Le Parisien 23.11.2010, 10h53
Le premier témoin du procès de Jean-Pierre Bemba devant la Cour pénale internationale (CPI) a raconté mardi
l'arrivée au "PK 12" en Centrafrique des hommes de l'ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC) en octobre
2002.
"Quand la rébellion de Bozizé s'est retirée du PK12, immédiatement la rébellion
de M. Bemba est rentrée au PK 12" ("point
kilométrique 12"), au nord de Bangui, la capitale centrafricaine, a raconté le témoin dont l'identité n'a pas été révélée par mesure de sécurité.
"Le soir-même, il n'y a pas eu de
problème", a souligné l'homme qui s'exprimait en français, dissimulé aux regards du public par un rideau, au deuxième jour du procès pour crimes de guerre et crimes contre
l'humanité de Jean-Pierre Bemba, 48 ans.
"Le lendemain autour de 05H00, on s'est réveillé avec des coups de feu, c'était
le trouble général", a-t-il poursuivi:
"ils sont entrés dans chaque maison, ils ont pris tout ce qu'ils avaient sous la main, les radios, les
portables...".
M. Bemba doit répondre, en tant que chef militaire, de crimes, principalement des viols, mais aussi des
pillages et des meurtres, commis par sa milice du Mouvement de libération du Congo (MLC) entre octobre 2002 et mars 2003 en Centrafrique où ils soutenaient les troupes du président Ange-Félix Patassé, victime d'une tentative de coup d'Etat du général François
Bozizé.
L'opposant congolais, qui plaide non coupable et encourt la réclusion à perpétuité, avait fui la RDC en 2007. Il avait été arrêté le 24 mai 2008 à Bruxelles en
vertu d'un mandat d'arrêt de la CPI, saisie en 2004 par François Bozizé, au pouvoir en Centrafrique depuis 2003.
Jean-Pierre Bemba ou l'archétype de l'entrepreneur politique africain des
années 1990
Le Monde.fr | 23.11.10 | 15h25 • Mis à jour le
23.11.10 | 15h32
Avec Jean-Pierre Bemba, 48 ans, qui comparaît depuis lundi 22
novembre à La Haye devant la Cour pénale internationale (CPI), ce n'est pas seulement un redoutable chef de guerre congolais qui est jugé pour "crimes de guerre et crimes contre
l'humanité".
L'homme à la carrure imposante est tombé de haut : en novembre 2006, il avait obtenu 42 % des voix à
l'élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC). Mais plutôt qu'un tranquille candidat, "Jean-Pierre", comme disent
ses partisans congolais, est l'archétype de l'entrepreneur politique africain des années 1990. Comme Charles Taylor au Liberia, il a fondé un mouvement
politique adossé à une armée à base ethnique dans un but précis : protéger ses intérêts d'homme d'affaires.
UN HÉRITIER
Raconter sa vie revient à évoquer deux décennies de l'histoire récente et violente du plus grand pays francophone du
monde, le Zaïre devenu RDC en 1997. Jean-Pierre Bemba est d'abord un héritier. Son père, Jeannot Bemba
Saolana, un métis de Portugais originaire de la province de l'Equateur (nord-ouest du pays) fut un homme d'affaires puissant et un baron du régime zaïrois du général Mobutu Sese
Seko (1965-1997). Le fils à papa élevé en Belgique – l'ancienne puissance tutélaire –, se lance dans les affaires à la fin des années 1980.
Diplômé d'une grande école de commerce bruxelloise, il choisit bien ses créneaux (téléphone portable, télévision) et
trouve naturellement sa place dans les hauts cercles du pouvoir mobutiste. Sa sœur épouse un fils du tout puissant général.
ATROCITÉS ET CAMPAGNE DE TERREUR
Mais l'époque est celle de la décrépitude d'un pays longtemps paradis de l'argent facile pour la nomenklatura qui pille
allègrement les immenses richesses du pays en laissant la grande masse de la population dans la misère.
Lorsqu'en 1997, Kinshasa tombe aux mains de Laurent-Désiré Kabila soutenu par le
Rwanda et l'Ouganda, Jean-Pierre Bemba s'exile. Mais l'année suivante, il passe à l'offensive, profitant du retournement du président
ougandais Yoweri Museveni. Le businessman endosse subitement le treillis et crée sa milice armée, le Mouvement de libération
du Congo (MLC) financé par le régime Museveni et adossé à la province de l'Equateur, bastion du mobutisme.
A la surprise générale, il conquiert une large partie du territoire, pillant les richesses locales – diamant, or, café –
pour financer ses offensives. Soutenu par Ange-Félix Patassé, président de la Centrafrique voisine, Jean-Pierre Bemba n'hésite pas à aller lui prêter main-forte lorsqu'il est menacé par des rébellions. C'est là que se situent les atrocités qui lui valent
aujourd'hui de comparaître devant la CPI. En 2002 et 2003, le MLC se livre à une campagne de terreur pour protéger le régime centrafricain menacé par le général François
Bozizé.
"Jean-Pierre Bemba a sciemment permis aux 1 500 hommes qu'il
commandait de commettre des centaines de viols, des centaines de pillages", a résumé lundi le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo. Ces exactions se traduisent par
plusieurs centaines de morts mais la guerre est perdue. Le général Bozizé prend le pouvoir et il y est toujours aujourd'hui. C'est lui qui
saisira la CPI en 2004.
UNE ARMÉE D'ENFANTS DES RUES
A cette époque, Bemba a repris ses habits civils d'entrepreneur
politique. L'interminable guerre congolaise s'est achevée en 2003 par un accord de paix qui, pour le faire rentrer dans le rang, lui a accordé l'un des quatre postes de vice-président autour du
président provisoire, Joseph Kabila, le fils de Laurent-Désiré Kabila assassiné
en 2001.
En 2006, Jean-Pierre Bemba affronte Joseph Kabila dans la rue et dans les urnes. Très populaire dans la capitale, Kinshasa, où une armée d'enfants des rues est à son service, il perd
cependant l'élection au plan national. Elu simple sénateur mais redoutable chef de l'opposition, il refuse de désarmer sa milice. Après des affrontements meurtriers au centre de Kinshasa, il est
contraint à l'exil, en avril 2007, au Portugal et en Belgique où il possède de somptueuses propriétés.
C'est à Bruxelles que son passé de chef milicien le rattrape lorsqu'il est interpellé, en 2008, en vertu d'un mandat
d'arrêt émis par la CPI. Incarcéré à la prison de Scheveningen aux Pays-Bas, il est le troisième chef de guerre congolais à comparaître devant la juridiction de l'ONU dont le siège est à La Haye.
Ses avocats dénoncent "une enquête bâclée et partiale".
Son procès, qui doit durer plusieurs mois, l'empêchera de prendre sa revanche sur Joseph Kabila lors de la présidentielle en RDC prévue dans le courant de l'année
2011.
Philippe Bernard
Deuxième jour du procès de JP Bemba : la parole aux
témoins
Radio Ndéké Luka Mardi, 23 Novembre 2010 12:37
Deuxième jour du procès de Jean-Pierre Bemba à la Cour Internationale de la Haye en ce 23 novembre 2010. A
la reprise de l’audience, le Procureur doit présenter son premier témoin.
Le procès intenté contre l’ancien vice-président congolais et chef de guerre s’est ouvert le 22 novembre 2010 devant la CPI. A l’ouverture de l’audience, l’accusé
a salué ses partisans et sa femme, présents dans la galerie du public. Jean-Pierre Bemba a ensuite plaidé « non coupable » des crimes contre l’humanité et crimes de guerre dont l’accuse le
procureur.
Présent à l’ouverture du procès, le procureur Luis Moreno Ocampo a rappelé les charges, en insistant sur les
viols commis par les soldats du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) en Centrafrique, en 2002 et 2003. « Les femmes et les filles ont été violées, quel que soit leur âge (...) Des viols commis en public, sous le regard de leurs familles», a-t-il
précisé.
Les soldats de Jean-Pierre Bemba avait été appelés par Ange-Félix Patassé en octobre 2002, pour renforcer son armée, confrontée à la rébellion conduite par le général François Bozizé, aujourd’hui au pouvoir.
L'accusation poursuit le président du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) en qualité de supérieur hiérarchique. Jean-Pierre Bemba n’était pas sur la ligne de front, il n’a pas ordonné les crimes, mais il aurait dû empêcher et punir ses soldats, a déclaré en
substance le procureur.
Jean-Pierre Bemba a aussi « institutionnalisé le pillage ». « Les biens pillés par les
soldats, non payés, étaient ensuite transportés au Congo, a-t-il précisé, les civils qui résistaient aux viols et au pillage étaient tués ».
Selon le substitut, Petra Kneuer, « il n’a pas puni ces crimes, parce qu’ils répondaient à ses objectifs ». Après la mort du maréchal Mobutu et l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila à la tête de la République démocratique du
Congo (RDC), Jean-Pierre Bemba s’était engagé dans la lutte armée et avait créé, en 1998, le Mouvement pour la libération du Congo,
considéré aujourd’hui comme l’un des principaux partis d’opposition à Kinshasa. Pour le procureur, «
Jean-Pierre Bemba avait besoin d’alliés en Centrafrique » et le président Ange-Félix Patassé comptait parmi ceux-là.
Après le procureur, les deux représentants des victimes ont pris la parole. Maitre Marie Edith Douzima-Lawson (notre photo) a affirmé que
« les attentes sont grandes pour ces victimes, atteintes dans leur chair ». De nouvelles
victimes ont été admises et pourront elles aussi être représentées dans cette affaire. Elles sont aujourd’hui 759. Cette présence leur donne le droit d’intervenir dans le procès, dans des
conditions définies par les juges. Elles ne peuvent, par exemple, pas conduire de témoin à la barre, mais elles peuvent en revanche plaider leur cause.
Si Jean-Pierre Bemba devait être condamné au terme de ce procès, qui devrait durer plus d’un an, elles
auront aussi la possibilité de demander des réparations.
L’avocat principal de l’accusé, maître Nkwebe Liriss, a refusé de « répondre aux victimes », a-t-il déclaré
dès le début de sa plaidoirie, « parce que je ne réponds pas sur la base d’émotions mais je réponds sur la
base de preuves ». L’avocat du Barreau de Kinshasa a ensuite rejeté les accusations sur d’autres, plus responsables à ses yeux et reproché au procureur de ne présenter qu’un seul
homme dans le box des accusés. « Plusieurs autres commandant centrafricains ne sont pas là, c’est pourtant
eux qui ont conduit cette guerre » a-t-il déclaré, tandis que Jean-Pierre Bemba se trouvait « à plus de 2000 kilomètres des combats ».
En Centrafrique, gravité et larmes à la retransmission du procès de
Bemba
BANGUI (AFP) - 23.11.2010 14:32 - Certains ont pleuré mais c'est dans un lourd silence que des dizaines de personnes ont
suivi à Bangui la retransmission du procès du Congolais Jean-Pierre Bemba, jugé depuis lundi à La Haye pour des atrocités commises par ses
hommes en Centrafrique.
Certains ont pleuré mais c'est dans un lourd silence que des dizaines de personnes ont suivi à Bangui la retransmission
du procès du Congolais Jean-Pierre Bemba, jugé depuis lundi à La Haye pour des atrocités commises par ses hommes en
Centrafrique.
"Je me demande si c'est vraiment
Bemba qui est enfin devant les juges", lâche une femme, en larmes, parmi plus de 200 personnes rassemblées dans une salle de conférences du 8e arrondissement de Bangui (nord) pour
l'ouverture, lundi après-midi, de ce procès devant la Cour pénale internationale (CPI).
Asta Keïta, 9 ans, explique à l'AFP l'émotion de sa mère, qui
peine à s'exprimer: "Les hommes de Bemba ont tué papa en 2002 alors qu'il rentrait d'un voyage à l'intérieur
du pays".
"Nous n'avons pas vu son corps,
c'est un voisin qui (l')a reconnu et assisté à l'enterrement qui nous a prévenus deux jours après", ajoute la fillette, rapportant un récit douloureux souvent entendu à la
maison.
Jean-Pierre Bemba, qui plaide non coupable, est accusé par le
procureur de la CPI d'avoir "sciemment permis aux 1.500 hommes" de son Mouvement de libération
du Congo (MLC, milice à l'époque) de commettre viols, pillages et meurtres entre octobre 2002 et mars 2003 en Centrafrique. Le MLC y appuyait alors le président Ange Félix Patassé face à une tentative de coup d'Etat du général François Bozizé, qui a fini par
le renverser et, depuis, dirige le pays.
"Nous avons vécu des moments de
terreur indescriptible au PK12 (Point kilométrique 12, périphérie de Bangui) quand les combattants du MLC sont entrés en action", dit à l'AFP Jean-Pierre Ndéma, 53 ans, instituteur, sans s'étendre sur ce vécu.
"Aujourd'hui, en voyant Bemba
devant les juges de la CPI, je me dis que Dieu est grand et que tout se paie ici-bas. Jean-Pierre Bemba doit être jugé pour ses crimes", déclare-t-il, l'air grave.
Dans la salle du Centre protestant pour la jeunesse prêtée au bureau extérieur de la CPI à Bangui, assis sur trois
rangées de bancs en béton ou debout pour la plupart, étaient visibles de nombreux responsables d'ONG, journalistes, avocats et curieux mais aucune personnalité politique.
Beaucoup d'interlocuteurs de l'AFP ont salué le début du procès de l'ex-chef rebelle et ex-vice-président de la
République démocratique du Congo (RDC), aujourd'hui un des leaders de l'opposition dans son pays.
"En dehors des cas de viols, il y
a eu des meurtres, des cas de mutilations, parce que les hommes de Bemba ont coupé les oreilles de certaines personnes", affirme Me Mathias-Barthélémy Morouba, un des avocats centrafricains défendant les victimes
"Même si les victimes ont attendu
plusieurs années avant l'ouverture de ce procès, mieux vaut tard que jamais. (...) Il ne faudrait pas que M. Bemba s'en tire après tout ce qui s'est passé", ajoute-t-il, espérant
que la CPI prononcera "un jugement irréfutable".
"Ce procès consacre la force du
droit sur le droit de la force", il "prouve que désormais tous ceux qui, pour une raison ou
pour une autre, commettront les crimes les plus graves contre l'humanité, ne seront jamais à l'abri des poursuites et seront traqués jusqu'à leur dernier retranchement", estime le
magistrat Joseph Bindoumi, président de la Ligue centrafricaine des droits de l'homme (LCDH).
Dans un communiqué mardi, Me Bruno-Hyacinthe Gbiégba,
coordonnateur adjoint de la coalition centrafricaine pour la CPI, dit son "soulagement (...) pour de
nombreuses victimes" et voit dans le procès "un signal fort" pour les criminels,
qu'il met en garde: "l'impunité n'est plus la règle".
© 2010 AFP