), parti
officiellement reconnu en 1998. Cette même année, aux élections législatives, il devient député de Baboua. En mars 2003, Patassé est renversé par un coup d’État. Charles Massi sera deuxième vice-président du Conseil national de transition (CNT) jusqu’à la fin de la période d’incertitude et l’élection de
François Bozizé à la présidence de la République, en mai 2005. Il est alors promu colonel par décret présidentiel exceptionnel. Le 11 juin
2005, il est décoré comme grand officier dans l’ordre de la Reconnaissance nationale, pour services rendus à la nation. Il est ensuite successivement ministre d’État à l’Équipement, aux
Transports et à l’Aviation civile, puis ministre d’État au Développement rural.
Depuis deux ans, la situation politique sur la scène intérieure centrafricaine s’est
complexifiée avec l’apparition de différents mouvements politico-militaires, en rébellion contre le pouvoir de François Bozizé. Le dialogue
politique inclusif (DPI), placé sous l’égide de feu le président gabonais Omar Bongo Ondimba, a conduit à un accord de paix signé le 20
décembre 2008. Un processus de démobilisation, désarmement et réintégration des combattants (DDR) est alors enclenché vis-à-vis des rebelles. Mais tous les mouvements ne sont pas signataires de
l’accord, notamment la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), dont le conseil politique est présidé par Charles
Massi.
C’est à ce titre qu’il part pour le Tchad début 2009, afin de négocier un accord
bilatéral avec Bangui sous l’égide du président Idriss Déby Itno. Mais il est arrêté le 16 mai 2009 dans le Sud tchadien, roulant en
direction de la Centrafrique en compagnie de plusieurs de ses hommes. Il est mis en prison et N’Djaména lui prête des intentions subversives, affirmant qu’il doit être jugé pour « infiltration frauduleuse » au Tchad et « tentative de déstabilisation d’un pays voisin ». Sur
l’intervention de la France, de la CPJP et, dit-on, des francs-maçons, il est libéré le 8 juillet 2009 après avoir manifesté son « intention de faire la paix avec le régime centrafricain ». Il
est autorisé à rester au Tchad.
Cependant, le président Bozizé
refuse désormais de négocier quoi que ce soit avec lui. Il décide donc d’en appeler à un autre médiateur, le chef de l’État congolais Denis Sassou
Nguesso. On raconte que l’influence de ce dernier serait plus importante que celle de son homologue tchadien car il est le plus haut dirigeant de la franc-maçonnerie en Afrique centrale,
surtout depuis la mort d’Omar Bongo.
François
Bozizé, qui serait également franc-maçon, devrait donc se révéler
plus sensible à une intervention du grand maître congolais… Mais certaines sources affirment que, en réalité, le colonel Massi aurait reçu
une importante somme d’argent, probablement en provenance d’un permis d’exploitation forestière qu’il détiendrait à Bouar (dans sa région natale de Nana-Mambéré, dans l’ouest du pays) et qui lui
rapporterait quelque 200 millions de francs CFA. Toujours est-il que Charles Massi s’envole début décembre 2009 pour le Congo, avec
l’assentiment du président tchadien. Mais il a été piégé. Le numéro de son téléphone satellite Thuraya est connu et c’est grâce à cela que l’on va rapidement s’apercevoir qu’il ne va pas à
Brazzaville mais qu’il s’est arrêté en transit à Douala, qu’il a quitté l’aéroport et remonte par la route vers le nord du Cameroun, en direction de la frontière tchadienne.
Le colonel Massi et ses
hommes, peut-être une quinzaine, sont soupçonnés d’être en route pour passer commande ou prendre livraison d’armes et de munitions. Leur itinéraire camerounais est soigneusement pisté : on sait
qu’ils passent par Garoua, Tcholliré, Touboro et Bogdibo.
De Bogdibo, ils prennent une piste qui conduit à un cours d’eau, frontière naturelle entre le Cameroun et le Tchad. Leurs fournisseurs sont de l’autre côté, dans un village appelé Min ou Mini.
Leur sécurité étant a priori assurée, la petite troupe traverse la frontière. Au village, on les installe à l’ombre dans une maison pour attendre le rendez-vous. Au bout d’un certain temps,
Charles Massi prend conscience qu’une partie de ses hommes a disparu. D’un coup, il entend claquer des coups de feu. Le piège se referme :
il est bel et bien tombé dans une embuscade. À l’évidence, sa garde rapprochée comprend un traître, qui est allé quérir les assaillants lesquels, heureusement, s’avèrent n’être, en réalité, que
la gendarmerie tchadienne. Une partie des éléments de Massi, ignorant qu’il s’agit d’une arrestation programmée, tentent de résister et de
protéger leur chef.
Au moins un gendarme sera tué dans la fusillade. En tentant de sortir de la maison où
il est réfugié, le colonel Massi se trouve brusquement face à un homme qui lui braque son arme sous le nez : « Ne bougez plus. » C’est fini, il est arrêté et emmené au poste.
Dans un premier temps, tout va bien. Les Tchadiens sont courtois, lui présentent les
respects dus à son grade. On lui présente son arrestation comme un incident, une patrouille qui serait tombée sur lui par hasard et, comme il se trouvait là sans autorisation et qu’une
échauffourée a eu lieu, il faut que la brigade en réfère à sa hiérarchie. On lui demande alors de rappeler ses éléments. Seuls ceux qui ignoraient avoir affaire à un piège se présentent… pour
être arrêtés. Massi ignore toujours que son Thuraya est repéré et il va appeler plusieurs personnes de son réseau, notamment Hassan Ousmane. Celui-ci appartient au Mouvement national du salut de la patrie (MNSP), né d’une scission avec le mouvement du mercenaire tchadien
Abakar Sabone. Il disparaîtra dans des circonstances inexpliquées du camp Micopax, situé près de l’aéroport Bangui M’Poko, où il était
hébergé. Seuls ses effets personnels et son téléphone portable seront retrouvés dans sa chambre.
En marge de cet événement, des entretiens ont eu lieu à très haut niveau entre le
Tchad et la Centrafrique, destinés à améliorer les relations qui s’étaient dégradées entre les deux pays. En gage de bonne volonté, Bangui aurait livré à N’Djaména le « général » Baba Ladde, un rebelle tchadien ayant œuvré au Darfour, réfugié en Centrafrique. En retour, N’Djaména livrait Charles Massi à Bangui, non sans avoir obtenu l’assurance qu’aucun mal ne lui serait fait. En application de cet « accord », c’est un détachement de la
garde présidentielle centrafricaine, qui pourrait avoir été conduit, à ce que l'on dit, par le capitaine Vianney Sem Ndiro, qui est venu
chercher le prisonnier. Ce convoi de trois voitures est parti le 15 décembre de la ville de Bossembélé, a traversé Bozoum, Bocaranga, Ngaoundaye et Baïbokoum. Hommes et véhicules ont passé la
nuit à 5 kilomètres de Mini. À 9 h, le 16 décembre, ils ont pris livraison de leur victime.
Tant qu’il a été en territoire tchadien, Charles Massi a été bien traité. Sous l’œil des gendarmes, il est monté dans la cabine de l’une des voitures. Seule anicroche susceptible de l’inquiéter :
alors qu’il demandait à aller chercher ses bagages et ses médicaments, on lui a répondu que c’était inutile, qu’il allait simplement avoir un entretien et qu’il pourrait ensuite retourner dans
ses quartiers récupérer ses affaires. Arrivée à la frontière, l’escorte tchadienne a fait demi-tour et les trois véhicules centrafricains se sont éloignés sur la piste.
C’est alors que le cauchemar de Charles
Massi a commencé. Au bout d’un certain temps, les voitures se sont arrêtées. Le malheureux a été sorti de son siège, ligoté et battu à mort. Son corps agonisant a ensuite été jeté à
l’arrière d’un pick-up. Certains disent que le coup de grâce lui aurait été asséné par un « haut personnage
de l’État ». Son cadavre aurait été brûlé afin qu’aucune trace du forfait ne puisse subsister.
Très vite, la famille et les partisans de Charles Massi s’inquiètent de sa disparition et se mettent à sa recherche. Ils se heurtent d’abord à un mur de silence mais, peu à peu, des informations
filtrent. Des photos extraites de deux films vidéo, dont l’un au moins a été tourné avec un téléphone portable, circulent. Dès lors, comment expliquer les conclusions rendues par le procureur du
tribunal de Bangui, Firmin Findiro, le 16 août dernier : « L’enquête [engagée par requête en dénonciation en date du 18 janvier 2010] n’a révélé aucun élément matériel plausible de nature à attester la disparition, a
fortiori la torture et l’assassinat, de monsieur Charles Massi dans les locaux du camp de Roux ou de la prison de Bossembélé. » Une investigation un tant soit peu sérieuse peut
mettre en évidence les parcours respectifs de Charles Massi, dont le Thuraya est également témoin, et du convoi de la garde présidentielle,
les villes et villages traversés sont plein de témoins qui ne demandent qu’à parler.
Il semble donc que le pouvoir s’emploie à masquer l’événement. Serait-ce en rapport avec la présence de ce « haut personnage » témoin de la mort d’un vieux compagnon de route ?
Afrique Asie Mardi 5 Octobre 2010