L’ensemble des analystes et observateurs pose la question « Comment sortir de l’impasse en Côte d’Ivoire ? ». Il faut sans doute rappeler pourquoi la Côte
d’Ivoire est dans l’impasse.
QUELQUES RAPPELS POUR COMPRENDRE LA
SITUATION
La Commission électorale
indépendante (CEI) est une institution administrative chargée de fournir les résultats provisoires des élections, le Conseil constitutionnel étant la juridiction habilitée à proclamer les
résultats définitifs.
La composition de la CEI a
été déterminée à l’origine, en janvier 2003, par les accords de Marcoussis entérinés par la Conférence dite de Kléber à Paris. Des mouvements armés, aujourd’hui disparus, y étaient représentés à
l’égal des formations parlementaires. Dès le départ, cette institution dite indépendante reproduisait les antagonismes de l’échiquier politique ivoirien. Cette composition a été modifiée à la
marge lors de discussions ultérieures (Accra, Pretoria).
Contrairement à ce qui est souvent
affirmé dans les médias, la CEI, institution ivoirienne n’est pas paritaire. Elle est éminemment défavorable au Président sortant Laurent Gbagbo, candidat de la majorité
présidentielle.
En effet, le présidium de
la CEI fort de 5 membres compte 4 représentants pro-Ouattara contre 1 pro-Gbagbo. Il y a 16 commissaires pro-Ouattara contre 6
pro-Gbagbo. Les 19 Commissions électorales régionales sont contrôlées par des pro-Ouattara et sur les 415 commissions électorales locales,
380 sont contrôlées par des pro-Ouattara contre 35 par des pro-Gbagbo.
Pour limiter ce
déséquilibre, il était convenu que la CEI fonctionne par consensus et que les résultats du scrutin soient fournis sur la base d’un double comptage, manuel et électronique.
Le Conseil
constitutionnel, dont la création est un des éléments des réformes d’Etat engagées par Laurent Gbagbo pour doter le pays d’institutions
juridiques conformes au standard républicain, est composé selon les mêmes procédures que le Conseil constitutionnel en France. Il est présidé et composé de juristes ivoiriens éminents et non de
simples partisans comme nombre d’observateurs le laissent entendre.
LES RAISONS DE
L’IMPASSE
La CEI n’a pu proclamer de
résultats provisoires dans le délai de trois jours qui lui était imparti. Il revenait, dès lors, au Conseil constitutionnel de proclamer les résultats définitifs sur la base des données
transmises par la CEI. Alors que le Président de ce Conseil annonçait à la télévision, le jeudi 2 décembre, cette procédure, le Président de la CEI, M. Youssouf Bakayoko, non entouré des commissaires de la CEI, proclamait hors délai des résultats provisoires à l’Hôtel du Golf, devenu le quartier général
du candidat du RHDP Alassane Ouattara. Il accordait 54,1 % des suffrages à Alassane
Ouattara contre 45,9% à Laurent Gbagbo.
Fruit du comptage manuel, ces
résultats entérinaient une fraude manifeste révélée par le comptage électronique. En effet, sur les 20 073 procès-verbaux de bureaux de vote, plus de 2000 ont été rejetés car ils comportaient un
nombre de votants supérieur au nombre d’inscrits.
La scène du mardi soir 1
er décembre où l’on a vu deux représentants de la majorité présidentielle empêcher le porte-parole de la CEI, proche de Ouattara, de lire
les résultats des trois premières régions, (dont deux étaient d’ailleurs favorables à L. Gbagbo) s’explique par le fait qu’à ce moment les
responsables du comptage électronique venaient à peine de récupérer les données après un bras de fer de 48 heures avec le Premier ministre et le Président de la CEI qui feignaient de s’étonner de
cette situation. Les données ont été enregistrées par le système électronique dans la nuit du mardi au mercredi seulement.
La fraude, révélée par le comptage
électronique, étant manifeste dans les régions du Nord, la CEI ne pouvait plus fonctionner par consensus dans la journée du mercredi 1 er décembre. D’où la proclamation solitaire du Président de
la CEI, le lendemain au quartier général du candidat Ouattara, pour frapper par avance de suspicion les décisions à venir du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel
a fonctionné strictement sur des bases juridiques en analysant les recours déposés par la majorité présidentielle qui portaient sur environ 600 000 voix.
Sur 16 des 19 régions
représentant plus de 85 % de l’électorat les résultats de la CEI confirmés par le Conseil constitutionnel donnent 2 038 000 voix à Laurent
Gbagbo, soit 52,6 % et 1 837 173 voix à Alassane Ouattara soit 47,39 % des voix.
Les recours déposés par la
majorité présidentielle et retenus par le Conseil constitutionnel ont conduit à l’annulation de 7 des 11 départements dans 3 des 5 régions du Nord, à savoir les départements de Boundiali, Ferkéssédougou, et Korhogo dans la région des Savanes, les départements de
Bouaké, Dabakala et Katiola dans la
région de la Vallée du Bandama, et le département de Séguéla dans la région du Worodougou.
Les annulations se fondent
essentiellement sur le fait que les représentants de la majorité présidentielle ont été physiquement empêchés d’accéder aux bureaux de vote ou en ont été expulsés. Cela a permis de bourrer les
urnes. On constate en effet, que dans les régions du Nord, le nombre de votants est souvent supérieur au nombre d’inscrits et que le nombre de suffrages exprimés a éré encore plus important au
second tour qu’au premier (+ 10,31 % dans la région du Bafing, + 13,94 % dans le Denguélé, + 10,65 dans les Savanes et + 13,62 dans le Worodougou) alors que le jour du scrutin,
tous ceux qui le suivaient soulignaient que la participation était en baisse.
De plus, les éléments des
Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) sont sortis armés le jour du second tour alors qu’ils étaient officiellement cantonnés et désarmés depuis la fin du mois de septembre dans les camps de
Bouaké, Korogho, Séguéla et Man.. Les Forces de l’ONUCI ne se sont jamais interposées
et le vote s’est fait le plus souvent sous la contrainte dans les régions du Nord. Les partisans de la majorité présidentielle ont été pourchassés, soumis à des violences, leurs représentants
parfois séquestrés. Une représentante a même été battue à mort à K
La volonté de fraude des
partisans d’Alassane Ouattara dans les régions du Nord est incontestable, même si elle semble avoir échappé aux observateurs de l’Union
européenne. Les violences et irrégularités graves ont été relevées par la mission des observateurs de l’Union africaine et des témoignages très nombreux ont étayé les recours de la majorité
présidentielle.
Le scrutin s’est déroulé
de façon équitable dans le reste du pays et le candidat Ouattara n’a déposé aucun recours. Sur cette base, qui concerne plus de 80 % de l’électorat, il a été dit très officiellement par l’ONUCI
que le scrutin était globalement démocratique, mais la fraude au Nord a été de nature à inverser les résultats du scrutin de ce second tour.
LE RÔLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
La prise de position
immédiate, le vendredi 3 décembre, du représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies, M. Young-jin Choï, ne reconnaissant pas
les résultats donnés par la seule juridiction ivoirienne habilitée à proclamer les résultats définitifs, viole la Charte de l’ONU qui réaffirme dans son action le respect des institutions d’un
pays souverain. La certification du processus électoral suppose que le déroulement du processus
électoral est conforme à la Constitution et au code électoral que les Ivoiriens se sont souverainement donné.
En choisissant de valider
les résultats provisoires d’une institution administrative, la Commission électorale indépendante, où la majorité présidentielle était minoritaire de par la volonté de la communauté
internationale, le représentant de l’ONU a donné un signal fort à l’ensemble des puissances occidentales. En premier lieu, la France et les Etats-Unis, par la voix de leur Président respectif,
MM. Sarkozy et Obama, Pourtant la veille, dans la soirée du 2 décembre, l’Elysée
précisait dans un communiqué « il appartient désormais au Conseil constitutionnel de proclamer les
résultats définitifs dans le strict respect de la volonté clairement exprimée par le peuple ivoirien ». Ce respect signifie-t-il que le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire
devait avaliser la fraude évidente des régions du Nord entérinée par la Commission électorale indépendante ?
Mandaté par l’Union
africaine, l’ancien Président sud-africain Thabo M’Béki a conduit une médiation de 48 heures, les 5 et 6 décembre. On sait les relations
difficiles entre Thabo Mbéki et l’actuel Président sud-africain Jacob Zuma qui se
sont livrés jadis un duel sans merci au sein de l’ANC. Avant même que Mbéki dépose ses conclusions, la Communauté des Etats d’Afrique de
l’Ouest, fortes de 16 pays membres, (avec 7 chefs d’Etat sur 13 délégations présentes) s’est dépêchée de soutenir la position des puissances occidentales.
La Russie (Tchétchénie
oblige) n’a pas résisté longtemps au Conseil de sécurité, plongeant la Côte d’Ivoire présidée par Laurent Gbagbo dans un isolement diplomatique complet. Le 13 décembre, l’Union européenne s’est
engagée dans un processus de sanctions.
Ce bras de fer entre la
Côte d’Ivoire qui s’est remise au travail et la communauté internationale dont l’unanimisme immédiat au nom de la vertu démocratique peut sembler suspect peut déboucher sur des affrontements
gravissimes. Unanimisme suspect quand on voit le pudique et assourdissant silence des Etats-Unis, de la France et de la communauté internationale face aux élections législatives en Egypte et à la
réélection dans son pays du médiateur de nombre de crises africaines, M. Blaise Compaoré, avec plus de 80 % des voix dès le premier tour,
lui permettant de rester à la tête du Burkina Faso pendant 28 ans.
Le Président
Gbagbo a-t-il commis l’irréparable en Afrique en faisant tout pour mettre en place des institutions républicaines et en laissant se
développer un processus électoral de façon ouverte sur la base d’une présomption de bonne foi à l’égard de son principal adversaire politique pour qui les institutions financières internationales
qu’il a servies, les Etats-Unis, la France ont toujours eu les yeux de Chimène.
Cette situation sans
précédent en Côte d’Ivoire pose avec acuité le rôle historique de l’ONU sur le continent africain et d’une certaine façon sa crédibilité aux yeux de tous les citoyens de la planète. Facteur de
paix et de sécurité comme l’expriment ses textes ou garant des intérêts des puissances et d’un ordre mondial injuste et inégalitaire.
Ce n’est que quarante ans
après les indépendances africaines qu’a été mis à jour le jeu trouble de l’ONU dans l’assassinat, le 19 janvier 1961, au Congo Kinshasa du Premier ministre Patrice Lumumba, défenseur de la souveraineté de son pays. Un demi-siècle plus tard, en 2010, la méthode est plus policée pour écarter un dirigeant
politique jugé indocile, même si tout son parcours s’est inscrit dans la conquête de la démocratie et la mise en place d’institutions républicaines souveraines. C’est effectivement une quasi
exception sur le continent africain.
Guy LABERTIT
(Ancien délégué Afrique du PS de
1993-2006)
Auteur aux éditions « Autres Temps » de :
- « Adieu, Abidjan-sur-Seine », les coulisses du conflit
ivoirien (2008)
- « Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix » (2010)